Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.djvu/16

Cette page n’a pas encore été corrigée

13

BACON

dant à indiquer ses tendances. Elles montrent aussi que, loin d’être, en philosophie et en théologie, en retard sur le mouvement intellectuel de son siècle, il n’ignorait aucune des questions, grandes ou petites, agitées dans les écoles, et qu’il savait à l’occasion leur donner le cachet de sa personnalité. Cf. E. Charles, op. cit.

Avec la grande majorité des docteurs, franciscains ou non, du xiiie siècle, il est augustinien. Voilà pourquoi il adopte les célèbres théories des rationes séminales, English hist. rcv., loc. cit., p. 513, de la materia spirilualis propre à l’âme humaine et aux anges, Op. tert., c. xxxviii, p. 122-129 ; De multipl. spec, part. III, c. il, et de l’illumination spéciale de Dieu, Op. ma’)., part. II, c. v. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist. III, part. I, a. 1, q.i ; dist. VII, part. II, a. 2, q. i ; dist. XII, a. 1, q. i il ; dist. XIII, a. 2, q. n ; dist. XVIII, a. 1, q. m ; Scot, De rerum principio, q. vii, a. 2. Avec ces mêmes docteurs il admet aussi la pluralité des formes. Op. min., p. 360-367. Cf. Prosper de Martigné, op. cit., p. 198-287.

En d’autres points il est plus indépendant. Les scolastiques admettaient comme un principe incontesté que la matière est numériquement une dans tous les êtres contingents, nna numéro in omnibus. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., . II, dist. III, part. I, a. 1, q. iii, scholion ; dist. XII, a. 2, q. i. Bacon, désireux de forcer les maîtres à scruter la valeur et les conséquences de leurs principes, prend à partie cette assertion, qu’il qualifie d’errorpessimus in philosophia ; il l’accable de ses objections et la poursuit pas à pas jusque dans ses derniers retranchements. Selon lui, la matière et la forme sont nécessairement diverses dans n’importe quel être ; chacun a sa matière et sa forme propres ; ce n’est point la forme qui diversifie la matière, ni la matière qui diversifie la forme : l’une et l’autre se différencient par elles-mêmes. Pour retrouver leur fonds commun respectif, il faut remonter au genus generalissimum qui, les enveloppant dans l’unité, évolue progressivement, suivant une succession hiérarchique de genres et d’espèces, jusqu’à la perfection terminale dans l’être concret et individuel. Op. maj., part. IV, dist. IV, c. vin ; Op. tert., c. xxxviii, p. 120-131. Il est à remarquer combien le système métaphysique de Bacon sur la matière et la forme ressemble à celui de Scot, De rerum principio, q. vii, a. 1 ; q. viii, a. 1, 2, 3, 4, 5. Les formules changent, le fond reste identique. C’est un vrai plaisir de voir ces deux belles intelligences d’accord sur ce point. Cf. de VVulf, op. cit., n. 298, p. 313315.

De nombreux docteurs faisaient del’intellectagent une faculté spéciale de l’âme requise, conjointement avec l’intellect possible, pour l’acte de la cognition. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist. XXIV, part. I, a. 2, q. ii, S. Thomas, De spiritualibus creaturis, a. 9, 10 ; De anima, a. 2-5 ; Compendium theologise, c. lxxxivlxxxviii ; Cont.gent., 1. II, c. lxxvi-lxxviii ; Sum.theol., I a, q. lxxix, a. 4, 5. Bacon s’élève hardiment contre ce dédoublement. Sa volonté n’est nullement, comme certains l’ont affirmé bien à tort, de prétendre que l’intelligence soit purement passive ; il lui reconnaît toute son activité inhérente ; il veut bien — et en cela il est pleinement suivi par Scot, De rerum principio, q.xiv, a. 2, n. 16, 17 ; Durand, In IV Sent., 1. I, dist. III, part. II, q. v ; G. d’Occam, In IV Sent., 1. II, q. xxv, et P. Aurioli

