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BÉGHARDS, BÉGUINES HÉTÉRODOXES


et continentes reçurent différents noms vulgaires, spécialement ceux de béguins et de béguines » . P. Mandonnet, Les origines de l’ordo de pœnitentia, dans le Compte rendu du congrès scientifique international des catholiques tenu à Fribourg (Suisse). Sciences historiques, Fribourg, 1898, p 199. Il n’y a pas à s’arrêter à la légende, acceptée par certains écrivains, par exemple par Z. van Hotsum, Declaratio veridica quod beghinæ nomen, institution et originem habeant a sancta Beglia, Brabantiæ ducissa, Anvers, 1628, et par J.-G. Ryckel van Oorbeeck, Vita sanctse Beggæ, ducissse Brabantiæ, andennensium, begginarum et beggardorum fundatrids, Louvain, 1631, d’après laquelle les béguins et les béguines auraient procédé spirituellement de sainte Begga, fille de Pépin de Landen, abbesse d’un couvent de bénédictines à Andenne (province de Namur), et lui auraient emprunté leur nom. La forme de vie des béguines passe pour avoir été inaugurée, vers 1180, par un prêtre de Liège, Lamberl le Bègue. Cf. P. Fredericq, Note complémentaire sur les documents de Glasgoiv concernant Lambert le Bègue, Bruxelles, 1895. L’étymologie des mots béguin et béguine s’expliquerait-elle par le surnom de Lambert’.' Ou bien faudrait-il la voir dans le vieux mot allemand beggam, qui signifiait & mendier » ou « prier » ? Ou encore devons-nous dire qu’elle est, jusqu’à cette heure, inexpliquée ? Ces opinions diverses ont été soutenues. Quant aux béghards, ou begghards, bégards, béguards, beckards, leur nom, qui a la même étymologie, n’apparaît que vers le milieu du xiiie siècle ; primitivement ils ne se différencient pas des béguins. Les béguines sont quelquefois appelées beguttæ (d’où bigottes), sans doute de by Gott, en Bieu, et Svestrones, Zvestriones, de Schwester, sœur.

Peu à peu béguines, béguins et béghards se laissèrent aller à des théories qui leur attirèrent les condamnations de l’Église. Les noms sous lesquels on les désignait perdirent plus ou moins l’acception qu’ils avaient dès le principe. En particulier, la dénomination de béguins, « usuelle dans les actes de l’Inquisition comme dans les documents historiques, a été appliquée à diverses sectes ou sociétés religieuses, très différentes les unes des autres, qui ont été souvent confondues par les anciens auteurs les plus versés dans la classification des hérésies et par l’Église elle-même. » L. Tanon, Histoire des tribunaux de l’Inquisition en France, Paris, 1893, p. 79. Il importe donc de dissiper les équivoques et de bien délimiter le sujet de cet article.

Il y eut des béguines, des béguins et des béghards orthodoxes ; de ceux-là nous n’avons pas à nous occuper. Disons seulement que les derniers béghards orthodoxes, dits Zepperenses, parce que leur maison mère était à Zepper, dans les Pays-Bas, fuient réunis par Innocent X, en 1650, aux tertiaires franciscains de la Lombardie ; les béguines ont survécu en France jusqu’au règne de Louis XI, cf. Legrand, Les béguines de Paris, Paris, 1894, et en Belgique jusqu’à nos jours. D’une façon générale, les béguines délièrent moins que les béguins et les béghards de la foi catholique. Voir, en particulier, sur l’orthodoxie du béguirïage d’Hyères, transféré ensuite à Marseille, trois bulles de Jean XXII publiées par Albanès, Lu vie de sainte Douceline, p. 276-280, 299-300.

Les béguins hétérodoxes peuvent se classer en deux groupes principaux. Les premiers se confondent avec les franciscains spirituels ou fraticelles, et encore avec les membres du tiers ordre qui embrassèrent la cause des spirituels ; il faut leur joindre des personnages plus ou moins vagabonds et aux doctrines troubles qui se rattachaient abusivement au tiers ordre de saint François. L’appellation de béguins pour les désigner prévalut surtout dans le midi de la France ; c’est d’eux, par exemple, que parle Bernard Gui quand il nomme les béguins dans sa Practica inquisitionis /uniu-f pvavitatis, edit.

