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BACON


langues qui s’impose. « Il faut, observe Bacon. Op. tort., c. xxviii, que les Latins passent par cette porte du savoir, la première de toutes, eux surtout dont la langue dérive presque en entier des idiomes étrangers, et qui, en théologie comme en philosophie, n’ont d’autres textes de leurs cours que des livres rédigés primitivement en hébreu, en grec et en arabe. » Dans ces paroles on entrevoit déjà les deux raisons fondamentales et péremptoires de son vibrant plaidoyer.

Depuis sa jeunesse il s’était adonné aux recherches philologiques. Aussi affirmait-il à bon droit que la linguistique lui était chose facile, presque jeu d’enfant, facilis et puerilis. Il parle, en effet, du chaldéen et de l’arabe en homme instruit ; outre l’anglais, le français et le latin, Conip. studii phil., c. vi, p. 433, il possède l’hébreu, mais surtout le grec. La même heureuse idée qui lui fit intercaler dans VOpus majus, part. III, c. iii, l’alphabet hébreu avec sa prononciation et l’emploi des points-voyelles, lui fit aussi ajouter la prononciation du grec. Cf. Camp, studii phil., c. ix-xi, p. 41)3-518. Il rédigea une grammaire grecque, publiéeparleP.Nolau. De l’étude particulière des grammaires, arabe, chai-. déenne, hébraïque, grecque et latine, il s’élève à la théorie générale du langage. Il s’était ouvert les deux sources d’où elle découle : la comparaison positive de plusieurs idiomes, et l’analyse philosophique de l’entendement humain, l’histoire de ses facultés et de ses conceptions. Il compare donc les vocabulaires, rapproche les syntaxes, recherche les rapports du langage et de la pensée, mesure l’influence que le caractère, les mouvements, les formes si variées du discours exercent sur les habitudes et les opinions des peuples. Il creuse des questions comme celles-ci : Quelle fut la première langue parlée ? Comment Adam donna aux êtres leur nom ? Comment des enfants élevés au désert se communiqueraient leurs impressions etquelle forme de langage ils emploieraient ? Op. tert., c. xxvii.

Bacon n’eut pas de peine à convaincre ses contemporains des services que l’étude des langues peut rendre à la science. Indiquons brièvement ses principaux chefs de preuve : 1. Le génie d’une langue ne passe pas dans l’autre ; fi est manifeste qu’on ne trouve pas dans les traductions le charme, la force, la tournure, le précis de l’original. Op. niaj., part. III, c. i. — 2. Les traductions en usage sont très fautives ; de plus, elles ont conservé beaucoup de termes primitifs qui n’avaient pas leur équivalent en latin, et chaque traducteur y met souvent du sien. Ibid. — 3. Les Pères et les commentateurs emploient dans leurs travaux une foule de mots él rangers : qui pourra les lire ? et pourtant ne sommes-nous pas les fils des saints ? ne succédons-nous pas aux savants anciens 1 1bid., c. m. — 4. Un nombre considérable d’ouvrages de théologie et de philosophie ne sont pas encore traduits ; faudra-t-il les laisser dans l’oubli et ne pas en tirer profit’.' Ibid., cil. — 5. Une correction de la Bible et des autres traductions en cours est urgente, tant les erreurs et les fautes y abondent ; comment l’entreprendre ? Ibid., c.iv, v. —6. L’interprétation des textes requiert de toute nécessité qu’on recoure à l’original pour enlever les ambiguïtés et dissiper les doutes. Ibid., c. vi. — 7. Il est impossible d’avoir la science du latin sans la connaissance des langues desquelles il dérive. Ibid., c. vi-x. Cf. Conip. studii plat., c. vi-vin, p. 435-Ï’. O.

Le moyen âge, le xiiie siècle principalement, fut l’ère des traductions, des correctoires, des commentaires, et la méthode employée dans l’enseignement des écoles étail l’interprétation d’un texte latin traduit de l’hébreu, du Lirec ou de l’arabe. De Wulf, < » /’cit., n. 179, 180,

249, 252. L’étude des langues, à celle époque où elles

étaient presque complètement négligées, devait servir à l’intérêt général de l’Église et de la société, au point de

Vue de la célébration des ol’lic s, de l’administration des

sacrements, du gouvernement des chrétientés orientales, de l’apostolat des infidèles et des schismatiques enfin des relations commerciales, judiciaires et diplomatiques de peuple à peuple. Ibid., c. xi-xiv. Bien de suggestif comme le fait de saint Louis ne trouvant pas à l’université de Paris et dans tout son royaume un savant capable de déchiffrer les lettres du Soudan de Babylone et de servir d’interprète à ses envoyés. Ibid., c. XII.

