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BACON


loc. cit., p. 510. Lui-même, bien qu’il snil plein de son sujet, se juge inférieur à ce personnage fameux. Cependant, quand il plaira au pape de l’ordonner, il est prêt à l’aider à faire le relevé détaillé de tous les passages altérés de la Bible et à prouver quelle doit être l’exacte leçon. Op. maj., part. III, c. v ; Op. min., p. 'XV>.

Il est regrettable que l’ordre ne soit pas venu. Dans ses trois opéra, où il examine quantité de textes, Bacon justifie amplement chacune de ses critiques. Il ne corrige aucun passage sans faire appel à la grammaire, aux anciens manuscrits latins, au texte original grec ou hébreu, et à tout autre élément qui lui permette un jugement sur. Cf. Op. maj., part. III, c. v-x ; part. IV, p. 221, 222 ; Op. min., p. 331, 332, 351, 352 ; Op. lert., p. 235, 244, 245, 250, 251-254 ; Comp. studii, p. 440, ’177-’182, 518. Sa science est vaste, sa méthode rigoureuse, sa critique irréfutable. Il était l’homme tout désigné. On peut présumer que, s’il eût exécuté l’œuvre proposée, il eût reconstitué la Vulgate dans un meilleur état. Malheureusement Clément IV ne tarda pas à mourir, et le projet fut abandonné pour de longs siècles.

Quoi qu’il en soit, Bacon reste incontestablement l’un des plus grands maîtres de la critique biblique, tant pour l’interprétation du texte que pour sa fixation. Et si un jour l’Eglise croit le moment venu d’achever l’œuvre de correction commencée par Sixte V et Clément VIII, les principes, les observations et les vues de l’illustre docteur seront des guides assurés et des auxiliaires précieux pour les ouvriers de cette grande entreprise. D’ailleurs, ces mêmes ouvriers auront leur travail préparé admirablement par deux franciscains du xiiie et du xive siècle, Guillaume de Mara et Gérard de Huy. Tous deux, rompant avec les méthodes de leurs devanciers, firent l’application rigoureuse des règles tracées par Bacon. Avec une intelligence rare, une érudition incroyable et un grand jugement, ils composèrent des correctoria que les érudits s’accordent à regarder comme les meilleurs. Cf. Denifle, Archiv f. Litteratur u. Kirchengescli., t. IV, p. 277 sq. ; S. Berger, Quam notifiant linguae hebraicee habuerunt c/iristiani medii sévi, Paris, 1893, p. 20.

V. Bacon et la scolastique.

Tel qu’il fut envoyé à Clément IV, l’Opus majus se terminant par un épilogue dans lequel, mettant à nu les défectuosités de l’enseignement théologique en 1207, Bacon signalait au saint et docte pontife de bien graves abus relatifs aux programmes d’étude et aux méthodes, tam in substantiel Studii (jiiam in modo sludendi. English hist. rev., loc. cit., p. 509. Faute d’édition complète de l’ouvrage, cet épilogue, qui serait très utile pour l’histoire de la scolastique, est resté inédit. Les pages correspondantes, peut-être encore plus fortes, de YOpus terlium, ont eu un sort identique. Cf. Op. tert., p. 87, 88, 205, 304, 309. Quoiqu’ils ne soient qu’un simple résumé de l’Opus majus, les fragments publiés de l’Opus minus permettent heureusement de suppléer un peu à ces lacunes regrettables. Nous en ferons l’analyse succincte, mais fidèle. On verra de la sorte si les écrits de Bacon sont une mine riche pour qui veut juger sainement le xine siècle.

