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    1. WALAFRID STRABON##


WALAFRID STRABON. LA GLOSSA ORDINARIA

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fidèle à Lothaire et à l’idée impériale, il se vit expulsé de Reichenau par Louis le Germanique et se réfugia à Spire. En 842, grâce sans doute à l’influence de Grimald, l’un de ses maîtres à Reichenau devenu chapelain de Louis le Germanique, il est réintégré dans son abbaye. Il vécut là sept années actives pendant lesquelles il put déployer tout son talent. Il mourut malheureusement en pleine maturité le 15 des calendes de septembre, 18 août 849, aux bords de la Loire, au cours d’un voyage qu’il avait entrepris sur l’ordre de Louis pour se rendre auprès de Charles le Chauve. Son corps fut ramené à Reichenau et Raban Maur, alors archevêque de Mayence, composa son épitaphe.

Interrompue par une mort prématurée, l’œuvre écrite de Walafrid n’est pas considérable. Elle nous le montre en relations amicales avec un bon nombre de personnalités de son temps : moines de Reichenau et de Saint-Gall, car les rapports étaient constants entre les deux abbayes ; amis ou hôtes volontaires ou forcés de Raban Maur à Fulda ; personnages ecclésiastiques ou laïques de la cour d’Aix-la-Chapelle. Il demeura obstinément fidèle à Louis le Débonnaire, à Judith et à leur fils à travers toutes les péripéties d’une politique agitée ; il fut le poète de Judith. Mais ce serait être injuste à son égard que de le prendre pour un poète de cour : ses vers témoignent d’une sincérité qui, pour nous, ajoute à leur intérêt historique le charme de l’accent personnel. Walafrid nous permet de rectifier dans une certain mesure l’idée très fâcheuse que les écrits de Pascase Radbert, écho des rancunes de Wala, nous donnent de la cour d’Aix-la-Chapelle, sous l’impératrice Judith. Pour le reste, Walafrid fait figure de disciple ; sous sa plume reviennent fréquemment les noms de ceux qui ont été ses maîtres à Reichenau : Erlebald qui fut abbé après Hatto, Wettin, Tatto, Grimald ; mais celui qui marqua le plus sur son orientation fut Raban Maur : l’œuvre exégétique et théologique de Walafrid est tout à fait dans le sillage de celle de Raban.

II. Le problème de la owssa ordinaria. — Pendant plusieurs siècles on attribua à Walafrid Strabon cette vaste compilation de commentaires bibliques, dont une édition — celle de Douai en 1617 — ne compte pas moins de six volumes in-fol. Les éditeurs de Douai admettaient d’ailleurs que l’œuvre originale de Walafrid avait subi des additions importantes : la présence de références à des auteurs manifestement postérieurs à Walafrid l’indiquait clairement ; ils distinguaient ainsi comme trois étapes dans l’élaboration de la Glose : la Glose ordinaire, marginale, aurait pour auteur Walafrid ; la Glose interlinéaire serait due à Anselme de Laon, au xiie siècle ; enfin Nicolas de Lyre, franciscain du xive siècle, aurait ajouté ses Postillse scholasticse ; le développement ne se serait d’ailleurs pas arrêté avec ce franciscain, d’autres auteurs au xve siècle auraient fourni leur appoint. Dès l’invention de l’imprimerie, les éditions se succédèrent ; on en trouvera la liste dans VHistoire littéraire de la France, t. v, p. 62. Le texte de la Glossa que nous lisons dans la Patrologie latine de Migne aux t. cxiii et cxiv nous est donné comme établi d’après l’édition de Douai et d’antiques manuscrits, on ne nous dit pas lesquels ; l’éditeur nous avertit qu’il s’est efforcé d’éliminer toutes les gloses manifestement postérieures à Walafrid Strabon, mais on admettra facilement ce que peut présenter de conjectural un texte ainsi obtenu. Cf. P. L., t. cxiii, col. Il et* 12. L’opinion actuelle est formulée ainsi par dom Wilmart : Walafrid Strabon « est bien innocent de cette pauvre rapsodie ». Revue bénédictine, 1928, p. 95. Il est utile cependant d’exposer ici l’état de la question.

