Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.djvu/286

Cette page n’a pas encore été corrigée

63

BELLARMIN

564.

4° Légation de France, 15C0. — Après le meurtre du roi Henri III, accompli le 2 août 1589, Sixte-Quint résolut d’envoyer en France le cardinal camerlingue, Henri Gaétani, avec le titre de légat apostolique et la mission d’étudier l’état des esprits, de protéger au mieux les intérêts du catholicisme et de faire autant que possible œuvre de paix, tout en conservant vis-à-vis des partis une entière indépendance. Comme le légat pouvait se trouver en face de questions juridiques et théologiques des plus graves, le pape voulut qu’il fût accompagné de savants prélats et que Bellarmin leur lut adjoint en qualité de théologien. Gaétani et ses auxiliaires partirent de Rome au commencement d’octobre et arrivèrent à Paris le 20 janvier 1590 ; ils y restèrent jusqu’à la fin d’août. Les incidents du voyage, le séjour à Paris dans l’inaction et les souffrances d’un siège rigoureux, puis la très grave maladie dont il fut atteint au retour, ont été racontés par Bellarmin lui-même dans son autobiographie, § 29-32.

Le légat avait pris à l’égard du roi de Navarre une attitude d’hostilité intransigeante, qui l’a fait juger sévèrement par les historiens français, et qui provoqua le mécontentement de Sixte-Quint. H. de l’Épinois, La légation du cardinal Gaétani en France, dans la E°vue des questions historiques, 1881, t. xxx, p. 460 sq., é ude résumée dans le livre du même auteur sur La Liqie et les papes, Paris, 1886 ; Caringi, Sixte-Quint et la Li ne, dans la Revue du monde catholique, 10 fi’vrie’et 10 avril 1867. De son côté, le théologien du légat n£ cacha pas sa sympathie pour le parti de la Ligue, et ] lus tard, dans la préface du tome iv de ses Controverses, il a rendu au cadinal Gaétani un bel hommage d’estime « t d’admiration. Mais, en pratique, il se renferma scrupuleusement dans le rôle qui lui avait été assigné par le pape. Consulté un jour par le légat sur une affaire purement politique, il fit cette réponse, au rapport d’un témoin, Pierre Seguier : « Monseigneur, comme je n’ai été envoyé en France que pour examiner les questions qui touchent au maintien de la religion et à ses progrès, je ne crois pas pouvoir sans désobéir m’occuperde celles où les intérêts temporels sont en jeu. » N. Frizon, Vie du cardinal Bellarmin, in-12, Avignon, 1827, t. i, p. 170. Pour le reste, il s’est rendu ce juste témoignage, qu’il ne lit rien qu’au nom du légat : Nihil ibi egit -A T. nisi nontine cardinalis legati. Des bruits alarmants ayant couru, comme celui d’un concile national où il serait question de créer un patriarche indépendant, il composa une lettre latine qui devait être adressée, au nom du cardinal, à tous les évêques français pour empêcher toute assemblée de ce genre. Le 4 août, il fut invité avec d’autres théologiens à répondre à ce problème délicat : « Les Parisiens encourraient-ils la peine de l’excommunication dans le cas où ils se soumettraient au Navarrais ? » Il se prononça nettement pour la négative. Henri IV sut gré à Bellarmin de sa conduite sage et réservée : devenu le roi Très Chrétien, il vit toujours dans le cardinal jésuite un ami, et ne se souvint point des attaques du controversiste contre le prince huguenot. "Voir, sur toute cette question, J.-B. Couderc, S. J., Le Vénérable cardinal Bellarmin, 1. II, c. xii, xiii, 2 in-8°, Paris, 1893.

