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CHATEAUBRIAND

des hommes de confiance de la duchesse de Berry. Assez mêlé à sa tentative en France pour être détenu quinze jours comme coupable de complot, il écrivit, quand la duchesse fut enfermée à Blaye, un Mémoire sur la captivité de Mme  la duchesse de Berry, in-8°, 1833, dont une phrase : « Madame, votre fils est mon roi, » l’amena sur les bancs de la cour d’assises. Pour la duchesse encore il remplit deux missions à Prague auprès de Charles X, du comte de Chambord et de sa sœur, en mai et en septembre 1833. Malgré cela, ses relations sont à gauche : il est lié et jusqu’à la fin avec Béranger, Lamennais et Armand Carrel ; il est en bons termes avec la duchesse de Saint-Leu et le futur Napoléon III. Il eût accepté, semble-t-il, la république et la démocratie.

Sa vie politique était Unie. La vieillesse venait : il s’arrangea une attitude de vieillard désabusé. Poursuivi par des embarras d’argent, qu’il avait d’ailleurs toujours connus, il dut beaucoup travailler. Il fut soutenu par l’amitié de Mme  Récamier qui, à l’Abbaye-aux-Bois, sut l’entourer d’une cour d’admirateurs. De ce moment datent des ouvrages d’une valeur inégale : 1° Les études et discours historiques sur la chute de l’Empire romain, la naissance et les progrès du christianisme et l’invasion des barbares (inachevé), 4 in-8°, Paris, 1831 ; 2° un Essai sur la littérature anglaise, 2 in-8°, 1836, et la Traduction du Paradis perdu, 2 in-8°, 1836 ; 3° Le congrès de Vérone, 2 in-8°, 1838 ; 4° La vie de Rancé, in-8°, 1844 ; 5° Moïse, tragédie, 1834. De 1836 à 1839 il présida à la publication d’une nouvelle édition ds ses Œuvres complètes, 36 in-8°, avec un Essai sur la vie et les ouvrages de Chateaubriand, rédigé par lui-même. Le 16 novembre 1841, il terminait à Paris ses Mémoires d’outre-tombe, qu’il avait commencés le 4 octobre 1811 à la Vallée-aux-Loups. Ils n’étaient plus sa propriété. En juin 1836, devant sa détresse financière, ses amis les lui avaient fait vendre, pour ne paraître qu’après sa mort, à une société d’admirateurs de son talent, contre 250 000 francs immédiatement versés et une rente de 12 000. En 1811, Émile de Girardin acheta de cette société, malgré les protestations de Chateaubriand, le droit de publier les Mémoires dans son journal La presse, avant la mise en vente du livre. La presse en commença la publication en feuilleton, le 21 octobre 1848, pour ne la terminer que le 3 juillet 1850. Les 12 in-8° ne parurent qu’à mesure de 1849 à 1850 ; l’effet fut manqué.

Chateaubriand était mort le 4 juillet 1848, à Paris, 112, rue du Bac, assisté de l’abbé Deguerry. de son neveu Louis de Chateaubriand et de Mme  Récamier. Le 16 juillet, il était enseveli dans le tombeau qu’il s’était assuré, au rocher du Grand-Bé, près de sa ville natale, Saint-Malo.

II. Œuvres apologétiques et influence religieuse. — C’est dans la période presque exclusivement littéraire de la vie de Chateaubriand (1797-1814), qu’il faut étudier ces œuvres et cette influence. Son premier ouvrage, l’Essai sur les révolutions, 1797, avait une tendance anti-chrétienne. Il s’y proposait d’éclairer les événements de son temps en répondant à ces questions : 1° Quelles sont les révolutions arrivées autrefois dans les gouvernements des hommes ? Quel était alors l’état de la société et quelle a été l’influence de ces révolutions sur l’âge où elles éclatèrent et les siècles qui suivirent ? 2° Parmi ces révolutions, en est-il quelques-unes qui par l’esprit, les mœurs et les lumières du temps puissent se comparer à la révolution actuelle de la France ? etc. L. I, part. I, Introduction. Cette immense enquête, il la borna aux révolutions grecques. Il ne peut ainsi répondre à toutes les questions qu’il a posées ; il tire du moins cette conclusion générale à la Rousseau, qui pour n’être pas d’un disciple de Condorcet et d’un ami de la doctrine du progrès, est loin d’être d’un chrétien : L’homme s’agite sans résultat ; « il ne fait que se répéter sans cesse ; il circule dans un cercle, dont il tâche vainement de sortir » et les révolutions sont un effort vain comme le reste. S’il veut le bonheur qu’il revienne à la vie du sauvage. Chemin faisant, Ire partie, c. xxxiv-lv, il étudie l’histoire du christianisme et il en prédit la mort :

