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GARLOSTADT


de Carlstadt, ville de Franconie où il naquit vers 1480, quelques années avant Luther. Il lit ses études aux universités d’Erfurt (1499-1503) et de Cologne (1503-1504). Ayant subi avec succès l'épreuve du baccalauréat biblique, il fut appelé en 1501 à la faculté de philosophie de la nouvelle université de Wittemberg, où il enseigna le thomisme, et s’y fit recevoir en 1510 docteur en théologie, devint ensuite profeseur de théologie et archidiacre de l'église de Tous-les-Saints de cette ville. Au courant de plusieurs langues, doué d’un esprit mystique, hardi et passionné, il enseigna avec éclat la doctrine de saint Thomas, ce qui faisait dire de lui par ses collègues : « Si nous avions plusieurs Carlstadt, nous en remontrerions à ceux de Paris. » Devenu doyen de la faculté, il conféra en 1512 à Luther le titre de licencié en théologie et un peu plus tard celui de docteur. En 1515, il se rendit à Rome et y prit le grade de docteur en l’un et l’autre droit. Devenu dès lors l’admirateur et l’ami de Luther, il adopta ses théories nouvelles sur la grâce et le libre arbitre. Aussi pour défendre ce soi-disant « augustinianisme » , il rédigea 15 thèses qu’il envoya à la cour de l'électeur de Saxe. Luther les qualifie ainsi : « Ce ne sont pas là les paradoxes de Cicéron, mais ceux de notre Carlstadt, de saint Augustin lui-même, d’autant plus remarquables que saint Augustin et Jésus-Christ sont au-dessus de Cicéron. » Dans le même but, en 1519 à Leipzig, il soutint une discussion publique avec le docteur Eck, chancelier de l’université d’Ingolstadt ; sans nier formellement la part de la volonté, il prétendait que les bonnes œuvres sont le fruit de la grâce. Commencé le 27 juin, ce colloque dura jusqu’au 3 juillet ; le 14 et le 15 juillet, ils discutèrent encore sur la part de l’homme dans l’accomplissement du salut, et sur les obstacles au bien ; les témoins s’accordent à dire que dans cette querelle, Carlostadt se montra d’une infériorité évidente. En 1520, il se lança dans la polémique contre l’Eglise catholique au sujet des indulgences, des Ecritures canoniques et de l’autorité du pape. Après un court séjour en 1521 à Copenhague, où Christian II de Danemark l’avait appelé pour préparer l'établissement de la Réforme dans ce royaume, il revint à Wittemberg et s’y laissa séduire par la prédication des prophètes de Zwickau. Ces fanatiques, inspirés par Thomas Mùnzer, se prétendaient illuminés par des révélations particulières, et en fait, poussant jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes l’idée luthérienne, voulaient abolir le culte, les sacrements, la société chrétienne même. Luther était alors à la Wartbourg ; en son absence, Carlostadt, reconnaissant en ces enthousiastes le zèle mystique qui l’inspirait lui-même, voulut accentuer le mouvement de la Réforme ; comme eux, il se flatta de révélations particulières, adopta même le langage de Mùnzer et vanta avec lui « le délassement et l’immobilité qui conduisent l'âme à la perfection » . Bientôt Wittemberg fut en proie aux plus graves désordres ; grâce au fanatisme de Carlostadt, la messe d’abord célébrée en allemand fut supprimée, les images brisées, les sacrements abolis ; après avoir combattu le célibat des prêtres el les vœux monastiques, il quitta lui-même l’habit ecclésiastique et finit par se marier.

Effrayé de ces réformes trop impatientes, Luther quitta sa retraite de la Wartbourg, pour les arrêter par son éloquence ; il sentait que tout en voulant « délivrer les fidèles » , une rénovation sociale ainsi tentée ne pouvait que nuire à sa propre réforme.

