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CALVINISME

tant de la scolastique. Il ne combat Rome qu’avec les armes de l’école. Calvin est le dernier des théologiens célèbres qui ont renfermé leur pensée dans l’étude des textes, et ont ouvertement professé le servage de la philosophie. Encore une fois, pour la méthode, c’est un scolastique pur. »

Malgré tous les efforts de Calvin, il y a des inconséquences et des illogismes dans son œuvre. Nous en signalerons deux entre beaucoup d’autres, l’une dans sa doctrine de la toute-puissance de Dieu dans ses rapports avec la liberté de l’homme, et l’autre dans sa théorie de l’Église.

Ses raisonnements tendraient à rendre absolument incompatible la liberté de l’homme avec la puissance et l’omniscience de Dieu. Cependant il admet qu’avant la chute, Adam était libre. Inst. chrét., l. I, c. xv, n. 8 ; « En cette intégrité l’homme avait franc arbitre, par lequel, s’il eût voulu, il eût obtenu vie éternelle… Ainsi Adam pouvait demeurer debout, s’il eût voulu, veu qu’il n’est trébuché que de sa volonté propre. » Donc, en soi, il n’y a pas incompatibilité entre la toute-puissance de Dieu et la liberté de l’homme.

Sur cette question, Calvin n’arrive jamais à s’expliquer d’une façon satisfaisante. L. III, c. xxiii, 8 : « Le premier homme est cheut parce que Dieu avait jugé cela estre expédient… Parquoy contemplons plustost en la nature corrompue de l’homme la cause de sa damnation, laquelle luy est évidente, que de la chercher en la prédestination de Dieu ; où elle est cachée et du tout incompréhensible. Et qu’il ne nous face point mal de submettre jusque là nostre entendement à la sagesse infinie de Dieu, qu’il luy cède en beaucoup de secrets. Car des choses qu’il n’est pas licite ne possible de savoir, l’ignorance en est docte : l’appétit de les savoir est une espèce de rage. »

Après avoir fermement établi son principe du serf arbitre, il arrive à cette objection qu’on lui fait : Alors à quoi bon prêcher ? « C’est, reprend Calvin, comme si l’on disait qu’il est inutile de semer. Il faut semer encore que ce soit Dieu qui fasse lever la graine. » Sans doute, mais n’est-ce pas rétablir le partage entre l’homme et Dieu, car enfin c’est l’homme qui sème, Dieu se réservant de faire lever la graine ? Ou encore : « Dieu endurcit ceux qu’il lui plaît, sans qu’on puisse lui demander pourquoi il le fait ; mais ce n’est pas à dire pourtant que les réprouvés étant endurcis de Dieu ne s’endurcissent aussi. » Ici encore l’action de l’homme et sa liberté, pour une part aussi minime qu’on voudra, mais enfin pour une part, se trouvent rétablies.

C’est surtout contre les libertins spirituels qui lui répondent que, si Dieu fait tout, il n’y a rien à condamner, que Calvin en vient à se réfuter lui-même et à employer les arguments catholiques. Pourquoi ? parce que c’est à la fois la voix de la vérité, du sens commun et de la conscience humaine.

Qu’on lise cette page, d’ailleurs assez piquante, de Calvin : « Cette grosse fouasse de Quintin se trouva une fois en une rue où on avait tué un homme. Il y avait là d’aventure quelque « spirituel » qui dit : « Hélas ! qui a fait ce méchant acte ? » Incontinent, Quintin répondit en son picard : « Cha été my. » L’autre ; comme tout étonné : « Comment seriez-vous bien si lâche ? » À quoi il répliqua : « Cha été Dieu. — Comment, dit l’autre, faut-il imputer à Dieu les crimes qu’il commande être punis ? » Adonc Quintin : « Oui ! Chet ty, chet my, chet Dieu ; car che que ty ou my faisons, chet Dieu qui le fait ; et che que Dieu fait nous le faisons. »

Les successeurs de Calvin devaient faire bien plus de concessions, et Voltaire pourra s’amuser à prouver aux docteurs de Genève qu’ils sont semi-pélagiens.

