Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.djvu/253

Cette page n’a pas encore été corrigée
497
498
BÉATIFICATION — BÉATITUDE

’voir Fornari, Codex pro postulatoribus causarum beatiflcationis et canonizationis, in-8° Rome, 1899 ; M 1’Battandier, Annuaire pontifical catliulique, Paris, 1903, p. 384-400.

T. Ortolan.

    1. BÉATIFIQUE (Vision)##


BÉATIFIQUE (Vision). Voir Intuitive (Vision).

1. BÉATITUDE.

I. Notion. II. Le problème de la béatitude chez les philosophes anciens. III. Données scripturaires. IV. Doctrine des saints Pères. V. Saint Thomas d’Aquin. VI. Théologiens scolastiques. VII. Décisions canoniques.

I. Notion.

La béatitude, dans son sens le plus général, est la possession parfaite du souverain bien par la créature douée d’intelligence et de volonté libre. Les théologiens l’envisagent à deux points de vue : 1° Comme état concret des bienheureux, anges et hommes, tel que le reconnaît et l’enseigne la foi catholique. C’est le bonheur du ciel, la vision béatifique, la vie bienheureuse, éternelle, future, etc. On exprime cet état en grec par aaxaptÔTo ;, en latin par beatitudo, félicitas, vita, en ajoutant à ce dernier mot un qualilicatif qui indique qu’il s’agit du bonheur de l’autre vie. Nous ne nous occuperons pas dans cet article de cet aspect de la béatitude pour lequel nous renvoyons aux mots Ciel, Intuitive (Vision), Vie éternelle, Corps glorieux, Eschatologie. — 2° Comme acte humain par lequel l’être intelligent et libre entre en possession plénière de sa fin, du bien dernier auquel le destine sa nature. La béatitude, ainsi entendue, coïncide avec la notion de possession du souverain bien, notion dont la détermination est le principal objet de la morale antique. On l’exprime, en première ligne, en grec par le mot e’JSaqxove’a, en deuxième ligne seulement par le mot [/.ay.apiôrrçç’; en latin par le mot beatitudo en première ligne, félicitas en seconde ligne, bien que ce dernier mot traduise aussi le mot grec e-jTir/îa (bonne fortune, bonheur), lequel sniible réservé pour exprimer le bonheur terrestre, beatitudo secandumquid des scolastiques. Voir Bonheur. Ces acceptions verbales sont communes aux philosophes anciens et aux auteurs ecclésiastiques. Nous autorisant de l’exemple de saint Thomas d’Aquin qui, dans la Somme lliéologique, sépare l’aspect eudémoniste et moral de la question de son aspect eschatologique, examinant le second, I a, q. xii ; IID, Stqiplem., q. lxxv-lxxxiv, tandis qu’il offre un traité complet d’eudémonisme, I « II 1’, q. i-v, nous ne nous occupons dans cet article que de l’aspect moral de la béatitude.

II. Le problème de la béatitude chez les philosophes anciens. — Nous ne nous occuperons que de ceux qui ont exercé une influence sur la théologie morale de la béatitude. Or, si les philosophes antérieurs à Socrate, Pythagore en particulier, se sont préoccupés du problème (Aristote, Et/iic. Nicom., I, 6, n. 7, (’dit. Didot, t. il, p. 4), on ne voit pas que leurs doctrines aient influencé les théologiens. Platon et Aristote sont les véritables sources philosophiques antiques de la pensée chrétienne. Il faut leur adjoindre l’éclectique Cicéron, et les chefs des trois écoles néoplatoniciennes, Philon le Juif, Plotin et Proclus.

1 » Platon. — 1. La doctrine. — Comme Aristote, Platon débute par cette constatation que tous les hommes désirent le bonheur. La béatitude ou bonheur parfait ne se trouve que dans la contemplation du bien. Le bien est l’idée suprême, cause de tout ce qui, dans le monde

sensible, est beau et bien. Il est dans le monde intelligible ce que le soleil est dans le monde sensible. Lesoleil engendre la lumière et l’œil qui la voit. Ainsi le bien engendre la vérité des choses et l’intelligence qui regarde cette vérité. Mais les hommes, plongés dans leurs -ont à l’égard de la vérité comme des prisonniers immobilisés, condamnés à regarder le tond d’une caverne obscure, sur lequel se projetteraient les ombres d’objets de toutes Cgures, que des hommes dissimulés

