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CALIXTE III


3° Au point de vue de la nature de la rente, le cens se divise en certain et incertain : certain, quand la pension est bien déterminée, par exemple 10 hectolitres de vin, ou 15 écus de rente ; incertain, au contraire, quand la rente est indéterminée, par exemple quand elle consiste en la 3e, 4e, 5e partie des fruits d’un champ, d’une vigne…, comme fit Joseph en Egypte. Gen., xlvii, 24.

4° Enfin, si l’on considère la durée de la pension, le cens est temporaire ou perpétuel : perpétuel, s’il est à perpétuité ; temporaire, s’il n’est que pour un temps, ou un temps déterminé, par exemple pour 10 ans, 20 ans, ou pour la vie d’un homme (c’est ce qu’on appelle census vitalitius). Le cens perpétuel est rachetable ou non suivant que le vendeur peut à son gré racheter le cens, en remboursant la somme versée par l’acheteur, ou non.

Molina, De justifia et jure, tr. II, disp. CCCLXXXI.CCCLXXXIII ; Lcssius, De justitia et jure, t. II, c. xxii, dub. Il ; de Lugo, De justilia et jure, disp. XXVII, sect. I, n. 2 sq. ; Barbosa, Collectai, in l. III Décrétai., De censibus, tit. xxxix, n. 4 sq. ; Pirliing, t. V, tit. xix, sect. iii, n. 66 ; Reiffenstuel, t. V, tit. XIX, n. 129 sq. ; Ferraris, Bibliotheca, v Cens us ; Schmalzgrueber, t. V, tit. xix, § 4, n. 156 sq. ; Vitlalobns, Somme de la théol. mor. etcan., tr. XXIII, diflîc. 1 ; Ballerini-Palmieri, De justifia et jure, n. 471 sq. ; Devoti, Inst. can., t. ii, t. IV, tit. xvi, De usuris, n. 21 sq. ; Wernz, Jus Décrétai., n. 201 ; Ojeti, Synopsis juria canonici, 1e édit., v° Census.

IV. LlCÉITÉ DU CENS AU POINT DE VUE DU DROIT NATUREL.

A ne considérer le cens qu’au point de vue du droit naturel, on peut affirmer d’abord, selon le sentiment commun des docteurs, que le cens réel est licite, pourvu qu’il n’y ait rien dans le contrat qui blesse l'équité naturelle, c’est-à-dire en définitive, pourvu qu’on achète le cens à juste prix. Lessius, loc. cit., dub. xii, n. 74. Si chacun, en effet, a le droit de vendre tous ses biens, il a évidemment le droit d’en vendre une partie, par exemple les rentes qui en proviennent ; si je possède un champ, pourquoi ne pourrais-je pas aliéner une partie des droits que j’ai sur ce champ, par exemple le droit de percevoir une rente annuelle de ce champ, puisque je puis vendre le champ lui-même ? En outre, ce cens a été expressément déclaré licite par les souverains pontifes Martin V, const. Regimini (1425), Galixte III, const. Regimini (1455), et Pie V, const. Cum onus (1569).

Cependant quelques anciens docteurs avaient soutenu la thèse contraire. Il est assurément permis, disaient-ils, de constituer un cens par donation, legs, etc. ; et il est loisible à chacun de vendre ou d’acheter un cens ancien ainsi établi. Mais, ajoutaient-ils, il est illicite de constituer un cens réel nouveau par contrat de vente et d’achat ; un tel contrat n’est qu’un prêt usuraire pallié, et est manifestement contraire à la justice. Par exemple, dans le cens perpétuel, la somme des rentes payées par le débiteur dépassera bientôt le capital versé par le créancier ; et celui-ci, sans titre spécial qui justifie ce gain, recevra ainsi plus qu’il n’a donné ; cette raison vaut même pour le cens temporaire, toutes les fois que la somme des rentes arrivera à dépasser le capital versé par le créancier. De plus, lorsque le débiteur veut se libérer de toute obligation en rachetant le cens, il doit restituer le capital primitif dans son intégrité, sans tenir compte des arrérages régulièrement payés jusqu’alors. Il n’y a donc pas égalité cuire le prix donné et la chose achetée, entre l’acheteur et le vendeur. Ainsi raisonnaient Henri de Gand, Quodlibet, I, q. xxxix ; VIII, q. XXIII, xxiv ; Holtomann, Observât., t. II, c. xv, et quelques autres, qui, conséquents avec eux-mêmes, tendaient au contrat de rente la prohibition dont le prêt ; i intérêt ('tait frappé de leur temps. On cite également en faveur de cette opinion Jean André, Innocent, Antoine de liutrio, Alexandre de Nevo, etc., quoique, irque Schmalzgruebei nrs ne la soutiennent

pas ouvertement. L. V, tit. xix, n. 165, 166.

