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BACON


prévaloir. « Partout, dit-il, où régnent de tels abus, les meilleurs arguments sont inutiles, le bon sens périclite, la raison s’égare, l’erreur prévaut, la vérité s’évanouit, le progrès est impossible. Ayons donc le courage de nous appuyer sur des autorités vraies, de préférer la solide raison à la coutume et de ne pas tenir compte des jugements de la foule. De plus, ne traitons qu’avec respect les anciens ; soyons-leur reconnaissants de nous avoir frayé la route ; mais n’oublions pas qu’ils se sont trompés plus d’une fois ; par conséquent, n’hésitons pas à les contredire quand il le faut. Évitons ce misérable argument : les anciens l’ontdit ; c’est la coutume ; c’est l’opinion commune ; di ne c’est la vérité. Sachons aussi nous avouer que notre science est bornée. » Tels sont les préceptes de sage indépendance que Bacon adressait aux philosophes et aux théologiens de son temps, préceptes qui furent, sa vie durant, la règle de sa conduite. La première partie de YOpus majus, cf. Op. tert., c. xii ; Comp. studii phil., c. i-v, p. 393-492, pourrait, de nos jours encore, dissiper bien des préjugés et mettre fin à bien des engouements.

Ces quatre sources d’erreurs philosophiques et théologiques définitivement éliminées, le savant auteur montre les avantages des sciences sans lesquelles il est impossible d’avoir la connaissance parfaite de la philosophie, et conséquemment de la théologie. Tout d’abord, nous l’avons vii, il faut savoir les langues, en particulier le grec, l’hébreu, l’arabe ; il faut savoir ensuite les mathématiques et les sciences physiques ; la métaphysique et la philosophie morale formeront le couronnement et le terme de tout cet édifice laborieusement construit. Manifestement ce programme élargissait les cadres du trivium et du quatrivium : il marque une étape dans le développement des connaissances humaines. En signalant la morale comme le but et le seul résultat profitable de toute spéculation et de toute recherche, Bacon occupe par là encore une place à part dans le xiiie siècle. Cette direction qu’il imprime aux études vers un idéal de vie religieuse, sociale et privée, ne se renferme pas dans l’ordre purement naturel : la droite raison conduit inéluctablement à la connaissance de la vérité révélée. Voilà comment après avoir condensé les plus beaux textes de l’antiquité païenne, de Sénèque en particulier, sur Dieu, la société et l’individu, Bacon fait servir cette même philosophie morale à jeter les bases d’une démonstration évangélique. Ainsi il met à l’œuvre ses principes sur les rapports de la raison et de la foi ; ainsi il achève de ruiner l’assertion des écrivains qui parlent de sa tendance à amoindrir la raison, l’autorité et la théologie qui l’accusent d’avoir imprimé une direction naturaliste à la scolastique. De Wulf, op. cit., p. 217.

Les lois qui règlent les rapports de la philosophie et de la théologie sont commentées dans la deuxième partie de YOpus majus. C’est là qu’il faut se reporter pour apprécier sainement la façon de les concevoir de Bacon. De même que les sciences naturelles, quoique distinctes et subordonnées les unes aux autres, ont des points communs d’où naissent entre elles des relations de mutuelle dépendance ; de même, placées en face de la vérité révélée, elles conservent à son endroit un double rapport d’unité et de dépendance réciproque. « Toutes les sciences, écrit-il, sont comme un rayon de l’éternelle sagesse ; un rellet de la divine clarté, qui illumine les intelligences. Op. maj., part. II, c. v. Les philosophes païens n’auraient jamais acquis tant de connaissances sans la révélation de Dieu qui s’étend jusqu’aux vérités d’ordre naturel, lbid., c. vi.- D’ailleurs l’histoire de la philosophie profane montre que les sages de l’antiquité sont tous postérieurs aux patriarches et aux prophètes de l’Ancien Testament, auxquels ils sont beaucoup redevables, lbid., c. x-xiv. Les chrétiens doivent faire usage de la philosophie en théologie et de

la théologie en philosophie : les deux sciences doivent se compénétrer intimement, tout en restant dans leur sphère respective. Chez eux, la philosophie doit embrasser plus de vérités transcendantes que chez les païens. Ainsi donc, considérant la philosophie comme nouvellement découverte, ajoutons-y bien des vérités que le paganisme n’a point soupçonnées et qui pourtant rentrent dans le domaine de la philosophie. » lbid., c. xv-xix ; cf. J. H. Bridges, op. cit., t. H, p. 224, 220, 228, 229, 231, 232, 366, 373, 383. Quel scolastique a plus élargi l’influence de la raison ?

