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CANISIUS

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d’explication. Dans le camp protestant on n’a pas craint d’avancer que le principal obstacle à la continuation de l’ouvrage contre les Centuriateurs fut une certaine défiance qu’auraient éprouvée les supérieurs de Canisius à le voir traiter de la primauté de saint Pierre et des pontifes romains, à cause de ses tendances épiscopalistes. Drews, op. cit., p. 133 sq. Supposition de pure fantaisie, dont la fausseté est pleinement démontrée par les lettres qui s’échangèrent, dans l’occasion, entre le P. HofTée et les généraux de l’ordre. Au reste, il suffit d’ouvrir la Summa doctrinse christianse, aux articles qui concernent les préceptes de l’Église. Qu’on lise l’art. 9 : Age vero quid est Ecclesia Dei ? et l’art. Il : Perquos tandem nos docet Spiritus in Ecclesia veritatem ? et l’on se convaincra facilement que les supérieurs de Canisius n’avaient pas à se défier de sa doctrine sur le siège romain, hanc Pétri cal hedram, hune Ecclesiæ primatum, ni sur l’autorité suprême des pontifes romains, pênes quos de sævis de/iniendi suprema sempev potestas fuit. Cf. Braunsberger, Entstehung, p. 87 sq. Qu’on lise encore le Testament du Bienheureux, YAuthoris confessio placée à la fin du livre De Maria Virgine, sa correspondance où la préoccupation de sauvegarder la primauté du pape dans toute son intégrité revient si souvent, où il souhaite de voir se former un ordre de vrais chevaliers de saint Pierre, composés de savants, de nobles et de grands, qui se dévoueraient sans réserve à la défense du pontife romain. Epist., t. il, p. 368. Canisius marcha toujours de concert avec les évêques dans l’œuvre de la réforme religieuse, c’est vrai ; mais quel rapport y a-t-il entre cette conduite et Yépiscopalisme protestant ? Borne ne s’y est pas trompée ; elle a dit du Bienheureux dans le bret de béatification : « Son attachement et son dévouement au souverain pontife ne connaissaient point de bornes. Il avait consacré aux successeurs de Pierre tous ses tslents, ses efforts, ses peines, sa vie tout entière. »

Si la caractéristique de Canisius n’est pas dans la doctrine, où la trouver ? Dans l’ordre pratique ; il fut surtout, et il fut à un degré éminent un homme d’action. L’esquisse faite de sa vie l’a prouvé. Les rapports que ses premières fonctions lui créèrent avec les deux principales universités de Bavière et d’Autriche ; les ressources dont il disposa comme fondateur et premier provincial de son ordre en Allemagne ; l’inlluence qu’il acquit bientôt sur les princes catholiques, séculiers ou ecclésiastiques ; la part qu’il prit aux diètes de l’Empire ; sa présence, si courte qu’elle fut, au concile de Trente ; les ministères qu’il exerça dans les plus grandes villes, tout convergea vers le même but pratique : développer parmi les catholiques un mouvement de foi active cl militante, et opposer ainsi au protestantisme une résistance efficace.

Son apostolat littéraire, dogmatique ou populaire, porte le même cachet. S’il fallait, suivant l’antique usage, donner à ce docteur un titre, aucun ne lui conviendrait mieux que celui de Doctor praticus, en ce double sens qu’il portait les autres à l’action, et qu’il ne s’arrêtait pas lui-même à la pure spéculation ! Bien de plus évident pour la série de ses écrits qui tendent directement à l’instruction et à l’édification spirituelle de ses coreligionnaires. Parmi les autres ouvrages, tel qui, à première vue, semblerait plutôt rentrer dans l.i ligne de l’érudition critique, a, d ; ms la pensée du Bienheureux, une tout autre signification ; par exemple, l’édition des œuvres de saint Cyrille d’Alexandrie ou celle di’s œuvres de saint Léon le Grand. On a justement l’ait observer que le choix de ces personnages ne fut pas chose indifférente pour l’éditeur ; ses préfaces montrent que dans l’enseignement de ces deux illustres docteurs de l’Eglise, il voulait offrir aux catholiques d’irréfutables arguments contre l’hérésie, mais qu’en même temps il les proposait eux-mémei aux évéques de

I son temps comme des modèles à imiter, quales si profeclo haberemus episcopos. Epist., t. i, p. 378.