Malgré son secret dépit, Carlostadt dut se confiner de nouveau dans son simple rôle de professeur et d’archidiacre ; par crainte de Luther et de l’université, il n’osa publier le livre qu’il avait composé, mais au fond son fanatisme restait aussi ardent. En 1522, il correspond secrètement avec Mùnzer ; en 1523, il expose dans différents écrits « la voie par laquelle l'âme d'étape en étape, passant par les degrés successifs du dégrossissement,

de l’ennui, de l’abandon, du néant, aboutit à la vie en Dieu et s’y repose » ; il décrit les extases, les rêves où Dieu manifeste sa volonté et « l’inspiration dans laquelle il donne sa sagesse à l'âme passive, ignorante, désabusée de toute science et de toute sagesse humaine » . Et il revient sur cette idée : « Quand l'âme a des voies si intérieures pour s’unir à Dieu, à quoi peuvent lui servir les moyens extérieurs ? Qu’est-ce que la cène et qu’est-ce que le baptême ? Des cérémonies secondaires, assez indifférentes, sinon des obstacles au salut ou même des sources d’abus. » Et c’est ainsi que dans son mysticisme outré, il rejette le baptême des enfants, et il devient l’adversaire de Luther, qui, tout en niant la transsubstantiation, enseigne la présence réelle du corps et du sang de Christ dans la cène. Selon Carlostadt, « il y a dans l’inspiration une présence plus constante ; il n’y a point, ailleurs, de présence de Christ, la cène est simplement pour les fidèles un gage de la rédemption. » Dans son exagération il va jusqu'à soutenir qu’il faut prendre à la lettre la parole de Jésus-Christ : « N’appelez plus personne votre père ou votre maître ; » il enseignait enfin à ses élèves qu’ils devaient mépriser les sciences, brûler leurs livres, ne s’attacher qu'à la lecture de la Bible et apprendre un métier. Aussi lui-même, tout en restant professeur à l’université, allait-il, vêtu en paysan, cultiver un terrain qu’il avait acheté dans le village voisin de Segren. Pourtant, ces théories, il n’osait les prêcher ouvertement en présence de Luther, il le faisait en secret ; mais à la fin de 1523, fatigué de dissimuler, il quitta Wittemberg pour Orlamunde ; en effet, la paroisse de cette ville dépendait du chapitre de Wittemberg, et en sa qualité d’archidiacre, Carlostadt en était le titulaire naturel.

Là, son éloquence enthousiaste amena aussi la population à briser les images et les autels. Son idéal était l’Ancien Testament où Dieu avait ordonné de détruire des villes entières à cause de leur idolâtrie ; aussi, dans son désir d'établir ici-bas « un règne de justice où Dieu manifesterait sa volonté » , il aurait voulu abolir les lois civiles, et introduire dans son Eglise les prescriptions mosaïques du sabbat, « type du repos mystique de l'âme ; » il recommanda même la polygamie comme institution divine. Au même moment, en Thuringe, Thomas Mùnzer, pasteur d’Allstàdt, prêchant la communauté des biens et la transformation de la société, soulevait les paysans contre les nobles, les riches, les princes, et sapait toute autorité.

De son côté Carlostadt avait établi une imprimerie à Iéna, et de là, loin des censures de l’université, il répandait ses écrits. Luther la lit fermer et le conjura de revenir à Wittemberg ; il y revint, s’y humilia même, puis retourna à Orlamunde où, malgré l’ordre de l'électeur de Saxe qui lui retirait son bénéfice, le magistrat lui laissa sa paroisse. Pour en finir avec son fanatisme, Luther essaya de l’y poursuivre. Dans son voyage vers Orlamunde, il s’arrêta d’abord à Iéna, y prêcha contre l’illuminisme du pasteur Mùnzer, dénonça l’esprit de sédition et de meurtre « qui n’a su que briser des images, piller des églises, renverser des idoles de bois et de pierre et nous ravir le saint sacrement de l’autel » . Or, un de ses auditeurs était Carlostadt, il fut blessé au vif d'être ainsi assimilé aux rebelles, et sollicita une entrevue de Luther qui était à table. Un de ses amis, le prédicateur Hheinardt d’Iéna, a publié la relation de cette discussion, sous le titre de Acta Ienensia. Carlostadt prétend qu’il réfutera Luther et renouvellera par écrit les opinions de Bércnger contre la présence réelle. Luther lui en donne le défi et tirant un florin d’or, le lui promet s’il ose écrire contre lui. L’autre accepta. Enfin le 25 août Luther arriva à Orlamunde ; après avoir refusé de parler en présence de son adversaire, il essaya de se justifier d’avoir confondu avec les séditieux d’Allstàdt, les habitants de cette ville, mais ceux-ci excités'