« De même que le polythéisme a succombé sous les

coups des sophistes grecs, le christianisme ébranlé par les vices de la cour de Rome, la renaissance des lettres et la réformation, a reçu de la secte philosophique le coup fatal. » Il se pose même la question : « Quelle religion remplacera le christianisme ? » Il ne ménage point le clergé et tel chapitre sur « le clergé des Açores » est pleinement dans le genre de Diderot.

Converti, il entreprend une apologie du christianisme ou plutôt de sa forme légitime, le catholicisme ; mais cette apologie, il la conçoit d’une façon toute personnelle. Il s’en explique dans son Introduction au Génie du christianisme : il veut détruire les erreurs et les préjugés de son siècle relativement au christianisme, et reconquérir l’opinion à la religion. Voltaire et les encyclopédistes, dit-il, recommençant Julien l’Apostat, avaient mis l’incrédulité à la mode. Ils avaient fait croire

« que le christianisme était un culte né de la barbarie,

absurde dans ses dogmes, ridicule dans ses cérémonies, ennemi des arts et des lettres, de la raison et de la beauté, un culte qui n’avait fait que verser le sang, enchaîner les hommes et retarder le bonheur et les lumières du genre humain ». En face de cet état d’esprit, quelle était la tâche évidente de l’apologiste ? Était-ce d’argumenter ? d’écrire un ouvrage de théologie ? Non. Il fallait se souvenir de cette pensée de Pascal : « A ceux qui ont de la répugnance pour la religion, il faut commencer par leur montrer qu’elle n’est point contraire à la raison ; ensuite qu’elle est vénérable et en donner respect ; après, la rendre aimable et faire souhaiter qu’elle fût vraie… ; » il fallait donc « envisager la religion sous son côté humain », prouver « que de toutes les religions qui ont jamais existé, la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres ; que le monde moderne lui doit tout…, qu’il n’y a point de honte à croire avec Newton et Bossuet, Pascal et Racine » ; en un mot, « ne pas prouver que le christianisme est excellent parce qu’il vient de Dieu, mais qu’il vient de Dieu parce qu’il est excellent. » La méthode elle-même s’imposait : « Il fallait appeler tous les enchantements de l’imagination et tous les intérêts du cœur au secours de cette même religion contre laquelle on les avait armés. » Chateaubriand cherchera donc à émouvoir et il procédera surtout par tableaux. Son dessein s’indiquait bien dans les deux titres qu’il donna primitivement au Génie du christianisme : 1° De la religion chrétienne par rapport à la morale et aux beaux-arts ; 2° Des beautés poétiques et morales de la religion chrétienne et de sa supériorité sur les autres cultes de la terre. Il s’indique bien encore dans l’épigraphe du livre, une parole de Montesquieu : « Chose admirable ! la religion chrétienne, qui ne semble avoir d’objet que la félicité de l’autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci. »

« Quatre parties divisées chacune en six livres composent

cet ouvrage, » dit Chateaubriand, dans l’Introduction. En réalité, la IIIe partie n’a jamais compris, et la IIe ne comprit à partir de 1807 que cinq livres, par suite de la publication d’Atala et de René, La Ire partie traite des dogmes et de la doctrine. Il y parle des mystères et il les montre « les plus beaux possibles, archétype de l’homme et du monde » ; des sacrements, et il y trouve

« la connaissance de l’homme civil et moral, et des tableaux

pleins de poésie » ; du partage des vices et des vertus, où la sagesse de la religion l’emporte sur celle des hommes ; du décalogue, qui dans l’universalité dises lois, sa simplicité pleine de justice, sa majesté, l’emporte sur les lois humaines les plus connues, lois