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BELLARMIN


princes, comme à ceux de tout chrétien, et que, dans la bulle Vnam sanctam, Boniface VIII dit des deux pouvoirs, symbolisés par les deux glaives, le spirituel et le temporel : e Il faut que If glaive soit subordonné au glaive, et que l’autorité temporelle soit subordonnée à la puissance spirituelle… Si dune la puissance temporelle s’égare, elle.sera jugée par la puissance spirituelle. » Tel est l’argument fondamental, où reviennent toutes les raisons particulières qui sont développées principalement dans la controverse De romano pontijice, 1. V, c. vii, et le liait contre Barclay, c. ni sq., secondairement dans les autres écrits polémiques : De translatione invperii, c. xii ; Responsio ad prsecipua capita apologiæ, quæ falsocatholicainscribitur, Paris, 1558, p.73sq. Apologiapro responsione sua ad librum Jacubi, c. iii, xvii.

La vigueur et le succès avec lesquels Bellarmin a défendu le pouvoir indirect ont fait attacher son nom à cette doctrine, bien qu’en réalité il n’en soit nullement l’inventeur. Dans la suite, et quoi qu’il en soit des diverses manières dont on explique maintenant encore ce pouvoir indirect, la doctrine elle-même a été générant admise en dehors de l’école régaliste et gallii .me. L’attaque a consisté surtout à opposer à l’interprétation des laits que suppose la doctrine de Bellarmin, une autre interprétation toute différente : de droit divin, le pouvoir pontilical est purement directif, il se borne à exborter les princes et à les renseigner sur leurs devoirs ; mais, au moyen âge, les papes acquirent un pouvoir effectif, fondé uniquement sur le droit public du temps, et par suite d’origine humaine et arbitraire. Fénelon, ]>e summi pontifias auctoritale dissertatio, dans Œuvres complètes, Paris, 1848, t. il, p. 46 ; Gosselin, Pouvoir du pape au moyen âge, part. II, c. ni, in-8°, Paris, 1845. A cette théorie, le cardinal aurait répondu qu’elle ne conserve pas aux faits leur vraie signification, que saint Grégoire VII, Innocent III, Innocent IV et les autres papes ont prétendu exercer un droit divin, dont ils trouvaient le titre dans leur office de vicaire de Jésus-Christ, et que pour cela même ils laisaient appel, dans l’exercice de ce pouvoir, au Quodcumque ligaveris et au Pasce oves. De potestate summi pontif., c. iii, t. vii, col. 853. Toutefois l’explication donnée par Bellarmin n’a pas été aussi généralement admise que la doctrine même du pouvoir indirect ; un certain nombre d’auteurs ont trouvé et trouvent encore qu’en réalité, cette explication suppose dans le pape un pouvoir vraiment temporel, et par suite ne différencie pas assez l’opinion du savant cardinal de celle du pouvoir direct. J. Moulart, L’Église et l’État, 1. 11, 2e édit., in-8°, Louvain, 1879, t. ii, p. 175 sq. De là ce qu’on appelle parfois le système du pouvoir directif, mais dans un sens équivoque ; car ces auteurs ne reconnaissent pas seulement au pape le droit d’éclairer ou de diriger la conscience des princes et des peuples chrétiens ; ils lui attribuent encore le droit de déclarer nulles et de nul effet les prescriptions de l’autorité civile qui sont contraires à la loi morale, et même celui li déclarer en quels cas les princes sont déchus, pour cause de religion, de leurs droits au trône, et leurs sujets dispensés du devoir de leur obéir. On donne pour le représentant le plus autorisé’de cette explication le franciscain J.-A. Biancbi, Traité de la puissance ecclésiastique dans ses rapports avec les souverainetés temporelles, I. I. § 8, n. 1 ; § 13, n. 4, trad. par M. l’abbé A.-C. Peltier, Paris, 1857, t. i, p. 90, 134. Mais Bianchi a-t-il mis entre son explication et celle de Bellarmin l’opposition qu’on prétend y voir ; et n’est-ce pas mal comprendre la pensée du cardinal, que de taire du pouvoir indirect qu’il accorde au pape un pouvoir vraiment temporel ? Biancbi lui-même donnera la réponse, l. VI, g 11, n. 8 ; § 12, n. 2, t. il, p. 771, 791.

