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VOL. MALICE


leurs variables, laissées à la libre et raisonnable appréciation des hommes sages. C’est la question des frontières entre le bien et le mal, entre le mal mortel et le mal véniel, entre la certitude morale et le doute. Frontières qui, tout à la fois, sont nettes et indécises : elles ne se situent pas à un point précis comme celui de l’ébullition de l’eau à 100°, mais souvent sur une ligne idéale ou mieux sur une bande plus ou moins large. Au-dessus de cette bande, l’action est certainement permise ou n’est que véniellement défendue ; en dessous, elle est défendue sous peine de péché mortel ; mais au sujet de ce qui se trouve sur la largeur de la bande, on entendra différentes opinions.

b) Quand il s’agit de justice, le problème se complique du fait qu’il touche à des valeurs matérielles qui se chiffrent à des sommes exactes et qu’il faut transposer sur le plan moral. La morale se voit obligée de baser ses conclusions sur des données arithmétiques, mais elle ne pourra y arriver prudemment qu’en prêtant à ces données arithmétiques un rôle moral, au besoin un rôle même pastoral. S’agissant du vol, ce rôle pratique des règles sur la gravité de la matière peut être considéré sous un double aspect, psychologique et pénitentiel : rôle psychologique qui vise à arrêter le voleur au moins avant le péché mortel ; rôle pénitentiel fixant au service du confesseur une norme au delà de laquelle il devra refuser l’absolution. On conviendra que ce double rôle ne manque pas d’importance.

Le rôle psychologique des limites déterminant la matière grave du vol est d’arrêter avant le péché mortel le croyant tenté de prendre le bien d’autrui. C’est l’avertissement du danger grave, le signal du bord de l’abîme, le poteau indiquant la ligne qu’il ne faut pas dépasser sous peine de perdre la grâce sanctifiante et de commettre le péché mortel. Toute conscience chrétienne, sans doute, pénétrée de l’esprit de l’Évangile, devrait reculer devant tout péché caractérisé et par conséquent devant toute injustice, ne serait-ce que le tort d’un centime. Malheureusement, tous les baptisés n’ont pas cette délicatesse, et tout au moins il est souhaitable de les faire reculer devant le péché mortel. C’est pour ces consciences élastiques que les frontières ont « été fixées. De même que Dieu fait de l’enfer un épouvantail d’une terrible réalité, ainsi la théologie easuiste, à la fin d’éviter des désordres sociaux graves ainsi que des ruines spirituelles, essaie-t-elle de marquer la frontière entre péché mortel et péché véniel. Est-elle, aux yeux de Dieu, plus éloignée ou plus proche, cela importe assez peu. Du moins, beaucoup, qui n’hésiteraient pas devant de petits larcins, reculeront devant un vol mortel ; quant aux autres, qui n’ont plus de conscience, la casuistique n’a pas a s’en occuper. La règle remplira son rôle psychologique : plus d’un qui n’est pas scrupuleux en fait d’honnêteté, s’arrêtera tout de même devant le signal avertisseur.

Le rôle psychologique des règles établies par la théologie est complété par leur rôle pénitentiel ou pastoral au service du confesseur ; ce qui fait leur justification.

Il n’est pas inutile de rappeler que, pour juger de la conscience de son pénitent, le confesseur n’a pas besoin d’une certitude absolue concernant la gravité des fautes ou des dispositions du pénitent. Ainsi, en matière de vol, lui suffira-t-il de connaître, par l’aveu du voleur, que la somme se tenait dans les environs de la quantité fixée comme matière grave, pour juger qu’il y a eu péché mortel d’injustice ; quelques francs de moins ne modifieront pas son jugement, à moins que d’autres éléments n’interviennent. D’ailleurs, que le confesseur, toujours failli ble, se trompe dans le sens de la sévérité ou de l’indulgence, cela n’est d’aucune conséquence fâcheuse quant à la valeur du sacrement : jugé mortel quand il est véniel, ou véniel quand il est mortel, le péché est remis par l’absolution, pourvu que le pénitent en ait eu un regret surnaturel.

Le confesseur a besoin d’une règle fixant la matière grave surtout en ce qui concerne une autre de ses fonctions, celle d’imposer la restitution du bien volé. Quel est son devoir, si le pénitent, pouvant le faire, s’obstine à ne pas restituer ? La doctrine théologique, sur ce point, est très nette : si le tort certainement n’est que léger, l’absolution ne peut être refusée pourvu que, par ailleurs, le pénitent soit bien disposé ; si le tort est jugé comme certainement grave, le refus d’absolution est de rigueur. Pour le juger tel, le confesseur n’a pas pleine liberté d’appréciation ; les théologiens approuvés lui fournissent une règle, à laquelle il doit se conformer. Il a certes le droit de suivre les théologiens moins sévères, mais il ne lui est pas loisible d’absoudre le voleur refusant sans motifs de restituer une somme dépassant au jugement de tous la limite de la matière grave.

Question des furlula.

C’est là une question

qui reste parfois enveloppée d’obscurités dans les manuels de théologie ; il importe donc de la déterminer avec précision avant d’en essayer la solution.

1. État de la question.

Elle peut se résumer en ces termes : entre plusieurs petits vols dont chacun a été ou sera un péché véniel, y a-t-il coalescentia possible, c’est-à-dire union des quantités volées en sorte que leur somme, si elle est considérable, puisse constituer matière à péché mortel avec, comme conséquence, l’obligation grave de restituer ? Le problème est posé surtout depuis qu’Innocent XI a condamné comme scandaleuse et dangereuse la proposition suivante : Non tenetur quis sub pœna peccati mortalis restiluere quod ablatum est per pauca furta, quantumcumque sit magna summa totalis, 2 mars 1679, n. 38, Denz.-Bannw., n. 1188.

Établissons d’abord qu’il s’agit de petits vols moralement distincts, ayant chacun sa malice propre selon les principes de la distinction numérique des péchés. En effet, si au contraire plusieurs vols n’étaient que les exécutions partielles mais se succédant sansinterruption morale d’une seule et même intention injuste, le problème de la coalescentia ne se poserait pas, ou plutôt il serait déjà résolu d’une façon parfaite. Ainsi, celui qui, voulant enlever un double quintal de farine et ne le pouvant en une seule fois, s’y prend à vingt reprises au cours d’une journée, ne commet pas vingt furlula, mais moralement un seul vol.

Cette première supposition faite, il y a lieu de se demander si un total considérable de petits vols s’étendant sur un temps assez long peut faire conclure à une grave culpabilité. Le problème ne se présente certainement pas sous un aspect arithmétique, bien que cet élément matériel soit essentiel à la solution. Il faut qu’à l’élément matériel du total considérable des torts injustes vienne s’adjoindre, comme dant tout acte humain, l’élément formel de l’intention mauvaise de l’agent, ici l’animus injustus du voleur avec une advertance au moins confuse de ce total. L’addition des quantités doit être faite et aboutir à une somme considérable de dommages. Toutefois, ce n’est pas au confesseur ou au théologien à faire cette opération après coup ; elle a été faite avec plus ou moins d’exactitude par le voleur qui a approuvé les mauvaises suggestions de sa cupidité et par cette intention a lié les uns aux autres les petits vols déjà commis ou à commettre plus tard. Encore faut-il qu’il y ait possibilité de faire cette opération d’arithmétique morale, en d’autres