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BELLARMIN


la grâce, la justification, le mérite et les bonnes œuvres. Véritable Somme en son genre où, suivant l’expression de Montagne dans la préface de VApparalus ad origines ecclesiasticas, n. 56, in-fol., Oxford, 1035, « seul et le premier, Bellarmin exploita, avec autant de bonheur que de talent et d’habileté, cette énorme masse et ce vaste chaos de controverses, pour y faire succéder l’ordre à la confusion. »

Le style des Disputationes est net, précis et, quoique scolastique, n’est pas dépourvu d'élégance, clarus, non inelegans, disait Campanella, De libris propriis et recta ralione studendi syntagma, c. ix, a. 9, in-8°, Paris, 1542, p. 84. La méthode est simple, mais parfaitement appropriée au dessein de l’auteur. Il rapporte d’abord, sur chaque question, les erreurs des hérétiques et les sentiments des théologiens catholiques, puis explique en peu de mots la doctrine de l'Église ou le sentiment qu’il adopte. Suit l’argumentation, serrée, vigoureuse, appuyée sur la sainte Écriture, les définitions conciliaires ou pontificales, les témoignages patrisHiques, la pratique de l'Église et le consentement des théologiens ; la spéculation n’a qu’une part secondaire. Bellarmin restait en cela fidèle à ce principe qu’on lui prête : La théologie est avant tout théologie et non pas métaphysique. La question se termine par une réponse concise aux difficultés. On a rendu à l’auteur des Controverses ce témoignage qu’il reproduit exactement les objections comme les sentiments de ses adversaires. Il n'épargne pas l’erreur ; il relève vivement chez les hérétiques les mendacia, les fallaciæ, tout ce qui faussait la vraie notion du dogme catholique ; mais il garde à l'égard des personnes un ton digne et respectueux, pratiquant ce qu’il avait prêché à Louvain, dans un sermon De moribus huerelicorum : « Haïssons fortement l’infection, l’hérésie, les vices des hommes, mais non pas les hommes, non guident homines, sed pestem, sed hseresim, sed vilia illorum. »

II. principaux poim’s de doctrine. — Tels sont, en premier lieu, ceux qui furent plus directement en cause clans les grandes luttes politico-ecclésiastiques où le cardinal fut mêlé activement : la primauté du pontife romain, son pouvoir indirect sur le temporel et l’origine du pouvoir civil. A ces points doit s’ajouter, pour la part qu’il prit à la controverse De auxiliis, la doctrine de Bellarmin sur la grâce et la prédestination. Les références particulières, avec indication de tome et de page, se rapporteront, sauf exception, à l'édition de Cologne de 1617.

Primauté du pontife romain.

Il y a une connexion étroite, chez l’auteur des Controverses, entre la

primauté papale et l'Église, « assemblée d’hommes unis ensemble, par la profession d’une même foi chrétienne et la participation aux mêmes sacrements, sous l’autorité de pasteurs légitimes, principalement du pontife romain, unique vicaire de Jésus-Christ ici-bas. » De conciliis et Ecclesia, 1. III, c. il. L’Lglise ainsi définie n’est pas seulement une société visible, c’est une société hiérarchique, avec subordination organique des fidèles à leurs pasteurs immédiats, et de tous au chef suprême, l'évêque de Home. Là se trouve le caractère propre du régime ecclésiastique. De romano puntif., 1. I. Après avoir passé en revue et apprécie les différentes formes de gouvernement, Bellarmin établit que l'Église n’est ni une démocratie, ni une aristocratie, mais une monarchie, tempérée surtout par un élément aristocratique ; car Jésus-Christ a fait de son Eglise un royaume et un bercail ayant à sa tête s.iinl Pierre chef unique et pasteur suprême, mais les évéques n’en sont pas moins, de droit divin, vrais pasteurs et princes, non pas simples vicaires, dans leurs <'^lis « s particulières. Recognilio, de summo ponti/ice, 1. V, c. m. Saint Pierre, ayant fixé son siège à Home, a transmis sa primauté aux pontifes romains, ses successeurs.