Origine du pouvoir civil.

Bellarmin traite de la

société civile à propos des membres de l’Église, 1. III,

De laicis. Il défend d’abord contre les anabaptistes le pouvoir et la magistrature politique, puis établit qu’un prince, même chrétien, peut porter des lois et que la loi civile n’oblige pas moins en conscience que la loi divine, c. xi. Aussi cria-t-il justement à la calomnie, lorsque, dans son Triplici nodn, Jacques I er lui prêta cette assertion : On doit obéissance au pape par devoir de conscience, mais on ne doit obéissance au roi qu’en considération de l’ordre public. Le royal polémiste avait confondu deux questions fort distinctes : l’exemption des clercs et l’obéissance due aux princes légitimes par leurs sujets. Resp. ad apolog., t. vii, col. 701 sq. Mais ce qui porta le plus d’ombrage à Jacques I er et aux théologiens régalistes, ce fut la page relative à l’origine du pouvoir civil, c. VI, Le point n’avait été touché qu’incidemment ; après avoir prouvé que la puissance politique est bonne et légitime, parce que, suivant l’enseignement des Écritures, elle vient de Dieu, l’auteur des Controverses avait ajouté quelques remarques pour préciser cette dernière assertion. Pris en général, abstraction faite des formes particulières, monarchie, aristocratie ou démocratie, le pouvoir civil est de droit naturel et vient de Dieu immédiatement ; mais personne n’ayant à ce pouvoir de titre déterminé et suffisant, il a pour sujet immédiat la multitude. Celle-ci, ne pouvant l’exercer par elle-même, doit nécessairement le transmettre à un ou plusieurs hommes. Les formes particulières de gouvernement ne sont donc pas de droit naturel, mais elles se réfèrent au droit des gens, puisqu’il dépend de la multitude de se donner un roi ou des consuls ou d’autres magistrats, et qu’elle peut, s’il y a motif suffisant, transformer une monarchie en aristocratie ou démocratie, et réciproquement, comme il est arrivé à Rome. De là deux différences notables entre le pouvoir civil et le pouvoir ecclésiastique : le premier réside immédiatement dans la multitude, et considéré dans ses formes particulières n’est pas de droit divin ; l’autre a pour sujet immédiat un seul homme et est simplement de droit divin. Pensée sur laquelle le cardinal revient souvent, en concluant de là que les hommes peuvent modifier la forme de leurs gouvernements, mais qu’ils ne le peuvent pas en ce qui concerne la monarchie ecclésiastique. Disput. de exemptione clericorum, c. I. Quand il revisa ses œuvres, l’auteur des Controverses compléta sa doctrine, en indiquant comme chefs d’arguments l’autorité d’un grand nombre de théologiens, l’expérience qui montre dans un même pays, à Rome par exemple, la succession de divers régimes, enfin des témoignages et des exemples empruntés à la sainte Écriture, où le consentement du peuple intervient dans la transmission de l’autorité civile. Recognitio, de laicis, c. VI.

Bellarmin eut l’occasion de défendre ces doctrines dans toutes ses polémiques politico-ecclésiastiques : contre Pierre de Belloy, Responsio ad præcipua capita apologiæ, Paris, 1588, p. 54 sq. ; contre les théologiens de Venise, Res)io71sio ad anonymi epistolam, prop. 1, et ad defensionem octo propositionum Jo. Marsilii, t. vii, col. 1030, 1176 sq. ; contre Jacques I er, Responsio ad apologiam ; Apologia pro responsione sua, c. XIII, t. vil, col. 700 sq., 801 sq. ; contre Barclay, De potestate summi pontif., c. III, t. VII, col. 860. La lecture de ces passages est nécessaire, si l’on veut connaître exactement toute la pensée du cardinal. Il n’exclut pas, dans la possession ou la transmission du pouvoir civil, mais reconnaît formellement l’existence et la légitimité de droits particuliers et permanents, élection, hérédité, donation ou complète. Il réprouve ces assertions que Jacques I er lui avait prêtées : ’fout roi est élu par son peuple ; les princes peuvent, pour divers mol ils, être déposés par leurs sujets. Il défie Jean Marsilii de montrer dans ses leiivres un seul passage où il ait affirmé ipie, dans le cas d’une royauté absolue, le peuple puisse