Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.2.djvu/203

Cette page n’a pas encore été corrigée
1715
1716
CARDINALES (VERTUS)


la présente appellation comme le tient le Vocabulaire philosophique publié par le Bulletin de la Société française de philosophie, 3e année, Paris, n. 6, juin 1903, p. 158, mot Cardinal. Le Maître des Sentences, Pierre Lombard, attribuait la paternité de cette qualification à saint Jérôme : Hse virtutes cardinales vocantur, ut ait Uieronymus, Sent., t. III, dist. XXXIII, P. L., t. cxcii, col. 823. Cett3 attribution est inexacte : elle se réfère à un commentaire sur saint Marc faussement attribué à saint Jérôme, où il est dit : « Ces quatre vertus sont dites cardinales, parce que par la prudence nous obéissons ; par la justice, nous agissons virilement ; par la tempérance, nous foulons aux pieds le serpent ; par la force, nous méritons la grâce de Dieu. » Comment, in Evang. sec. Marc, c. i, P. L., t. xxx, col. 596. Saint Thomas d’Aquin ne suit pas le Maître des Sentences dans son erreur et rétablit l’origine ambrosienne de l’expression. Snni. theol., I a IIe, q. LXI, a. 1. Elle devient courante chez tous les scolastiques qui la considèrent comme le nom théologique des quatre grandes vertus morales. Peut-être, à cause de cette origine Ihëologique, conviendrait-il de réserver la qualification de cardinales aux vertus morales infuses pour les distinguer des vertus morales naturelles reconnues par les philosophes païens.

III. Définitions.

Nous trouvons dans la tradition trois acceptions différentes du qualificatif cardinal appliqué aux quatre vertus morales.

Cardinal est synonyme de principal.

C’est cette acception très large que suit saint Thomas, Sum. theol., l a II æ, q. lxi, a. 1. Il y compare, sous le rapport de l’importance, les trois grandes divisions génériques de la vertu : vertu théologique, morale et intellectuelle. Mettant hors de cause les vertus théologiques comme étant plutôt surhumaines qu’humaines, ibid., ad 2um, le saint docteur donne la priorité aux vertus morales sur les intellectuelles (la prudence exceptée, qui d’ailleurs est sur la frontière des deux groupes). Le motif de cette primauté est que les vertus morales réalisent par excellence ce qui fait la vertu, ne donnant pas seulement la faculté éloignée d’opérer le bien, mais l’exercice même et le bon usage de cette faculté, en raison de la rectification antérieurement en exercice de l’intention volontaire qu’elles supposent et de laquelle elles procèdent. Ce premier sens du qualificatif cardinal est donc par un certain côté relatif. C’est, par comparaison avec les quatre vertus intellectuelles restantes, sagesse, science, habitus des premiers principes et art, que les vertus morales seraient dites cardinales ou principales, comme étant des vertus, virtutes (virtualités agissantes), au sens précis et absolu du mot. Cette première acception ne tient pas compte de l’analogie du gon 1. Elle n’est d’ailleurs chez saint Thomas que générique et provisoire, la notion spécifique D’étant livrée que dans les articles suivants.

Cardinal est synonyme de général.

Les vertus cardinales représentent des conditions générales de la vie humaine qui doivent se retrouver dans tout acte de vertu. Sum. theol., l a II*, q. i.xi, a. 4. Ces conditions sont le discernement ou prudence, la rectitude ou justice, la mesure ou tempérance, la fermeté ou force. Ibid., a. 1. Elles sont inséparables l’une de l’autre et enveloppent tout acte de vertu quel qu’il soit ; la fermeté, par exemple, ne mérite pas le nom de vertu si elle n’est accompagnée de mesure, de rectitude et de discrétion. Ibid. N’étant que des conditions générales de tout acte vertueux, les vertus cardinales ne constituent pas, selon cette acception, des habitus spéciaux et distincts, sauf peut-être la prudence à raison de son rôle ordonnateur et prépondérant. Ibid., a. 2. Et donc un acte de vertu quelconque en tant qu’il comporte un discernement rationnel sera un acte de prudence : en tanl que rectifié, un acte de justice ; en tant qu’il implique la modération des passions, un arte de tempérance ; en tant qu’il trahit la fermeté, un acte de force. Ibid.