La première fonction du pape est d’instruire ; à ce titre il est juge souverain dans les questions qui concernent la foi et les mœurs. De là son infaillibilité quand, pasteur suprême, il enseigne toute l'Église en matière de foi ou détermine un principe en matière de mœurs. C’est là une doctrine tout à fait certaine et qu’il faut tenir, certissima et asserenda. De romano ponlif., 1. IV, c. n. A l’endroit correspondant de la Recognilio, Beflarmin remplace même le mot ojnnio, dont il s'était servi dans les Controverses, par celui de sententia, ce dernier terme n’impliquant pas la nuance d’incertitude qui s’attache au premier. Les conciles généraux sont subordonnés au pape ; son approbation est nécessaire, pour que leurs décrets en matière de foi puissent être considérés comme infaillibles. De conciliis, 1. II, c. n sq. Mais le privilège de l’inerrance ne s'étend pas aux jugements qui portent sur de simples questions de fait, où tout repose sur des informations et des témoignages d’ordre purement humain. De romano pontif., 1. IV, c. n. Bestriction dont les jansénistes ont abusé et que, pour cela même, les adversaires de Bellarmin ont attaquée comme dangereuse ; mais le cardinal Calvachini s’est contenté de répondre que, la doctrine étant vraie, l’abus ne saurait être imputé qu'à la mauvaise interprétation des hérétiques. Relatio, n. 278. Autre chose sont les faits purement personnels dont parle l’auteur des Controverses, autre chose les faits dogmatiques dont il s’agissait dans la querelle janséniste. A plus forte raison, le privilège de l’inerrance ne s’applique pas au pape parlant et écrivant comme particulier ou docteur privé ; pourrait-il alors non seulement se tromper, mais tomber dans l’hérésie formelle ? question secondaire, où la négative paraît probable et se peut tenir pieusement. De romano pontif., 1. IV, c. vi. Le déraisonnable serait de confondre l’impeccabilité avec l’infaillibilité. Le pape est homme et, comme tel, peut pécher, avaient objecté les théologiens de Venise dans leur 12e proposition : rien de plus vrai, répliqua le cardinal controversiste, t. vii, col. 1108. Dans l’exercice même de son suprême magistère, le pape n’a pas à compter sur des révélations spéciales, il ne doit pas se fier exclusivement à son propre jugement, mais il doit recourir aux moyens ordinaires pour parvenir à la connaissance de la vérité. De concilias, 1. I, c. xi. Telle est, dans son ensemble, la doctrine de Bellarmin sur l’infaillibilité pontificale ; doctrine qu’un théologien protestant, le D r Hauck, trouve singulièrement modérée. Realencyclopadic fur protestantische Théologie und Kirche, 3e édit., Leipzig, 1897, t. il, p. 551.

La seconde fonction du pape est de régir le troupeau de.lésus-Christ ; il possède à cette fin la plénitude de la juridiction ecclésiastique. Comparé sous ce rapport aux autres évéques, il les dépasse non seulement par l'étendue et l’efficacité', mais encore par l’origine de son pouvoir ; seul en effet il tient immédiatement de Jésus-Christ sa juridiction, tout autre évêque reçoit la sienne par son entremise. Bellarmin voit là une conséquence du régime monarchique de l'Église. De romano pontif., 1. IV, c. xxii sq. Comparé à l’ensemble de l'épiscopat, même réuni en concile, le pape garde la supériorité ; les évoques sont, à la vérité, de vrais juges de la foi, mais leur jugement reste toujours subordonné à celui du docteur suprême, De conciliis, 1. II, c. xv sq. ; dans la controverse vénitienne, Responsio ad libellant Jo. Gersonis, et Responsio ad tractatum septem theologorum, prop. 9, t. vil, col. 1073 sq., 1096 sq. Le vicaire du Christ n’est justiciable d’aucune juridiction humaine. De romano pontif., 1. II, e. XXVI. Un seul cas paraît faire exception, celui où un pape tomberait formellement dans l’hérésie ; alors il pourrait être déposé par un concile. Mais l’exception n’est qu’apparente ; la vérité est que par le l’ait nn’ii..' de l’hérésie, il cesserait d'être membre de l'Église, et le concile le déclarerait plutôt déchu du