Si la théologie chrétienne ajoute aux enseignements de la philosophie, celle-ci à son tour doit s’employer au service de la première, dont elle est la servante, ancilla. A elle d’aider à la comprendre, à la divulguer, à la démontrer et à la défendre, lbid., c. I, ii, iv, vii, viii, xiv ; Op. tert., c. x, p. 32. Alors seulement elle atteindra son but. C’est dans l’art oratoire, l’apologie, la théologie et l’exégèse que Bacon met les ressources de la science et de la raison plus directement au service de la foi.

1. Il emploie cette belle comparaison, Op. tert., c. i, p. 4, pour glorifier l’éloquence : « La science sans l’éloquence est comme un glaive entre les mains d’un paralytique ; de même l’éloquence sans la science est comme un glaive dans les mains d’un fou furieux. » L’art oratoire étant fort négligé au xiiie siècle, Bacon attire l’attention du pape sur ce point. De plus, il expose des règles d’éloquence qu’il nous est impossible de juger, la cinquième partie de la philosophie morale qui les contenait ne nous étant pas parvenue.

2. La quatrième partie, où sont développées les grandes lignes d’une apologie de la religion chrétienne, manifeste davantage le rôle de la raison au service de la foi. On ne reconnaît pas à la raison le droit de comprendre l’objet révélé, mais celui de fournir à la faiblesse humaine les motifs de crédibilité au moyen desquels elle justifiera sa croyance. L’argumentation de Bacon repose sur ces arguments : la supériorité de la religion chrétienne sur toutes les autres, la divinité de son auteur, la sainteté de sa morale, le témoignage que lui ont rendu les prophètes et les siècles postérieurs. Les livres d’apologétique n’ont fait que reprendre ces chefs de preuve. Dans Bacon, ils constituent déjà les éléments d’une vraie science. — La vérité de la religion chrétienne prouvée, notre docteur s’attache particulièrement à défendre le sacrement de l’eucharistie, que « les uns nient, dit-il, qui paraît douteux aux autres, que ceux-ci admettent avec difficulté, que ceux-là sentent imparfaitement, que peu enfin reçoivent aisément et gardent dans la pleine paix et la suavité du cœur » . Il étudie ce mystère d’amour, avec tout son cœur, et l’on constate combien il sait allier la science à une piété tendre et solide. Cf. Op. tert., c. xli, l, p. 145-148, 188 ; Comp. studii phil., c. I, p. 400.

3. La théologie et la Bible ont été le but de tous ses efforts. C’est pour leur donner un nouveau lustre qu’il pousse à l’étude des langues, à la culture des sciences. L’idée mère de tous ses livres est que ces connaissances délaissées ou méprisées parles théologiens de son temps sont de la plus évidente utilité. Les exemples qu’il apporte, Op. maj., part. IV, p. 181, 182, 223, montrent qu’il avait raison. C’est surtout dans l’étude de la Bible, la théologie par excellence, qu’il est précis. En rassemblant les données éparses dans les trois opéra, on aurait sans peine tous les éléments d’une excellente introduction à l’Écriture sainte. L’exégète doit porter avant tout son attention sur le sens littéral avec l’aide des langues et des sciences. « Il est impossible, écrit Bacon, d’interpréter la Bible, tant qu’on ne sait pas la lire et la comprendre dans le texte hébreu ou grec. » Op. tert., p. 265. Ce principe, admis sans conteste aujourd’hui, ne l’était pas au xiiie siècle. Cf. Op. maj.,