Il serait inutile d’insister sur le côté pratique des écrits publiés par Canisius contre le protestantisme. Avec quelle netteté et quelle profondeur il comprit l’essence même et la portée de cette hérésie, on peut en juger par les notes autographes, encore inédites, dont parle le P. Biess, op. cit., p. 449 sq. En face de la tausse liberté évangélique, que prêcha Luther, le premier jésuite allemand se fit l’apôtre de la vraie, celle qui délivre réellement les âmes de l’erreur et du péché ; de là son rôle de réformateur vis-à-vis des siens, de contreréformateur vis-à-vis des autres.

Parce qu’il combattit pour Borne, on lui a reproché parfois de n’avoir pas été véritablement Allemand. G. Kruger, op. cit., p. 4 sq. Assurément, il ne fut pas Allemand à la manière de ceux qui font de l’opposition à l’Église romaine un article de leur charte patriotique ; il ne voulut pas l’être ainsi, pas plus qu’il ne voulut dans son ordre d’un nationalisme étroit. Stat apostolica semper sententia : In Christo Jesu non est Judsens ; neque Grœcus, non est barbarus, neque Scliylha, etc. Epist., t. I, p. 326. Il fut Allemand comme l’avaient été ses ancêtres, il aima l’Allemagne catholique comme ils l’avaient aimée ; c’est cette Allemagne des ancêtres qu’il rêva de voir revivre. Mais toute sa correspondance, et particulièrement les relations qu’il envoyait à Borne et dont beaucoup passèrent sous les yeux des papes, montrent combien il aima l’Allemagne de son temps, avec quel dévouement et quelle constance il se fit l’avocat de sa nation auprès du saint-siège, avec quelle indulgence il jugeait et excusait les égarés de son peuple, avec quelle insistance il suppliait de traiter les Allemands doucement et délicatement : Memores nos esse oportet delicatiores esse Germanos. Epist., t. iii, p. £52 ; cf. Janssens, op. cit., t. iv, p. 409 sq. C’est dans le même esprit qu’au concile de Trente, il conseilla et persuada de faire précéder d’une exposition de la doctrine les canons dogmatiques où seraient condamnées les erreurs relatives à la communion sous les deux espèces et à la communion des enfants. Epist., ibid., p. 735 sq.

Cette mansuétude et cette délicatesse, il les voulait en tout, même dans la polémique. En 1557, il écrivait à un ami, Guillaume van der Lindt (Lindanus) : « C’est la modération jointe à la gravité du langage et à la force des arguments, que tous aiment et recherchent… Ouvrons les yeux aux égarés, ne les exaspérons point. » Epist., t. ii, p. 75, 77. Ce n’était pas faiblesse ; Canisius devait stigmatiser l’erreur et, quand il le fallait, les coryphées de l’erreur et leurs œuvres de destruction. Ibid, , p. 267, 670. S’il s’agissait de préserver la foi de sujets catholiques contre le venin de l’hérésie, il n’hésitait point, on l’a vii, à sanctionner ni même à conseiller la répression des apôtres de l’erreur. En cela pourtant il faudrait distinguer ce qu’il admettait en principe avec tous les théologiens de son temps, et ce que les souverains d’alors se croyaient en droit de faire suivant la législation courante. Epist., t. I, p. 462 ; Janssens, op. cit., t. v, p. 484.

Si maintenant nous passons de l’œuvre aux résultats, le jugement, ou plutôt la constatation est facile. Maint auteur a fait le tableau de cette contre-réforme religieuse ou renaissance catholique dont Canisius fui, non pas le seul ouvrier, l’œuvre fut collective et de longue durée, mais le promoteur et l’apôtre. C’est un fait que le catholicisme se maintint et relleuril dans les pays où s’exerça son apostolat ; des évêques et beaucoup d’autres personnages qualifiés ont souvent exprimé’l’intime conviction qu’il fallait en grande partie en savoir ^re a Pierre Canisius. Voir dans les Actes de la béatification, Positio siipcrvirtutibus, in-fol.. Rome, 1833, la série des Elogia ou Encomia. Summarium, S 123 sq. Sur ce point, d’ailleurs, catholiques et protestants sont d accord. Apres