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CASUISTIQUE


moyen âge, quand les transactions commerciales ou financières étaient rares, le damnum emergens et le lucrum cessans, dans le cas de prêt pécuniaire, pouvaient se présenter rarement en dehors de circonstances très spéciales. Dans nos sociétés actuelles où il est devenu si habituel de recourir au capital pour toutes sortes d’entreprises et d’une manière parfaitement accessible même au plus modeste avoir, ces mêmes titres extrinsèques peuvent facilement exister d’une manière presque universelle. Lehmkuhl, Theologia moralis, t. I, n. 1106. Ce n’est point la loi morale qui a changé, mais le milieu social où elle s’applique. Ce n’est point la doctrine de l’Église qui a évolué, mais les coutumes de la société civile dans laquelle l’Église vit.

— 4° S’il était uniquement question de conclusions simplement probables ou considérées comme telles à une époque donnée, surtout dans des questions complexes jusque-là assez indécises, il peut arriver et de fait il arrive qu’une étude plus approfondie, ou quelque décision nouvelle de l’Église ou des Congrégations romaines, ou des arguments entièrement nouveaux, fournis par quelque auteur exceptionnel, mettent en pleine lumière l’erreur ou l’improbabilité d’une opinion jouissant jusque-là d’une certaine situation acquise. Chez les théologiens les plus autorisés, même chez saint Alphonse, se rencontrent quelques opinions de ce genre, dont la probabilité intrinsèque ou même extrinsèque ne peut plus être admise actuellement. Nul changement objectif n’est survenu dans la doctrine morale. Mais ce qui, dans l’incertitude de telle question, avait été, en toute bonne foi, considéré comme une interprétation ou une application probable de tel principe ou de telle conclusion, a depuis lors évidemment perdu cette probabilité subjective, qui avait primitivement suffi pour la légitimité morale de l’acte ainsi accompli. Il ne s’ensuit point que la loi éternelle fidèlement reflétée et promulguée par la droite conscience ait alors cessé d’être l’unique règle de tous nos actes. La conscience erronée, qui avait faussement considéré comme probable ce qui ne l’était point réellement, ne s’était aucunement substituée à la loi éternelle. En réalité c’était toujours à la loi éternelle que l’on adhérait premièrement et principalement et que l’on percevait comme la règle de la moralité, bien qu’on la comprit mal ou qu’on se trompât sur son application. S. Thomas, Qusest. disputatse, De veritale, q. xvii, a. 4. — 5° L’histoire de la théologie morale prouve l’existence d’un progrès partiel, le plus souvent très irrégulier et purement accidentel, dans la connaissance ou la démonstration théologique de conclusions d’abord implicitement ou virtuellement admises dans leurs principes immédiats ou dans des principes plus éloignés, puis explicitement déduites et mises en pleine lumière à l’occasion de quelque controverse ou polémique accidentelle, quelquefois par une définition ou déclaration de l’Eglise ou par quelque nouveau raisonnement fourni par des théologiens de marque. Ce travail de développement, malgré tous les obstacles qu’il rencontre, peut être facilement suivi dans l’histoire du probabilisme. Bouquillon, Theologia moralis fundamentalis, 2e édit., p. 548 sq. Comme la casuistique n’est qu’une science d’application de la théologie morale, sort est inévitablement lié à celui de la théologie morale. Quand celle-ci perfectionne ses connaissances, celle-là doit conséquemment modifier la manière de prés ipplications praliques, et quelquefois ses

applications elles-mêmes. Cette variation progressive, ainsi entendue, n’a rien que de très légitime.

7 « objection. — On reproche encore à la casuistique de procéder souvent avec beaucoup d’arbitraire, comme si elle avait reçu un pouvoir discrétionnaire de lier ou de délier les consciences, tandis qu’elle n’a qu’un poud’interprétation et d’application, dans les strictes limiti g de la véritable science théologique. — Réponse.

DICT. DE TIIÉOL. CATHOL.

— Assurément la casuistique ne possède que le droit d’interpréter théologiquement les obligations morales dans les cas soumis à son appréciation. Mais parce que le jugement du théologien moraliste doit être un jugement concret portant sur tous les éléments objectifs et subjectifs d’un fait déterminé, et qu’il y a rarement deux cas concrets entièrement identiques, il arrive fréquemment que des appréciations sur des cas apparemment semblables, sont rarement identiques. Il arrivera même souvent qu’elles présenteront des divergences assez surprenantes pour l’observateur inattentif, mais parfaitement justifiées pour celui qui se rend compte de la diversité objective et subjective des cas individuels.

La même observation répond au reproche de relativisme souvent adressé à la théologie casuistique.

8 S objection. — La casuistique même scientifique est de fait incapable de réaliser son but, à cause du conflit d’opinions dont elle a toujours été tourmentée. — Réponse. — 1° L’élément réellement incertain, dans les décisions de la théologie casuistique, n’a pas toute la prépondérance qu’on lui attribue. Il n’y a même qu’une part assez restreinte, surtout si l’on admet le probabilisme modéré, pratiquement autorisé dans l’Église depuis plus de trois siècles. — 2° Le conflit d’opinions opposées, mais possédant une probabilité comparative sérieuse et solidement motivée, ne présente point de grave inconvénient pratique, pourvu que le confesseur ait la prudence de ne point imposer contre le gré du pénitent, surtout en matière de restitution, une opinion qui n’est, d’autre part, aucunement obligatoire.

— 3° Même des opinions moins solidement probables et qui ne peuvent par elles-mêmes motiver une prudente application des principes réflexes, peuvent, dans quelques circonstances spéciales, n’être pas sans utilité pratique, surtout après le fait déjà accompli. Quand le pénitent qui vient de s’accuser a, en sa faveur, quelques raisons d’elles-mêmes incapables de l’excuser d’une obligation, mais cependant de quelque gravité, et quand simultanément il est difficile au confesseur d’avertir le pénitent de l’obligation existante ou que d’autres inconvénients assez graves se rencontrent, il peut être permis, du moins après l’événement, d’avoir recours à ces opinions. Car si chaque circonstance ou raison prise à part est strictement insuffisante, leur union simultanée peut ne point l’être. D’ailleurs, à supposer même que le concours de toutes ces circonstances ne pût légitimer l’emploi de ces opinions, il se pourrait qu’il donnât réellement lieu à une telle perplexité de conscience que l’on ne pourrait pratiquement blâmer quelqu’un qui choisirait ce parti. Lehmkuhl, Theologia moralis, t. i, n. 1148 ; t. il, n. 266, 826 sq., cite quelques exemples de ce genre.

9e objection. — A notre époque justement préoccupée de la lutte énergique contre l’individualisme sous toutes ses formes et dans toutes ses applications, on a souvent blâmé la casuistique de s’être à peu près exclusivement et constamment cantonnée dans les applications de la seule morale privée, délaissant presque entièrement celles de la morale sociale, cependant très importantes pour le bien commun. On a même affirmé que la casuistique, ayant pour unique but la détermination rigoureuse des obligations atteignant chaque conscience particulière, est nécessairement individualiste. — Réponse. — 1° Revendiquant pour la casuistique scientifique, comme nous l’avons dit précédemment, le droit et le devoir de s’occuper des obligations de la morale sociale dans la mesure nécessaire ou utile au bien commun, nous ne voulons justifier ici que la casuistique fidèle à ce devoir, au moins dans son minimum d’étendue. — 2° L’étendue de cette obligation peut varier suivant les époques et lis milieux. Dans les sociétés qui acceptent la direction de l’Eglise catholique dans leur vie publique et dans toutes leurs institutions et qui se conforment habituellement

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