par un mur promèneraient derrière eux, entre eux et un loyer de lumière. Ils ne connaissent ni les objets en eux-mêmes, les idées, ni le foyer qui les éclaire, l’idée du bien, de laquelle cependant dépend leur bonheur. Ils seraient d’ailleurs incapables, habitués qu’ils sont à ne regarder que des ombres de vérité, de fixer le foyer, si brusquement on les délivrait de leurs chaînes. D’où laméthode dialectique, qui consistera à les habituer peu à peu à se libérer en se séparant des choses sensibles (côté négatif de ! a morale), et à se tourner vers les idées, en commençant par celles qui sont le moins rapprochées du foyer du bien. Pour y parvenir on contemplera dans les sciences mathématiques et dans les arts, ces « mélanges d’idées » , encore prises dans la gangue sensible, qui déjà offrent de l’analogie avec l’idée du bien. Par la gymnastique corporelle et la vertu on se refera un tempérament moral. On arrivera ainsi, de proche en proche, à s’imprégner de ressemblance avec le bien, avec Dieu. Ce sera le bonheur tel qu’il est permis d’y aspirer sur la terre, bonheur consistant dans la liberté, dans la connaissance perfectionnée, dans la bonne vie, dans la sagesse, dans l’avoir à soi le bien et la beauté, bonheurexcluant l’injustice et la méchanceté, mais non le malheur corporel et terrestre, lequel peut aller jusqu’aux derniers supplices, jusqu’au crucifiement, sans rien faire perdre à l’homme de son bonheur. Le bonheur parfait n’est pas de ce monde. C’est dans l’autre vie, à laquelle peut aspirer l’âme immortelle, qu’il sera réalisé dans : l’union directe avec l’idée du bien par la contemplation.

Platon, Opéra omnia, 1578 (édition dont la pagination est reproduite à l’angle intérieur des pages de l’édit. Didot, Paris, 1856) : Sophiste, t. i, p. 233 ; Euttiydémc, 1. 1, p. 278-282 ; Philèbe, t. ii, p. 11, 13, 20, 28, 60 ; Lysis, t. ii, p. 207 ; Banquet, t. iii, p. 202 ; République, 1. II, t. il, p. 254 ; 1. IV, p. 420 sq. ; 1. VI, p. 505 ; 1. VII ; Les lois, t. ii, p. 661, 973 ; Brucker, Hist. crit. philos., Leipzig, 1742, t. H, De Platone, p. 627 ; Ritter, Hist. de la philos., hml. franc., Paris, 1835, t. ii, Dialectique de Platon ; Morale de Platon, p. 187-285, 329-390 ; Ed. ZeUer, Die Philosophie der Griechen, 4’édit., Leipzig, 1889, part. II, sect. i, Socrate et Platon, ꝟ. 867-885 ; Uberwegs-Heinze, Grundriss der Gesch. der Philos., Berlin, 1894, t. i, p. 165-176, 181-189 ; card. Gonzalez, Hist. de la phil., trad. franc., Paris, 1890, t. I, p. 257 sq.

2. Importance de Platon pour la théologie de la béatitude. — Les doctrines de Platon, tant par ses propres écrits que par ceux des néoplatoniciens, ont inspiré plusieurs Pères, surtout saint Augustin et le pseudo-Denys l’Aréopagite. Pierre Lombard en a puisé l’esprit et les principales théories dans saint Augustin et les a inoculés à tous ses commentateurs. Saint Thomas connaît plusieurs ouvrages de Platon qu’il cite, mais il communique avec lui surtout par saint Augustin, le pseudo-Denys et Proclus. Il le corrige d’ailleurs par les critiques nombreuses de ses ouvrages qu’il emprunte à Aristote. Platon, ainsi assimilé et corrigé par saint Thomas, continue d’exercer son influence sur les commentateurs du docteur angélique.

Aristote.

1. Exposé de sa doctrine. — Sa doctrine

de la béatitude est contenue dans le I or livre de l’Ethique à Nicomaque et dans les chapitres vi, vii, VIII du Xe livre du même ouvrage.

Aristote sépare, plus nettement que Platon, la métaphysique du bien de la question du souverain bien de l’homme ou béatitude. La question du bien en soi est renvoyée à plusieurs reprises à la Métaphysique, 1. XI, c. x ; î. XIII, c. v, vi, édit. Didot, t. ii, p. 609, 635, tandis que la question du souverain bien de l’homme, de la béatitude, est considérée comme le fondement même de l’éthique, d’où le prologue de l’Éthique à Nicomaque, où, partant de ce fait que tout art et toute méthode, toute action comme toute élection, se font en vue du bien, àyaOoû tivo ; èçieirOac SoxeT, le philosophe émet l’idée d’uni’science qui aurait pour objet propre cet appétil du bien considéré dans les actions humaines, principalement dans les actions sociales, qui sont pour lui