La présence dans la Glose de nombreuses citations de Raban Maur avec, ici ou là, des citations de Strabon lui-même, signalées suivant la méthode habituelle par les premières lettres de leur nom : Rab., Strab., pouvait aiguiller les recherches vers une région précise : Fulda et l’entourage de Raban. Les commentaires de ce dernier eurent un grand succès de très bonne heure dans l’Occident chrétien, mais quoiqu’ils se présentassent déjà comme un « abrégé » des grands commentaires des Pères, ils restaient considérables. D’où serait venue l’idée de les abréger encore et surtout de ne pas séparer texte et commentaire ; ce dernier courant tout au long du livre sacré devenait nécessairement plus sobre. Personne ne crut que Raban Maur eût accompli lui-même ce travail, mais il n’était pas absurde de penser qu’un de ses disciples s’en fût chargé ; c’est ainsi qu’on nomma Strabus ; très anciennement, en effet, nous le voyons qualifié d’abréviateur de Raban, témoin une note du ms. 69 (fin du XIe s.) de la bibliothèque de Tours, fol. 108 : après avoir reproduit les commentaires de Raban sur la Genèse et sur l’Exode, le copiste nous dit que, n’ayant pu trouver les commentaires du même sur le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome, il a transcrit celui de son « abréviateur », Walafrid Strabon. On tire aussi un argument d’un texte de Notker le Bègue, moine de Saint-Gall, qui écrit vers 890. Notker, répondant à son disciple Salomon, plus tard évêque de Constance, qui lui demande une liste des « Interprètes des divines Écritures », lui dit pour conclure son énumération : Si glossulas volueris in totam Scripturam divinam, sufficit Rabanus Mogunliacensis archiepiscopus (P. L., t. cxxxi, col. 998) ; ce texte pouvait être compris dans le sens de notre Glossa, car d’abord il dit : glossulas, ce qui ferait une œuvre distincte des commentaires de Raban qui, bien que résumés, sont assez copieux ; ensuite comme nous n’avons pas de commentaires de Raban sur tous les Livres saints mais seulement sur quelques-uns d’entreeux, on pouvait penser à un travail d’ensemble plus bref, mais s’étendant à toute la Bible, accompli sous son contrôle par un disciple. D’ailleurs le titre de la Glose ne présente pas Walafrid comme abbé de Reichenau mais comme moine de Fulda : Walafridi Strabi Fuldensis moriachi glossa ordinaria.

Cependant contre l’attribution de la Glose à Walafrid Strabon une très forte objection naissait de ce fait qu’il n’existe pas de manuscrit plus ancien que le xiie siècle. Comment une œuvre du ixe siècle n’aurait-elle pas laissé de témoins antérieurs ? D’autre part, il est étrange que les auteurs d’histoires littéraires qui écrivent au xiie siècle ne mentionnent pas la Glose dans le catalogue des œuvres de Strabon. Sigebert de Gembloux, vers 1111, l’ignore, P. L., t. clx, col. 563 ; de même YAnonymus Mellicensis qui écrit vers 1130. P. L., t. ccxiii, col. 974. Au xme siècle, Vincent de Beauvais écrit dons son Spéculum historiale, I. XXIV, c. xxviii, De Rabano et scriptis ejus et Strabo discipulo ejus : Hujus discipulus fuit Strabus, qui, eo dictante, plurima excepit et super quosdam libros Pentateuchi commentariola quædam edidit ; rien sur la Glose ; Vincent, pour qui la Glose manifestement fait figure d’auctoritas, la cite toujours comme un anonyme et il arrive que dans un même chapitre Strabus et la Glose soient cités conjointement comme deux autorités distinctes ; c’est le cas par exemple dans le Spéculum naturale, t. I, c. xxviii, De creatione empyrii et de materia informi, où Vincent invoque d’abord Strabusin Genesim, puis la Glossa. Au xve siècle, Trithème, dans son De scriptoribus ecclesiasticis, n : 246, consacrant une notice à Strabus garde le silence sur la Glose. Il est difficile de préciser à quelle date la Glose fut attribuée à