5° Les Controverses à l’Index ; préface de la Vulgate, 1590-1592. — La mort de Sixte-Quint, survenue le 27 août 1590, mit fin à la légation du cardinal Gaétani et aux appréhensions que lui causait le mécontentement connu du rude pontife. Le théologien du légat n’avait pas non plus à se louer du pape défunt. Depuis trois ans, celui-ci avait fait travailler à la rédaction d’un nouvel Index, que vingt-deux nouvelles règles accompagneraient ; en 1590, l’ouvrage fut imprimé. Or, dans les rares exemplaires de cet Index qui ont survécu, on lit à la page 52, au verso : Roberti Bellarmini disputationes de controverses ckrislianx fidei adversus hujus temporis hsere ticos. Nisi prius ex snper’wribus regidis recognilss fuerint. Il s’agissait du i or tome des Controverses, paru en 1586. Le fait est indubitable, non moins que le motif de cette rigueur qui atteignait en même temps et pour la même raison un théologien dominicain de mérite, François de Victoria : Sixte-Quint avait trouvé que ces auteurs limitaient trop la juridiction temporelle du souverain pontife en affirmant qu’il n’avait pas le domaine direct du monde entier, et il avait, de sa propre autorité, fait inscrire les deux ouvrages à l’Index. Autob., § 33 ; Études religieuses, 1870, 4e série, t. v, p. 634 sq. ; Couderc, op. cit., t. i, p. 131 sq. Toutefois, un détail généralement omis doit s’ajouter : Sixte-Quint avait fait préparer, dès le 9 mars, la bulle qui devait donner au nouvel Index force de loi, mais il fat surpris par la mort avant que cette bulle eût été publiée. Aussitôt, les exemplaires imprimés de l’Index turent recueillis et, après un examen fait sur l’injonction du nouveau pape, Bellarmin et Victoria furent innocentés. Reusch, Der Index der verbotenen Bûcher, Bonn, 1883, t. i, p. 501 sq. Ainsi la condamnation voulue par Sixte-Quint ne tut ni réellement consommée sous son pontificat, ni sanctionnée par son successeur. C’est ce que confirme d’une manière explicite une lettre, écrite le 9 novembre 1590 par le général de la Compagnie de Jésus, Claude Aquaviva, au P. Ferdinand Alber, provincial de la Haute Germanie ; je donne le texte même de ce document inédit : De libro P. Belarmini Reverentia V. ila loqui videtur ac si putaret fuisse prohibitum, quod non ita est. Nam inter ceteras Dei providentias hœc fuit quod, cuni Sixtus incumberet inearn voluntatem eum prohibendi, immo jam index excusus esset, in quo ipse quoque nominabatur, tamen et ipse propter aliorum opérant a nobis interpositani aliquamdiu inhibuil’et suspendit, et multo magis eo nwrtuo cardinales, qui stalim revocarunt vel suspenderunt indicem Muni.

En 1591 et 1592, d’abord sous Grégoire XIV, puis sous Clément VIII, Bellarmin prit une part active à la préparation et à la publication de l’édition définitive de la Vulgate, dite sixto-clémentine. Ce qu’il pensait de l’édition sixtine, parue l’année précédente, nous est connu par une lettre qu’il adressa, en 1602, à Clément VIII : « Votre Béatitude sait à quel danger Sixte-Quint s’exposa lui-même et toute l’Église, lorsqu’il entreprit la correction des saints Livres d’après les lumières de sa science particulière, et je ne sais vraiment pas si jamais l’Église a couru un plus grand danger. » Cependant, quand il s’agit de reprendre le travail en sous-œuvre, l’auteur des Controverses conseilla de sauvegarder autant que possible la mémoire du pontife ; au lieu de prohiber publiquement sa Bible, mieux valait la corriger et la réimprimer sous le nom de Sixte lui-même. L’avis prévalut, et Bellarmin fut l’àme de la nouvelle commission qui, sous la présidence et dans la villa du cardinal Marc-Antoine Colonna, à Zagarolo, poursuivit rapidement le travail et l’acheva vers. le commencement d’octobre 1591. Autob., § 33.

L’édition sixto-clémentine ne parut cependant que le 9 novembre de l’année suivante, sous le pontificat de Clément VIII. Bellarmin est l’auteur de la Præfatio ad lectorem, qui parle de « fautes d’impression » dans l’édition sixtine et attribue à Sixte-Quint lui-même le projet d’une revision et d’une réimpression ; d’où, dans l’édition clémentine, ce titre de Biblia sacra vulgatse editionis Sixti pontipeis maximi jussu recognita. Grave question, où la véracité et la loyauté du serviteur de Dieu ont été mises en cause ; car ses adversaires ont révoqué en doute la résolution attribuée à Sixte-Quint, et opposé au passage de la préface de la Bible clémentine celui de l’autobiographie où il est parlé de « changements regrettables » et de fautes dues à la précipitation « soit des typographes, soit d’autres personnes > ;. Mais, sur le premier chef, le doute est arbitraire, et le témoi-