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BENOIT XII

rappelait que sous le pontificat de son prédécesseur, il s’était élevé une discussion parmi les théologiens au sujet de la vision dont jouissent après la mort les âmes des justes complètement pures ou purifiées : voient-elles la divine essence avant la résurrection des corps et le jugement général ? Tel fut, en effet, le point premier et principal du débat ; il se compliqua ensuite de questions connexes. Dans ses notes sur la vie de Jean XXII, op. cit., p. 787, Baluze rattache l’origine de cette controverse à un récit qui eut cours en Provence vers l’an 1325 ; on racontait qu’une dame avait été tourmentée pendant plusieurs mois par l’âme de son mari défunt, puis, soulagée par les prières faites en sa faveur, l’âme avait enfin annoncé qu’elle montait au ciel pour y jouir du repos éternel avec les anges et les saints. Quoi qu’il en soit de la connexion entre ce tait et l’origine de la controverse, ce fut bien vers cette époque que Jean XXII porta son attention sur le problème de la vision béatifique. Dans le cours de son pontificat, il avait eu plus d’une lois l’occasion de se prononcer sur l’état des âmes après la mort. En 1318, il avait présenté au roi d’Arménie la profession de foi que l’empereur Michel Paléologue avait souscrite en 1274 au IIe concile œcuménique de Lyon ; profession de foi où il est dit que les âmes des justes parfaitement pures ou purifiées sont immédiatement reçues au ciel, mox in cselum recipi, et que les âmes souillées de péché mortel ou même du seul péché originel, descendent en enfer, pour y être punies toutefois de peines diverses, mox in infernum desccndcre, pomis tamen disparibus puniendas. Raynaldi, op. cit., an. 1318, n. 10, t. v, p. 82. En 1326, Jean XXII avait réprouvé une opinion des nestoriens et des jacobites, suivant laquelle les âmes des saints ne seraient pas dans le paradis avant le jugement général, mais resteraient jusqu’à cette époque on ne sait où, dans un état de repos exempt de souffrance. lbid., an. 1326, n. 28, t. v, p. 331. Le pape était même allé plus loin dans les bulles de canonisation de saint Thomas de Hereford en 1320, de saint Thomas d’Aquin en 1323, et surtout de saint Louis de Toulouse en 1317 ; il avait montré ce jeune saint entrant au ciel dans son innocence, pour contempler son Dieu dans la joie et à découvert, ad Deuni snum contemplandum in gaudio, facie revclata, § 18. Magnum bullarium romanum, in-fol., Luxembourg, 1727, t. i, p. 192.

Mais en 1331, dans un sermon prêché à Notre-Damedes-Dons, le jour de la Toussaint, sur ce texte : Mémento te operum patrum vestrorum, etc., Jean XXII développa cette idée notablement différente : avant la venue du Christ, les âmes des justes reposaient dans le sein d’Abraham ; depuis sa mort et son ascension, elles sont au ciel, où elles reposent et reposeront jusqu’au jugement dernier sous l’autel dont parle saint Jean dans l’Apocalypse, VI, 9. L’orateur interprétait ensuite cet autel de l’humanité de Jésus-Christ et concluait : « Ainsi donc, avant le jour du jugement les saints sont sous l’autel, c’est-à-dire sous la protection et la consolation de l’humanité du Christ, mais après le jour du jugement, Jésus-Christ les fera monter sur l’autel, en les élevant à la vision de la divinité même. » Ne convient-il pas, du reste, que l’âme n’entre en possession de la joie parfaite, la joie de son Seigneur, qu’au moment où, réunie à son corps, elle sera elle-même parfaite en sa nature ? Sermo in die omnium sanctorum factùs per dominum Johannem papam XXII, A. D. 1331, dans un manuscrit du xive siècle conservé à la bibliothèque de l’université de Cambridge, ms. Ii, iii, 10, fol. 3 sq. Extraits du même sermon dans Nicolas le Mineur, Chronicon de iis omnibus quse circa quæstioncm tempore Joannis XXII ortam de paupertate Christi et apostolorum cjus gesta et fada sunt. Biblioth. nation, de Paris, fonds latin, ms. 5154, fol. 255 sq.