Douais, Paris, 1886, p. 2, 81, 93, 141-150, 261-287, 298299. Nous n’avons pas à traiter maintenant de ce premier groupe. Voir Fraticelles. Les autres ont des points de contact avec la secte des frères du libre esprit, et même dépendent d’elle dans une large mesure : ce sont eux qui plus communément sont appelés béghards, et dont il nous reste à étudier l’histoire et les doctrines. Ils envahirent principalement les Flandres, la France du Nord, l’Allemagne. Les béguines hétérodoxes marchèrent sur leurs traces, sans aller d’ordinaire aussi loin qu’eux.

De bonne heure, les béghards devinrent suspects ; beaucoup ne vécurent pas en communauté, mais isolément, menant une existence errante, prêchant sans contrôle. Ils lurent l’objet d’une série de mesures coercitives. En 1290, des béghards et des béguines furent arrêtés à Bàle et à Colmar comme hérétiques. Le concile d’Aschaffenbourg (Bavière), en 1292, flétrit les béghards et les béguines. En 1306, l’archevêque de Cologne, Henri de Virnebourg, dans un concile provincial, taxa les béghards d’hérésie et leur reprocha des attaques contre les lranciscainset les dominicains. L’apaisement ne se fit pas ; en 1308, Duns Scot arrivait à Cologne pour défendre lesordresrnendiants, mais il mourut l’année même, sans avoir eu le temps de combattre à fond les béghards. Cf. Wadding, dans Joannis Duns Scoti opéra omnia, Lyon, 1639, t. i, p. 12-13. En 1310, la béguine Marguerite Porete, originaire du Hainaut, fut brûlée à Paris, cf. Ch.-V. Langlois, Bévue historique, Paris, 1894, t. liv, p. 295-299, et deux conciles, l’un à Mayence, l’autre à Trêves, portèrent contre les béghards des condamnations nouvelles. En 1311, le concile œcuménique de Vienne, à la demande des évêques d’Allemagne, condamna solennellement les béghards hérétiques, dont il catalogua les erreurs principales, et décréta la suppression des béguinages où se répandaient des erreurs contraires à la foi ; en même temps, il recommandait de ne pas maltraiter les béguines fidèles qui, ayant voué ou non la continence, vivraient honnêtement dans leurs hospices, faisant pénitence et servant le Seigneur en esprit d’humilité. Le recueil des constitutions du pape Clément V, connu sous le nom de Clémentines, et qui renferme les décisions du concile de Vienne, ne fut publié officiellement que par Jean XXII, le 25 octobre 1317. Cf. F. Ehrle, Archiv fur Litteratur und Kirchengeschichte des Mittelalters, Berlin, 1885, t. I, p. 541-542. Un peu avant cette date, Jean de Dùrbheim, évêque de Strasbourg, inaugura contre les béghards de son diocèse, et leurs adhérents assez nombreux, prêtres, moines, gens mariés, un ensemble de mesures qui « peuvent être considérées comme le premier acte de l’Inquisition épiseopale organisée sur le sol allemand » . H. C. Lea, Histoire de l’Inquisition au moyen âge, trad. Sal. Reinach, Paris, 1901, t. il, p. 143 ; cf. Bosenkrànzer, Joliann I von Strassburg gennant von Dùrbheim, Trêves, 1881. A la suite de la publication des Clémentines, les béguinages furent soumis à une répression excessive et généralement mal justifiée, des béghards furent molestés qui étaient innocents : Jean XXII dut intervenir en faveur des béghards et des béguines dont la vie était pieuse et paisible.

La difficulté fut toujours grande de distinguer les béghards orthodoxes des hérétiques, et, selon qu’on se croyait en présence des uns ou des autres, se produisirent des alternatives de rigueur ou de tolérance. Citons seulement les principaux épisodes. En 1325, on découvrit et chàlia des béghards hérétiques à Cologne, l’un des boulevardsdu béghardisme. Maître Eckart prêchait alors à Cologne ; il est possible que ses idées, plus ou moins entachées de panthéisme et qui, à ce titre, ne sont pas

sans oflrir des ressemblances avec quelques-unes des spéculations des béghards, aient encouragé secrètement ceux-ci dans leur système, ou même qu’ils se soient