I" Les péchés de ta théologie au xiue siècle. — « Sept péchés capitaux, dit Bacon, vicient les études de théologie. Le premier consiste dans la prédominance de la philosophie sur la théologie, si bien que la majeure partie, major pars, des questions que traitent les théologiens, y compris les arguments et les solutions, ne sont que desquestions purement philosophiques. Dans n’importe quel cours sur les Sentences, il y a une foule de discussions sur les astres, la matière, l’être, les espèces et les similitudes des choses, la genèse de nos connaissances, l’œvum, le temps, le lieu et le mouvement des esprits, discussions qui ont leur place toute trouvée en philosophie. De plus les questions essentiellement théologiques, telles les questions sur la trinité, l’incarnation,

les sacrements, ne sont pas traitées autrement que les questions de pure philosophie : autorités, arguments, terminologie, tout ou presque tout est philosophie. II n’appartient pas au théologien de se livrer ainsi ex professo à des dissertations philosophiques ; son devoir est de les résumer brièvement, breviler recitare, et de s’en servir comme point de départ. C’est un contresens et un désordre de donner le principal rôle, ex principali inlentione, principali inguisitione, principaliter, à la philosophie. » Bacon ne contredit pas, on le voit, ses idées sur l’alliance de la philosophie et de la théologie ; il veut seulement qu’en théologie on parle théologie et non philosophie. En vérité, il vise au cœur la méthode scolastique. « Le second péché consiste dans l’ignorance des sciences les plus nobles et les plus utiles au théologien. Au lieu de la linguistique, des mathématiques, de la chimie, de la physique, de l’expérimentation et de la morale, d’où découlent tous les biens du corps, de l’àme et de la fortune, les théologiens cultivent quatre sciences de minime importance, scientise viles : la grammaire latine, la logique, un peu de philosophie naturelle, et une partie de la métaphysique. Quelle folie de perdre son temps en des matières si peu utiles, immergi scienliisvanissiniis, et de négliger celles qui offrent tant d’avantages ! » Ce péché explique le précédent. La théologie bien comprise demande le concours d’une foule d’autres connaissances scientifiques. Les docteurs du xiiie siècle ne les possédant pas, n’en soupçonnant pas l’utilité, les traitant même avec mépris, avaient toute latitude pour donner libre jeu aux exercices de l’esprit, qui n’est jamais à court pour raisonner. Voilà comment ils sont en général plus philosophes que théologiens. Si nous disons qu’ils méprisaient les sciences, nous ne faisons que reproduire la pensée de Bacon. « Tous les modernes, écrit-il, sauf un petit nombre, n’ont que du dédain pour les sciences en question ; volontiers ils en disent du mal ; les théologiens de la nouvelle école surtout ne cessent de parler contre. » Comp. studii. phil., c. VI, p. 433. On voit si la déconsidération de la scolastique devant la science date de haut. « Le troisième péché consiste dans l’impossibilité où sont les théologiens de bien savoir les quatre sciences en honneur parmi eux. Ne comprenant oas dans son texte original le livre qu’ils étudient ou commentent, ils acceptent forcément une quantité de choses fausses ou futiles, ils prennent le douteux pour le certain, l’obscur pour le clair, le superflu pour le nécessaire. Ainsi ils finissent par encombrer la théologie d’idées philosophiques erronées ou défectueuses. » Et pour ajouter au piquant de cette argumentation, Bacon entre dans des détails intéressants qui nous font saisir au vif ce qu’était le XIIIe siècle. Il s’empare de deux personnages célèbres entre tous, fait l’histoire de leur passé, pèse leurs mérites au poids d’une critique impitoyable, et n’arrête sa plume qu’après avoir bien indiqué la mesure de science qu’il faut leur reconnaître. On a vu rarement portraits aussi vigoureusement burinés. Nous y reviendrons tout à l’heure. « Le quatrième péché consiste dans la préférence accordée au livre des Sentences sur le texte de la Bible. Les théologiens y mettent toute leur gloire. A peine l’ont-ils lii, qu’ils se croient déjà maîtres en théologie, bien qu’ils ne comprennent pas encore la trentième partie du texte sacré. A Paris, le bachelier qui lit la Bible doit céder le pas au lecteur des Sentences. Partout et en tout celui-ci a les honneurs et les faveurs. Il choisit son heure de leçons, il a son socius, sa chambre. Quant au lecteur de la Bible, il ne jouit d’aucun privilège ; à la merci du lecteur des Sentences, il mendie son heure de classe. Il est donc évident que la Bible, texte (le la faculté de théologie, a cédé au livre des Sentences la place que lui accordaient les statuts, la