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CENSURES DOCTRINALES


D’ailleurs, en nos anciennes universités, les facultés de théologie ont ainsi, plus d’une fois et très utilement, censuré des doctrines. On rappelle souvent les célèbres sentences portées par les universités de Paris, de Louvain et de Cologne contre les erreurs de Luther, de Marc-Antoine de Dominis et d’autres novateurs. Du Plessis d’Argentré, Colleclio judieiorum de novis erroribus, t. I, p. 358 ; t. iii, p. 82, 228. Parfois même, c’est sous la direction et avec l’approbation expresse de l’autorité ecclésiastique que de tels jugements étaient rendus en faculté. DenLinger rapporte une condamnation de ce genre portée par l’évêque Etienne de Paris et la faculté de théologie. Enchiridion, n. 390-398.

Toutefois, dans l’intérêt de la paix et pour le maintien de la charité, cette liberté de censure privée a subi une restriction de la part de l’Église : il est interdit aux théologiens de porter une censure quelconque contre des propositions ou doctrines qui sont encore librement discutées entre catholiques. C’est Innocent XI qui porta le premier cette défense, dans son décret du 2 mars 1679, en ces termes : Sanctissimus in virtute sanctx obedicntix eis (doctoribus scu sc/tolaslicis aul, aliis quibuscumque ) prsecipit ut lani in libris imprimendis ac manuscriplis, quam in thesibus, dispulationibus ac prœdicationibus caveant ab omni censura et nota, necnon a quibuscumque conviciis contra cas propositiones, qnse ad hue inter catholicos liino inde controverlitntur, donec a sancta sede, rc cognita, super iisdem proposilionibus judicium proferatur. Denzinger, Enchiridion, n. 1083. Paul V, dans son rescrit aux généraux des dominicains et des jésuites touchant la controverse De auxiliis, Clément XII, dans sa constitution Apostolicse providenliæ, du 2 octobre 1733, Benoit XIV. dans sa bulle Sollicita et provida, § 23, ont rappelé et maintenu cette sage prescription.

Il est bon de remarquer qu’il n’y a point violation de cette défense, quand l’on déclare d’une proposition ou d’une doctrine donnée qu’elle est peu ou nullement probable, et même qu’elle est fausse. Ce n’est point là infliger une censure, mais déclarer que cette opinion ne présente pas d’arguments sérieux, bien que d’ailleurs un homme de bonne foi puisse être illusionné jusqu’à la soutenir. De Lugo juge pareillement que ce n’est point censurer une thèse que la déclarer arrogante, vaine, insensée ; et il observe qu’en matière morale, il sera difficile de dire qu’une opinion manque de probabilité la censurer par le fait même.

III. ESPÈCES diverses. —1° En raison de l’autorité qui les porte, les censures théologiques forment deux -ories. Il en est qui émanent de l’autorité publique dans l’Église : comme telles, elles sont certes théologiques et doctrinales. Cependant, pour mieux marquer leur caractère officiel ou authentique, on les appellera plutôt des censures judiciaires. Quant à celles prononcées par les théologiens, de leur autorité privée, elles sont dites purement doctrinales ou scientifiques.’2 Les théologiens divisent assez communément les censures, en raison de leur objet même, en dogmatiques, disciplinaires, ou économiques. Ils appellent dogmatiques les censures qui concernent l’ordre spéculatif, et ont pour effet direct et immédiat de guider les intelligences dans la foi : telles sont, par exemple, les nres d’hérésie ou d’erreur. Ils appellent disciplinaires les censures qui regardent la pratique, et ont pour effet direct et immédial de lier et de diriger les volontés dans l’action. Telles sont les décisions par lesquelles l’autoriti tique interdit, au nom de

la sainte obéissance ou même sous certaines pénalités à encourir..1 mi i igner, de défendre, de meiire en pratique telles doctrines ou telles propositions. Enfin, ils disent économique di mesure. pri is par l’autorité ecclésiastique, a l’endroit de telle proposition ou de telle doctrine, non pour défendre la cause de la vérité

ou de la foi, mais par prudence, pour le bien dé la paix, pour éviter la discorde ou le scandale dans un temps et parmi des personnes données. Tels sont les actes par lesquels on interdit simplement la profession extérieure d’une doctrine ou l’on défend de censurer telle ou telle opinion.