Toutefois Bacon n’exigeait pas de tous les chrétiens ni au même degré la connaissance des langues. Cf. Z. Gonzalès, Hist. de la philosophie, t. ii, p. 259. Il développe seulement les grandes lignes d’un programme d’études. Loin de contenir quoi que ce soit d’exagéré ou de chimérique, ses vues sont pleines de mesure et de bon sens. Il demande aux traducteurs, aux correcteurs, aux commentateurs, aux lexicographes, une science plus approfondie du grec, de l’hébreu, de l’arabe et du chaldéen ; quant aux étudiants en théologie et en philosophie, il leur suffirait de savoir lire et écrire ces mêmes langues et de les comprendre assez pour pouvoir s’en servir. Cf. Op. ma.]., part. III, c. vi ; Op. tert., c. xx-xxv, p. G5, 06, 89 ; Comp. studii, c. vi, p. 133, 434 ; English Iiist. rev., loc. cit., p. 507. Ces vœux ont été pleinement justifiés. En 1311, le concile général de Vienne, tit. De magistris, s’appuyant sur des considérants qui semblent, dit E.Charles, op. cit., p. 47, empruntés à Bacon, prescrivit aux universités de Paris, d’Oxford, de Bologne, de Salamanque, l’enseignement des langues orientales.

Sciences naturelles.

Aux yeux de Bacon, le

second moyen de régénérer les études est de leur donner des bases solides et plus objectives. Aussi s’attache-t-il à réagir contre les préjugés de son temps en démontrant la facilité, l’utilité et l’importance des sciences positives. Cf. Op. tert., c. v, VI, ix ; Op. min., p. 324. Son grand mérite est de leur avoir trouvé une méthode.

Avec sa perspicacité habituelle, il distingue quatre modes de procéder dans la connaissance de la nature : l’autorité, le raisonnement, l’observation et l’expérience. Tous n’ont pas droit à la même confiance. Inférieure à la raison, auctoritas debilior est ratione, l’autorité ne répond pas aux exigences de l’esprit et sert trop souvent de véhicule à l’erreur ; le raisonnement, quelque forts que soient ses arguments, n’entraîne point, par lui-même, la certitude parfaite, non certificat, dans la possession tranquille de la vérité., cf. Op. maj., part.I, c. vi ; de même la simple observation ou constatation des faits externes, cette expérience grossière et superficielle, est incapable de satisfaire l’intelligence, non suf/icit homini, (/nia non plene certificat. Pour que l’intelligence donne son adhésion pleine et entière, il lui faut, en étudiant les mathématiques et la géométrie, se livrer à des observations patientes et réitérées, puis formuler des principes et des lois desquels jaillit l’explication rationnelle des faits. Par cette expérience, dite interne et la seule vraiment scientifique, elle soumet à un contrôle rigoureux les dires des diverses sciences, leur est à chacune une pierre de touche admirable, et réussit ainsi à discerner en toute sûreté le vrai du faux. Telle est la méthode expérimentale que Bacon a eu la gloire de créer et de donner au monde. Op. maj., part. I, c. x ; part. VI ; Op. tert., c. XIII, Elle tire sa valeur de l’emploi constanl des mathématiques et île la géométrie, dont nul n’a avant lui compris autant la nécessité et les avantages : i( On ne doit pas, dit-il, recourir dans l’étude des sciences aux arguments dialectiques ni aux sophismes, comme on le l’ail généralement ; il faut se servirde démonstrations mathématiques, sans lesquelles il n’y a pas de science qu’on puisse comprendre, expliquer,

enseigner ou apprendre, o <>p. maj., pari. IV, dist. I, c. ni ; dist. II-1V ; <>p. tert., c. wivwxvii, etc. Pour s’être confinée à l’autorité des anciens, d’Aristote sur-