Cette acception ne doit pas être dédaignée, parce qu’elle a pour elle la plus grande partie de la tradition. Et sic multi loquuntur de islis virtutibus lum sani doctores quam eliam philosnphi. Ibid. On la rencontre, en effet, chez Cicéron, Tusculanes, c. xiv ; De officiis, t. I, c. xx ; chez S. Ambroise, In Lucam, t. V, n. 49, P. L., t. xv, col. 1649 ; De officiis, t. I, c. xxxvi, P. L., t. xvi, col. 75 sq. ; chez S. Augustin, qui ne regarde les vertus morales que comme des aspects de l’amour, prudenlia est amor Dei sagaciter seligens, De moribus Ecclesiæ, t. I, c. xv, P. L., t. xxxii, col. 1322 ; chez S. Grégoire le Grand, Moral, t. XXII, c. i, n. 2, P. L., t. lxxvi, col. 212. Saint Thomas, qui connaît et cite ces autorités, préférera cependant l’acception troisième.

Si, en effet, cette notion de la vertu cardinale a l’avantage de tenir compte de l’enveloppement réciproque des vertus morales — enveloppement dont témoigne, par exemple, ce fait que l’homme fort manquera de force dans certaines circonstances, s’il n’est pas en même temps tempérant — elle n’en donne pas le pourquoi. Elle expose ce qui est plutôt qu’elle n’explique l’organisme psychologique sous-jacent. Elle permet une explication commode de la connexion des vertus, mais cette explication ne laisse pas d’être superficielle. Pas plus que l’acception précédente elle ne répond à l’étymologie du mot cardinal.

3° La troisième acception ressortit à l’éthique aristotélicienne. — Saint Thomas la préfère à la précédente. Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxi, a. 4. Son fondement est la psychologie des habitudes, car la vertu morale est une habitude bonne, qui donne de réaliser bien un bon objet. Or, l’habitude doit sa détermination spécifique à ses actes, par la répétition desquels elle est engendrée, et les actes à leur tour se il. terminent par leur objet ou matière. C’est donc à l’importance pour la vie morale de l’objet ou de la matière d’une vertu que l’on doit recourir pour déterminer le rôle plus ou moins cardinal qu’elle exerce vis-à-vis des autres vertus.

Deux critères sont utilisés à cette fin par saint Thomas : 1. Est d’une importance majeure, cardinale, c’est-à-dire telle que la vie morale roule sur elle comme une porte sur ses gonds, toute matière à vertu particulièrement dificile. Ce critère se déduit du caractère essentiel de la vertu morale qui est de procurer efficacement l’exercice des actes bons. II est évident que la pierre d’achoppement de cette efficacité sont les pass40ns particulièrement difficiles à vaincre et que ces passions vaincues le reste va pour ainsi dire de soi : Sicut potissimum in illis qux ad concupiscibilem pertinent sunt delectationes secundum taclvm ; uwle tempera » lia, (par est circa illas delectationes, est virtus principalis, eutrapelia quæ est circa delectationes quse sunt iii, ludis est virtus secundai-ia. S. Thomas, In IV Sent., . III, dist. XXXIII, q.n. a. 1, sol.l » , Opéra, t. vil, p. 358. La vertu cardinale sera donc celle qui, dans une matière morale donnée, regarde le point cri tique, spécialement difficultueux de cette matière. Elle sert de type aux vertus secondaires qui abordent les aspects moins douloureux du même objet et n’ont plus qu’à reproduire en petit le schème de la manœuvre que les cardinales réalisent d’une manière totale et excellente. Leur influence est d’ordre formel en tant que causes exemplaires ; et d’ordre préparatoire pour autant qu’une grave difficulté vaincue sur un terrain facilite d’autres victoires sur le même terrain. Sum. theol-, I" II", q. LXI, a. 4, ad l" rn. C’est vis-à-vis de leurs sœurs, les petites vertus morales, que ces vertus sont dites cardinales.

2. Le second critère de l’importance d’un objet ("-I le rôle directeur que cet objet, parce qu’il occupe un rang plus rapproché- de la (in ultime, exerce vis-à-vis d’autres objets qui constituent les moyens de l’atteindre, (’.est ainsi que l’art de la construction des navires est subor-