Le troisième dimanche de l’Avent, Jean XXII reprit

le même thème et le développa dans un sermon sur ce texte : Gaudete in Domino semper ; sermon qu’il fit transcrire et distribuer à qui voulut l’avoir. On le trouve intégralement reproduit dans le manuscrit de Cambridge : Sermo secundus ejusdem domini Johannis papse in tertio, dominica de adventu de eadem materia, fol. 3 b. Rien de plus net que l’idée mère de ce discours. Suivant la doctrine de saint Augustin, Serm., il, inPs. xr, n. 13, P. L., t. xxxvii, col. 1170, la vision béatifique est toute notre récompense, tota merces nostra visio est ; à ce titre elle est due à l’ouvrier, c’est-à-dire qu’elle n’est due, dans le cas présent, ni à l’âme seule, ni au corps seul, mais à l’homme tout entier, à la personne qui a travaillé et mérité, aciiones enim sunt suppositorum ; et comme cette personne ne sera reconstituée qu’après la résurrection des corps, alors seulement commencera cette bienheureuse vision. Telle est, du reste, la doctrine qui se dégage des paraboles évangéliques, comme des enseignements du Sauveur et des apôtres ; ce n’est qu’à la fin du jour, image du temps présent, que les ouvriers de la vigne reçoivent leur salaire ; ce n’est qu’à la fin du monde que le bon grain et l’ivraie sont définitivement séparés ; ce n’est qu’après le jugement dernier que le Christ invite les bénis de son Père à posséder le royaume, et que l’Écriture nous les montre entrant dans la vie éternelle, Matth., xxv, 34, 46 ; c’est en ce jour de l’apparition glorieuse du Christ, cuni appavucrit, que nous deviendrons semblables à lui en le voyant tel qu’il est, I Joa., ni, 2 ; c’est en ce même jour que saint Paul compte recevoir de Dieu la couronne de justice, quam reddel mihi Donùnus in illa die, II Tim., iv, 8 ; aussi le grand apôtre montre-t-il les saints de l’Ancien Testament attendant jusqu’à la fin du monde la récompense que tous les hommes recevront ensemble. Heb., xi, 39 sq.

Après l’Écriture, Jean XXII invoquait des Pères, surtout saint Bernard et saint Augustin. Quand il entendait de l’humanité du Christ l’autel de l’Apocalypse, quand il distinguait entre la vision de cette même humanité possédée déjà par les saints au ciel et la vision de la divinité, différée pour eux jusqu’au temps de la résurrection, l’abbé de Clairvaux était son guide. Serm., iv, in festo omnium sanctorum, n. 2, P. L., t. clxxxiii, col. 472. Dans saint Augustin, le pape relevait avec prédilection une dizaine de passages, où ce docteur semble réserver la vision intuitive au temps de la résurrection et rejeter après le jugement général la vie éternelle, entendue avec saint Jean, xvii, 3, de la connaissance de Dieu le Père et de son Fils : par exemple, Enarrat. in Ps. Xliii, n. 5 : illa visio facie ad jacicm liberalis in resurrectione servatur, P. L., t. XXXVI, col. 485 ; De Trinitate, 1. 1, c. xiii, n. 28, 31 : et ipsafiet, cum tradet regnum Deoet Patri…El sicut ibunt illi in ambustionem seternam, sic justi in vitam scternam. Quid est autem vita seterna, nisi ut cognoscant te, etc. P. L., t. xlii, col. 843, 844. Aux textes de ce genre s’en ajoutaient d’autres, où l’évêque d’Hippone paraît n’attribuer aux âmes saintes avant la résurrection qu’un bonheur imparfait, un état de repos et de télicité dont elles jouissent dans des demeures mystérieuses, abditis receplaculis, appelées indifféremment par ce Père sein d’Abraham, paradis ou ciel, mais qu’il n’identifie point avec le royaume de Dieu, où sont les anges, ni avec la vie éternelle et la pleine béatitude que possèdent déjà ces purs esprits et que nous posséderons plus tard : par exemple, Enchiridhm, c. liv, lv, LXIII, P. L., I. XL, col. 258, 261 ; De Genesi ad litteram, 1. XII, c. xxxii, xxxiv, xxxv, P. L., t. xxxiv, col. 480, 482 sq. ; De civitate Dei, 1. XII, c. ix, P. L., t. xli, col. 357 ; Enarrat. in Ps. xxxvi, n. 10 : post vitam istam par vam nondum eris ubi erunt sancti, quibus dicitur : Venite, benedicti, etc., P. L., t. xxxvi, col. 361 ; in Ps. xxxvir, n. 28 : bi ipso fine [sœculi) accepturi sumus salutem sempiter-