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BAIUS


senter au concile, Baius et Hessels, et ce choix ne laissa pas que d’embarrasser le légat : « Si l’on donnait toute liberté à ces docteurs de parler selon leurs sentiments, écrivait-il au cardinal de Mantoue, ils pouvaient causer beaucoup de trouble, surtout en Allemagne ; si au contraire on leur fermait la bouche, les protestants ne manqueraient pas de colorer leur relus de ce prétexte, en disant qu’ils refusaient de se rendre à un concile où les langues des savants étaient enchaînées. » Pallavicini, loc.cit., n. 8. Baius et Hessels allèrent pourtant à Trente, mais deux ans plus tard, en 1563, comme théologiens du roi d’Espagne ; le cardinal de Granvelle espérait sans doute qu’en leur absence la paix se rétablirait dans l’université et qu’eux-mêmes retireraient grand profit de leurs rapports avec les membres du concile. Baius venait de publier ses premiers opuscules : De libero hominis arbilrio et ejus potestate ; De justilia et justificatione ; De sacri/icio. A Trente, les théologiens de Louvain assistèrent aux trois dernières sessions, ayant pour objet les sacrements de l’ordre et du mariage, le purgatoire et les indulgences. Les entretiens particuliers qu’ils eurent avec divers personnages ne modifièrent pas leurs idées. Comme elles scandalisaient plusieurs Pères, ils auraient été condamnés dès lors, si leur qualité de théologiens du Boi Catholique ne les avait protégés et si la hâte qu’on avait de mettre fin au concile n’avait fait ajourner l’examen de leurs écrits ; circonstances dont l’évêque d’Ypres, Martin Bithovius, se servit habilement pour détourner le coup dont ils étaient menacés.

De retour à Louvain, Baius continua la publication de ses opuscules : De meritis operinn ; De prima hominis justilia et virtutibus impiorum ; De sacramentis in génère ; De forma baptismi. L’impression en fut achevée sur la fin de 1564, mais datée de l’année suivante par l’imprimeur. En 1566, l’auteur donna une nouvelle édition des premiers opuscules, eny joignant les suivants : De peceato originis ; De charitate ; De indulgentiis ; De oratione pro defunctis. Tous sont dans le même genre ; petits traités méthodiques, simples et vigoureux, remarquables aussi par la netteté et l’élégance du style. Avant de poursuivre les longs débats auxquels ils donnèrent lieu, demandons-leur quelle fut, dans ses grandes lignes et ses traits caractéristiques, la doctrine de Baius. Les questions de détails reviendront dans le commentaire des propositions condamnées par Pie V.

II. Doctrine.

Parlant des questions nécessaires pour bien comprendre les premiers et plus essentiels fondements de la foi chrétienne, Baius signale cellesci, dans la prélace du traité De prima hominis justilia : « Quelle a été à l’origine l’intégrité naturelle de l’homme, et que faut-il penser des vertus des impies, qui n’avaient pas la foi en l’unique vrai Dieu et dont on rapporte cependant beaucoup d’actions honnêtes et louables aux yeux des hommes ? Sans ces questions, en effet, on ne saurait comprendre ni la première corruption de la nature ni sa réparation par la grâce du Christ. » Voilà, semble-t-il, le point de départ de Baius ; sa doctrine peut se ramener au triple état du genre humain : état de nature innocente ; état de nature tombée ; état de nature relevée par la grâce.

État de nature innocente.

Dieu a fait l’homme

droit, suivant la parole de la sainte Écriture ; mais en quoi consistait cette droiture ou rectitude de la première création ? Elle renfermait d’abord ce qui constitue en nous la parfaite image et ressemblance de Dieu, sagesse, justice, bonté et autres vertus qui concourent à la rénovation de l’homme intérieur. En d’autres termes, cette rectitude première ne peut se concevoir sans l’inhabilation et la sanctification du Saint-Esprit ; sans lui, l’âme n’est pas vivante, mais morte, et Dieu n’a pu donner au premier homme une âme qui communiquerait la vie au corps et serait elle-même sans vie. Il faut que l’homme créé nous apparaisse parfaitement uni à son créateur,