— l’appeler intellect agent lorsqu’elle passe de la puissance à l’acte : licet intellectus possibilis, dit-il, possit dici agens ab actu intelligendi. Mais là n’est pas tout entière l’exacte pensée des grands philosophes, Avicenne, Alfarabi, Alexandre, Aristote. L’intellect agent, dont ils parlaient, loin d’être l’âme ou une partie de l’âme, est une substance spirituelle distincte, séparée de nous, et unique pour tous. C’est ce que reconnaît saint Thomas, In 1 V Senl., . II, dist. XVII, q. il, a. 1 : « Presque tous les philosophes, dit-il, sont d’accord pour enseigner à la suite

d’Aristote, Dean ima, III, text. 19, 20, que l’; ntellect agent et l’intellect possible diffèrent substantiellement. « Convaincus avec le même docteur angélique, De unitate intellectus, c.vî, que cette opinion ne paraît pas offrir d’inconvénient, nitiil vidctur inconveniens sequi, les anciens scolastiques l’adoptèrent, et, lui donnant un sens chrétien, ils identifièrent l’intellect agent avec Dieu, la vraie lumière des intelligences, qui illumine tout homme venant en ce monde.. loa., i, 9. Fondée sur de bonnes raisons, satis probabiliter, S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. XVII, q. ii, a. 1, conforme à la vérité et à la foi. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist. XXIV, part. I, a. 2, q. iv, enseignée par Bobert Grossetête, Adam de Marsch, Guillaume d’Auvergne et tous les savants anciens, omnes sapienles antiqui, on peut dire que cette doctrine fut traditionnelle chez les premiers docteurs de la scolastique. Quand parut l’opinion contraire, l’évêque de Paris, Guillaume d’Auvergne, lui déclara la guerre et par deux fois se crut obligé d’adresser des reproches, reprobare, aux docteurs de l’université réunis en sa présence : d’où l’on voit qu’elle ne s’acclimata pas sans peine et qu’elle fut considérée dès le début comme une nouveauté et une déviation. Vainement elle essaya d’accaparer saint Augustin en faussant sa théorie sur l’exemplarisme divin et les rationes seternx. Cf. De humanæ cognilionis ratione, Quaracchi, 1883, p. 203-208. Une tentative semblable eut lieu pour Aristote. Des textes obscurs et mal traduits ne la favorisaient que trop. Bacon consacra à la réfuter deux chapitres, qui sont du plus haut intérêt pour l’histoire de la philosophie et de ses variations. Op. maj., part. II, c. v ; Op. tert., c. xxiii, p. 74-79. Boger Marston, Jean Peckam, Alexandre d’Alexandrie, voire même Scot, De anima, q. xiii, ne pensèrent pas compromettre l’idéologie scolastique en adhérant à ses conclusions. Il est vrai, on ne parlait pas encore d’une « déteinte de l’averroïsme » . Cf. Benan, Averroès et l’averroïsme, Paris, 1852, p. 208-210 ; De human. cognit. ratione, p. 10, 179-482, 197-220 ; de Wulf, op. cit., p. 332-336 ; Mandonnet, Sigcr de Brabant et l’averroïsme latin au xiii siècle, Fribourg, 1899, p. lxi, cclv-cclxii. Voir t. i, col. 2336.

Lorsqu’il étudie les questions difficiles relatives au vide, au plein, au mouvement, à l’unité du temps, Bacon soumet à une rude épreuve d’autres théories non moins chères aux philosophes d’alors. D’autre part la discussion serrée, qu’il consacre au lieu, au changement et à la durée des substances spirituelles, est remarquable à tous égards. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. 1, dist. XXXVII, part. II, a. 1-3 ; 1. II, dist. II, part. II, a. 2, q. i, il, ni. A ceux qui craindraient que « la scolasticité de ses idées ne sorte pas saine et sauve du crible d’un examen logique, » nous conseillerions la lecture attentive des chapitres xxxviii-lh de YOpus tertium, p. 120199. Bien ne peut mieux les désillusionner que ces pages vivantes, pleine de vigueur et de netteté.

Cependant Bacon, dont l’esprit positif et clairvoyant perce partout, ne voyait pas sans douleur les études, faute de bases solides, s’encombrer chaque jour de questions superflues, abstraites, hasardées souvent ; négliger par contre ce qui est beau, utile, nécessaire et fécond en résultats pratiques. Op. maj., part. I, c. xii ; Op. min., p. 324 ; Op. tert., p. 31, 55 et passim : « Le monde, s’écrie-t-il, est plein de livres où foisonnent les futilités, puerilia et plebeia. » English hist. rev., loc. cit., p. 501. « La philosophie se meurt, périt philosophia. » Op. ter’., p. 55, 34, 17. Il comprit qu’il y avait quelque chose de grand à entreprendre, et que, pour enrayer le mal.il ne lallait rien moins qu’une régénération totale. Exposer le mal, en indiquer les causes et les remèdes au chef de l’Église, tel est l’objet de cette consultation adressée à Clément IV et contenue dans YOpus majus, YOpus minus etVOpus tertium.

Linguistique.

C’est d’abord la connaissance des