Il y a de même une ontradiction aussi évidente dans le système calviniste sur l’Église que dans la théorie luthérienne. Ce système pose deux principes et une conséquence en forme d’anathème contre les sectes plus hardies qui avaient paru en Allemagne et en Suisse et que l’orthodoxie réformée qualifiait d’hérétiques.

Le premier principe est qu’il plaît à Dieu qu’il y ait une Église enseignante pour brider les fidèles. Confession des Églises de France, art. 25. Mais de quel droit brider les fidèles ? Comment concilier cette prétention avec le fameux art. 4 de la même Confession qui leur accorde le sûr discernement des livres canoniques « par le témoignage et persuasion intérieure du Saint-Esprit » ? Si pour une question aussi fondamentale que le discernement des Écritures, il n’est pas nécessaire de brider les fidèles, pourquoi les brider dans les questions secondaires ? Le Saint-Esprit ne suffira-t-il plus à les éclairer ?

Le second principe est que « l’Église ne peut consister sinon qu’il y ait des pasteurs…, lesquels on doit honorer…, quand ils sont dûment appelés, art. 25…, et qu’il convient de discerner cette Église ». Art. 27. L’Église est donc une société visible. Calvin le déclare tout au long dans le c. Ier du IVe livre de l’Institution, et Luther, nous l’avons dit, en était venu là, ce qui réfute plus d’un siècle avant les travaux de Bossuet la fameuse thèse de l’Église invisible, où la Réforme fut obligée de se rejeter. Histoire des variations, l. XV, n. 17.

Mais qu’enseignent donc ces pasteurs de l’Église enseignante, sans lesquels l’Église ne peut consister, puisqu’on vertu de l’art. 5 de la Confession la parole de Dieu contenue dans l’Écriture est l’unique règle de la vérité ? Apparemment les principes de foi et les règles de conduite qui se déduisent des paroles des Livres saints, c’est-à-dire qu’ils expliquent comment telle parole exprime tel mystère, comment tel précepte de vie morale est obligatoire en vertu du texte sacré.

Comme conséquence, les fidèles ont des devoirs à l’égard de cette autorité enseignante, le devoir de la respecter et celui de s’y soumettre. Cela est en harmonie avec la tradition constante de l’Église chrétienne, mais cela, encore une fois, est en contradiction avec le principe de la Réforme. Une Bible correcte doit suffire aux fidèles et la logique est du côté de ces « fantastiques » qu’on anathématise. On a beau faire, l’art. 25 n’est qu’un retour déguisé et incomplet au système catholique. De même l’art. 26 qui défend de se mettre à part et de se contenter de sa personne.

L’art. 27 relatif au discernement de la véritable Église introduit une nouvelle difficulté. Qui m’assurera que telle compagnie des fidèles s’accorde à la pure parole de Dieu ? Si je m’en rapporte au témoignage de cette compagnie, j’abdique ; si je m’en rapporte au témoignage de ma conscience, je puis rompre avec cette compagnie. Mais il m’est défendu par l’art. 26 de me mettre à part. Et, dans la discipline calviniste, ce n’est pas une vaine défense ; il y a des pénalités contre ceux qui se mettent à part. J’irai donc contre ma conscience ou je ferai schisme ; tant il est vrai que la notion d’Église ne peut subsister avec la souveraineté individuelle de la conscience. Qui dit Église dit autorité enseignante ; qui dit autorité enseignante en pareille matière doit dire autorité infaillible. Et au contraire qui dit interprétation personnelle de l’Écriture dit individualisme religieux et ruine ipso facto la notion d’Église.

En bonne logique, l’art. 4 aurait dû suffire ; les art. 25-32 ne sont qu’un expédient illogique, mais salutaire, pour pallier les inconvénients inévitables engendrés par le 4e.

Autre observation à propos de l’art. 31 sur les pasteurs dûment appelés et la mission extraordinaire. On ne pouvait marquer en termes plus clairs et plus généraux l’interruption du ministère ordinaire établi de Dieu, ni la pousser plus loin que d’être obligé d’avoir recours à la mission extraordinaire ou Dieu envoie par lui-même et donne aussi des preuves particulières de sa volonté.

Luther et Calvin sont donc élevés à la dignité d’en-