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CALOMNIE


Gravité objective.

1. Qu’il s’agisse du mensonge pernicieux, ou de l’injuste atteinte à la réputation, la gravité objective, d’après le principe général applicable à toute injustice, se mesure d’après la quotité du dommage réellement voulu et efficacement causé dans la réputation ou dans les biens qui en dépendent. L’on doit cependant observer que la gravité du dommage effectivement produit n’est pas toujours en parfaite équation avec la gravité objective de l’imputation calomnieuse. Il n’est point impossible qu’une fausse allégation, en elle-même grave, ne nuise aucunement à quelqu’un dont la réputation en telle matière est moins délicate ou moins intègre, tandis qu’une renommée particulièrement honorable peut très notablement souffrir d’imputations beaucoup moins considérables, quand elles sont persistantes et qu’elles prennent corps dans l’esprit public. Salmanticenses, Cursus theologise moralis, tr. XIII, c. iv, n. 42.

2. Pour apprécier dans toute sa réalité concrète la gravité objective de la calomnie, l’on devra considérer : a) si l’atteinte portée à la réputation d’autrui est une complète destruction de cette réputation ou si elle n’en est qu’une diminution partielle, du moins quand l’opinion publique admet que quelque estime peut encore subsister d’une manière fragmentaire ; b) l’autorité, la puissance, le crédit ou l’inlluence que le calomniateur met au service de sa passion ou de sa haine et qui assurent plus de succès à son œuvre destructrice ; c) le milieu auquel le calomniateur s’adresse, un petit cercleintime et entièrement fermé où la calomnie expirera peut-être sans avoir causé beaucoup de ruines, ou le grand public rapidement conquis par la presse ou par le discours public et qui bientôt augmente encore les graves proportions de la calomnie ; on devra aussi examiner la mentalité de ces mêmes milieux, ou déjà entièrement désaffectés ou encore fidèlement attachés à la réputation que l’on veut ruiner ; d) la rareté ou la fréquence et même la continuité des attaques calomnieuses qui, en se répétant constamment, fixent en quelque sorte le mensonge dans l’intelligence, peut-être surtout dans l’intelligence populaire ; e) le caractère presque habituellement irréparable du dommage causé, circonstance encore aggravée dans certains cas où il est question de réputations plus délicates et de milieux plus pervers ; f) le dommage qui peut résulter pour toute la société, soit à cause du bien considérable que la calomnie empêche, soit à cause du grave scandale qu’elle propage partout. Ce dommage existe plus particulièrement quand la calomnie s’attaque à des institutions souverainement utiles à la société, dont on paralyse le fonctionnement quand on ne l’arrête point entièrement ; plus grave encore est le tort causé à la société civile ou à la société religieuse par ceux qui ne cessent d’ourdir et de propager contre elles les plus perfides calomnies ; g) les motifs diversement coupables sous l’impulsion desquels le calomniateur peut agir : a. la jouissance du mal voulu comme mal, jouissance diabolique qui suppose une malice consommée dans laquelle on semble avoir fixé sa vie ; b. une haine sectaire s 'acharnant, à l’exemple de celui que la tradition de tous les peuples a dénommé le calomniateur, i, Siâ60).oç, à ruiner par le mensonge l'œuvre « le Jésus-Christ sur la terre et tout ce qui favorise cette œuvre ; cette haine sectaire peut aussi, comme chez certains anarchistes, se porter exclusivement contre la société actuelle que l’on veut bouleverser et détruire de tond en comble ; c. la vengeance d’un tort ou d’un outrage adéquatement vrai ou exagéré et même supposé, indépendamment de la coupable jouissance que I on peut savourer dans l’accomplissement du mal prémédité ; 'I. une simple rivalité jaillissant de l’ambition, de l’avarice ou de l'égofsme et poursuivant directement son but, s.ms que prédomine dans la volonté' ni la haine, ni la coupable jouissance du mal causé ; l’analyse con crète de ces différents motifs isolés ou réunis, donnera une juste idée de la nature et du nombre des fautes secrètes de haine religieuse ou autne, et de jouissance intime du mal secrètement désiré ou efficacement procuré ; h) les péchés concomitants qui forment le cortège le plus habituel de la calomnie, surtout les péchés internes de jouissance haineuse et jalouse et les péchés de scandale privé ou public.

3° Gravité subjective, dans l’appréciation et la volonté du calomniateur ou de ses auxiliaires. — Quand l’on pourra prudemment juger que, dans un cas individuel, il y a eu inadvertance invincible à la fausseté et à la gravité des imputations propagées ou soutenues, on conclura qu’alors la calomnie n’est point subjectivement imputable, du moins comme faute grave. Mais elle n’en reste pas moins un mal objectif grave, surtout quand elle s’attaque au bien de la société. Aussi doit-on, principalement dans ce dernier cas, lutter contre elle, soit d’une manière privée par la correction fraternelle, soit d’une manière publique par une commune défense des intérêts menacés ou même par la répression légale, dans la mesure où elle peut prudemment et efficacement s’exercer.

Gravité comparée.

Le péché de calomnie, considéré en lui-même indépendamment de toute circonstance ajoutant une autre moralité spécifique, est-il le plus grave parmi les péchés commis contre le prochain ? S’il est vrai, comme l’enseigne saint Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. lxxiii, a. 3, que la gravité d’une injustice est proportionnée au prix du bien qu’elle nous ravit, l’on devra conclure que la calomnie le cède en malice au scandale et à l’homicide, mais l’emporte sur le vol. Car la réputation, ne faisant que participer à la nature des biens spirituels, est d’une valeur moindre que les biens purement spirituels. Appréciable seulement pour qui jouit du bienfait de l’existence, elle est moins précieuse que la vie corporelle. Mais par sa participation à la nature des biens spirituels, elle surpasse les richesses matérielles qui nous sont tout extérieures. S. Thomas, loc. cit. Cette conclusion s’applique indistinctement à la détraction et à la calomnie. Mais la calomnie est de soi toujours plus grave que la détraction, puisqu’elle ajoute une nouvelle malice spécifique, celle du mensonge pernicieux.

III. Obligations qui en résultent.

1° Quant ù la réparation de la réputation injustement détruite. — 1. Puisque toute injustice formellement coupable et efficacement voulue doit, sous peine de se continuer indéfiniment, être intégralement réparée par la restitution de tout le bien injustement ravi, il est également vrai que toute calomnie, connue et voulue comme formellement coupable et réellement nuisible, doit être adéquatement réparée. — 2. En vertu de ce même principe général qui domine toute la question de la restitution, l'étendu.' de l’obligation est en équation parfaite avec l'étendue du dommage causé. Conséquemment l’on est tenu de rétracter la calomnie lancée, soutenue ou propagée, dans la mesure où l’on a ainsi effectivement causé la perte de la réputation ou que l’on y a simplement aide Est-il également nécessaire que l’on rétracte personnellement la calomnie auprès de tous ceux à qui on a prévu qu’elle parviendrait ultérieurement, ou suffit-il strictement de le faire auprès de ceux à qui le calomniateur s’est Immédiatement adressé? En principe, puisque tout le mal efficacement voulu doit être réparé, la rétractation de la calomnie doit avoir la même publicité que la calomnie elle-même. Hone si, en lançant soi même la calomnie, surtout par la parole publique ou par : I on a

positivement prévu et voulu, suivant les contingences ordinaires, tel développement auquel elle est effectivement parvenue.il y a. en toute rigueur d.' principe, obligation de donner soi-même à la î > la même

étendue de publicité que l’on < efficacement voulue et