dans son esprit par la connaissance totale de la loi et dans sa volonté par une soumission entière. En outre, l’intégrité de la première création renfermait la pleine soumission des instincts sensibles et des mouvements du corps à la volonté. De prima hominis justitia, c. i-m. Ceci posé, voici l’important problème que traite Baius : cette droiture ou justice primitive constituait-elle un état naturel ou surnaturel ? Nulle équivoque sur ce dernier terme ; Baius entend par là ce qui ne serait pas dû à la nature, et viendrait s’ajouter à son intégrité comme un ornement de surérogation, grâce à la munificence du créateur : supernaturale, id est naturse nostrse indebitum, et creatoris munificentia nostrse integritati ad ornatum libéralité)’adjectum. La réponse est nette et ferme ; les dons de la justice originelle ne constituent point une exaltation gratuite de la nature humaine, qui passerait ainsi d’un état inférieur à un état supérieur, mais sa condition naturelle, nécessaire en toute hypothèse pour qu’elle soit sans mal, cujus semper necessario sit absentia malum (Baius entend par mal la privation de biens naturels). Il en est de ces dons primitifs comme de l’âme, du corps et autres apanages de la première création sans lesquels il nous serait impossible ou d’exister ou d’être sans mal, sine quibus aut omnino esse non possumus, aut main non caremus ; ils sont strictement, simpliciler et proprie, naturels. Car il est évident, par la sainte Écriture et les anciens Pères, que ces dons appartiennent à l’intégrité de la nature innocente. La raison dernière, c’est que l’homme a « Hé naturellement créé pour servir Dieu et parvenir à la béatitude, non pas à cette béatitude inférieure que Pelage imaginait, mais à la seule béatitude de toute créature raisonnable, qui consiste dans l’union avec Dieu, son vrai bien. Quand il s’agit du premier homme, Baius ne veut donc pas entendre parler de dons naturels et de dons surnaturels ; subtile distinction, ou plutôt erreur manifeste, occasionnée par la déchéance de l’homme et due à l’ingérence de la philosophie dans le domaine de la foi. C. iv-ix.

Pourtant ces dons si relevés de la justice originelle ne sortaient pas des principes constitutils de la nature humaine, comme un effet sort de sa cause efficiente, (< Une perlection n’est pas dite naturelle par rapport à sa cause ou à son origine, mais par rapport au sujet qu’elle concerne ; que le sujet soit cause productive de cette perfection ou qu’elle vienne d’ailleurs, peu importe ; il suffit qu’elle appartienne à l’intégrité naturelle du sujet et que son absence constitue pour lui un mal. » Ainsi en est-il, conclut Baius, de la justice du premier homme ; qu’elle résulte physiquement des principes constitutifs de sa nature ou qu’elle soit produite immédiatement par Dieu, elle n’en est pas moins un don naturel, « car elle appartenait à l’intégrité de cette nature humaine qui, sans cette perfection, ne peut être en bon état ni exempte de misère, ut sine ea non jwssit salva cnnsistere, miseriaque carere. » Est-ce à dire que Dieu n’aurait pas pu, absolument parlant, créer l’homme tel qu’il naît, maintenant ? Baius n’a jamais, nous le verrons, affirmé cetle impossibilité ; il a même dit le contraire dans ses apologies, mais avec des restrictions qui montrent que, dans sa pensée, l’homme ainsi conçu ne serait pas dans un état normal, celui où Dieu crée les êtres en les exemptant de tout mal et en leur octroyant tout ce qui concourt à leur intégrité. C. xi.

Si la destination de l’homme à la gloire céleste et les dons de la justice primitive sont quelque chose de naturel, les mérites correspondants seront logiquement du même ordre. Baius développa cette conséquence dans le traité De meritis operum. Comme la damnation est la peine du péché, la gloire céleste est le juste prix des bonnes œuvres par une loi naturelle établie dans la création. En verîu de cette loi la vie éternelle a été pour les anges une récompense, et non pas une grâce ; il en aurait été de même pour le premier homme, s’il