DICT. DE TIltOL. CATUOL.

Les théologiens et les canonistes, répond de Lugo, disp. XXVII, sect. ii, n. 12, rejettent commmunément cette opinion. Voir Molina, disp. CCCLXXXV ; Lessius, c. xxii, dub. m ; Schmalzgrueber, I.V, tit.xix.n. 165 sq. La raison sur laquelle elle s’appuie est dénuée de fondement. Nous l’avons déjà dit, il y a une différence essentielle entre le cens et le prêt proprement dit. Dans le prêt, l’obligation principale, qui incombe au débiteur, c’est de rendre la chose prêtée, le capital ; tandis que, dans le cens, le débi-renlier est principalement obligé de payer la pension annuelle, et il n’est pas tenu de rendre le capital pendant qu’il paie les rentes. « Le prêt, dit M. Rambaud, implique essentiellement une exigibilité du capital, et par elle le débiteur est toujours sous le coup d’une menace de spoliation : or, rien de semblable avec la rente. » Éléments d'économie politique, part. III, c. il, p. 485. Ensuite, dans ce contrat l'égalité est fort bien gardée entre le vendeur et l’acheteur. Pendant que le cens dure, le débiteur pour la somme reçue paie un prix convenable (on le suppose). Lorsque le débiteur veut se libérer de toute obligation en rachetant le cens, il restitue au créancier ce qu’il a reçu : rien de plus juste ; ce droit à la pension annuelle, quand il est revendu au débi-rentier, vaut autant que lorsqu’il fut vendu la première fois au crédirentier. Et ainsi l'égalité persiste.

A la vérité, il pourra se faire à la longue que les rentes perçues dépassent de beaucoup la somme versée. Mais dans le contrat, cette inégalité n’est pas sans compensation, et il n’est pas vrai de dire que, si l’acheteur de la rente a quelques avantages, il n’a aucun titre pour les justifier. L’acheteur, en effet, ne court-il pas fréquemment le danger de perdre et le capital versé et la pension annuelle ? Il en devait souvent être ainsi au moyen âge, où l'état social offrait moins de stabilité qu’aujourd’hui. Les cens ont beau être perpétuels, l’expérience, observe justement de Lugo, montre qu’en fait ils ne sont la plupart du temps que temporaires, à cause des multiples accidents, de la mobilité, de l’inconstance des choses, qui peuvent occasionner leur perte totale ou partielle. C’est pourquoi, dans l’estimation des hommes, ils valent beaucoup moins que la somme des rentes que l’on pourrait en obtenir. Rien d'étonnant donc que le capital versé soit inférieur à l’ensemble, au total des pensions, qui pourraient être payées. De Lugo, disp. XXVII, sect. il, n. 16 ; Lessius, loc. cit., dub. V, VI. En outre, l’acheteur, par ce contrat, ne se met-il pas dans l’impossibilité de recouvrer jamais la somme versée, même si elle devait lui êlre utile pour réaliser un bénéfice, éviter un dommage ? Schmalzgrueber, t. V, tit. xix, n. 172. Il y a donc égalité entre le vendeur et l’acheteur ; le contrat est parfaitement conforme à la justice.

La question relative au cens personnel est plus complexe. C’est qu’en effet, le prêteur s’enrichit par l’industrie d’autrui ; or, c’est un axiome des anciens moralistes que le fruit de l’industrie profite à son auteur, même s’il était de mauvaise foi. Le cens personnel ne semble donc être qu’un contrat déguisé de prêt à intérêt : c’est pourquoi beaucoup de théologiens le condamnaient. D’autres, au contraire, le regardaient comme licite. Ainsi Lessius, après une longue discussion, conclut que le cens personnel est permis. Pourquoi, en effet, quelqu’un ne pourrait-il pas vendre le droit qu’il a de percevoir un bénéfice de son travail, de son industrie, de son art, de son talent spécial ? Et nous avons déjà dit qu’il y a une différence essentielle entre le cens et le prêt proprement dit (mutuum), Même conclusion pour le cens personnel avec hypothèque il le cens mixte. Lessius, toc. cit., dub. iv, n. 15-23. Hon nombre de docteurs sont du même avis que Lessius au sujet du cens personnel : Solo, De JUStltia, I. VI, q. v. a. 1, concl. 4 ; A/or, Jnsl. mor., part. III, I. X, c. v, q. i ;

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