Cette distinction peut se soutenir si l’on entend, par censure théologique, tout jugement quelconque porté par l’Église sur certaines doctrines ou propositions. Mais si l’on s’en tient à la signification propre de la censure théologique ou doctrinale, il n’en va plus de même. Car, si parfois l’Église défend d’enseigner ou même interdit de censurer l’une ou l’autre opinion, ce n’est pas toujours qu’elle entende lui infliger une qualification au regard de la vérité ou de la foi. Il s’agit le plus souvent d’une mesure inspirée par la prudence administrative et le souci de la paix. Aussi, peut-il se faire que l’Église interdise, par exemple, de censurer une opinion qui sera plus tard déclarée fausse ou hérétique, comme il est advenu jadis pour la théorie opposée à l’immaculée conception de la vierge Marie.

IV. Classification des censures théologiques ou doctrinales proprement dites. — Nous ne traitons pas ici ex professo ce qui regarde la censure doctrinale des livres. Toute cette matière a été reprise et codifiée par Léon XIII, dans sa constitution Ofjiciorum ac munerum du 25 janvier 1896 ; et elle fera nécessairement l’objet d’un article spécial. Voir Index. Nous envisageons donc ici directement les censures théologiques qualifiant certaines propositions ou certaines doctrines bien déterminées.

Pour établir en ces sujets complexes des catégories logiques, il convient de soumettre à l’analyse les documents authentiques qui ont, aux diverses époques, promulgué de multiples censures. Ce sont principalement les constitutions de Jean XXII contre les fraticelles, Denzinger, Enchiridion, n. 412-418 ; contre Marsile de Padoue, n. 423-427 ; contre maître Eckhart, n. 428-455 ; les décrets du concile de Constance, sess. VIII, XV, et les bulles de Martin V contre les articles de Wiclef, n. 477-521, et de Jean Huss, n. 522-550 ; la bulle E.rsurge Domine de Léon X contre Luther, n. 625-665 ; les bulles de saint Pie V, de Grégoire XIII et d’Urbain VIII contre Baius, n. 881-959 ; les constitutions d’Innocent X et d’Alexandre VII, condamnant les cinq propositions de Jansénius, n. 966-970 ; les décrets d’Alexandre VII des 21 septembre 1665, n. 972-999, et 18 mars 1666, n. 1000-1016 ; les décrets d’Innocent XI des 2 mars, n. 1018-1083, et 23 novembre 1679, n. 1084-1085 ; la constitution Cselestis pastor du même pontife contre Michel de Molinos, n. 1088-1155 ; les décrets d’Alexandre VIII des 24 août, n. 1156-1157, et 7 décembre 1690, n. 1158-1188 ; le bref Cum alias d’Innocent XII condamnant 23 propositions tirées du livre de Fénelon, n. 1193-1214 ; la constitution Unigenilus de Clément XI contre Quesnel, n. 12161316 ; la constitution Delestabileni de Benoit XIV contre le duel, n. 1343-1347 ; la bulle Auctorem fidei de Pie VI contre le synode de Pistoie, n. 1364-1461.

Il est bien évident que l’opposition à la vérité, dans telles ou telles propositions, présente des degrés très divers selon qu’elle est directe ou indirecte, immédiate on éloignée, ouverte ou plus ou moins dissimulée sous tanl île modalités et de nuances possibles. De là aussi découle la multiplicité’des censures précisant et qualifiant ces oppositions si différentes. Antoine Sessa, franciscain de Païenne, a compté jusqu’à soiantc-neuf censures au xvii’- siècle, dans son Scrutinium doctrinarum. Et depuis lors, plusieurs autres ont pu grossir ce chiffre déjà élevé’. Nous trouvons réunies la plupart des qualifications théologiques ainsi en usage dans la bulle Unigenitus de Clément XI. Le pontife condamne les propositions de Quesnel : tanquam falsas, captiotai, maie sonantes, piarum aurium offensivas, scandalo-