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3239 VŒUX DE RELIGION. L’ESPRIT RELIGIEUX DES VŒUX 3240

qui ont donné naissance à la synthèse thomiste qu’on va voir.

2o  Doctrine de saint Thomas. —

A rencontre de saint Bonaventure, qui fait une si petite place à la vertu de religion, Apol. paup., c. iii, n. 20, dans la

« perfection évangélique », saint Thomas fait de la

religion la base de tout son enseignement sur l’état de perfection. « On appelle, dit-il, l’état de perfection la « religion », et ceux qui sont en cet état sont dits religieux ». Q. clxxxv, a. 1, ad 2um. Ainsi un mot désormais courant, qui d’ailleurs résume toute la tradition du Moyen Age latin, est la première pierre d’un édifice probablement définitif. Dans cette question sur les éléments essentiels de l’état religieux, l’article de tête nous fait entrer de plain-pied dans la vertu de religion, vertu spéciale — quædam virtus — à objet précis, « par laquelle on présente — aliquis exhibet — quelque chose pour le service de Dieu et son culte », op. cit., a. 1, « le culte ayant trait à l’excellence de Dieu…, et le service regardant la sujétion de l’homme : tel est le double but de tous les actes attribués à la vertu de religion ». IIa -IIæ q. lxxxi, a. 2, ad 2um. Et la perfection d’état est, sinon atteinte, du moins en perspective dans toute sa précision d’assujettissement à Dieu : Utrum religio importet statum perfectionis, a. 1.

Nous ne dirons rien des restrictions que l’auteur apporte à ce rapprochement entre une vertu morale particulière et l’état de perfection : religio importat statum perfectionis ; ad perfectionem pertinet, a. 1 ; religio nominat statum perfectionis, ad 3um, secundum quod actus omnium virtutum referuntur ad Dei servitium religiosi dicuntur…, ad 2um, sinon que c’est une synthèse théologique ; c’est une vue de l’esprit, mais particulièrement heureuse, puisque « la religion, qui nous ordonne à Dieu est une vertu plus noble que toutes les autres qui nous ordonnent à l’égard des biens créés », Quodl. iii, a. 13, ad 3um : aucune autre vertu morale ne peut à plus juste titre imposer sa loi à l’état de perfection, qui, lui aussi, nous ordonne à Dieu, et finalement nous y unit. Sur une systématisation des vœux en vue de l’apostolat, voir G. Lemaître, Sacerdoce, perfection et vœux, 1932, p. 48-92. Mais, puisque nous traitons des vœux de religion, appliquons-leur brièvement les observations de saint Thomas sur l’esprit religieux,
ad 1um, qui pousse à cette donation totale de sa vie, corp., de ses actes de vertus,
ad 2um, de ses exercices divers, sed contra, en vue de la perfection intérieure, corp., et selon certaines étapes,
ad 3um : on y verra à qui s’adressent les vœux, ce qu’ils comptent régir en général et la note religieuse qu’ils impriment à leurs entreprises, la perfection qu’ils entendent procurer et les progrès qu’ils comportent.

1. Candidats aux vœux.

Ce sont tous ceux qui ont l’esprit vraiment religieux, non pas uniquement les « parfaits », ou les contemplatifs, comme le demandaient les conceptions primitives. Sans doute ne s’agit-il pas de cette religion essentielle dont parlait saint Augustin : « celle-là donne au culte de Dieu un certain nombre de choses, elle est de nécessité de salut », ad 1um. Mais, dans ce sentiment initial,

« on se sent déjà lié à Dieu pour lui payer selon ses

moyens son tribut de révérence », Cont. Gent., t. III, c. cxix, et cette orientation de la volonté vers le service divin, qui est à la portée de tous, dans tous les états de vie, en amènera une élite à donner davantage, d’abord par une offrande répétée et en détail de ses actes les uns après les autres, et puis par la donation en bloc de son activité entière. C’est par cette religion parfaite que « quelqu’un se destine entièrement, lui-même et ce qui est à lui, au culte divin : voilà qui relève de la perfection ». Ad 1um. Cet « empressement de la volonté à se livrer à tout ce qui peut avoir trait à ce divin service », IIa -IIae, q. lxxxi, corp. et ad 1um, saint Thomas l’appelle dévotion, nom que nous réservons plutôt, depuis saint François de Sales, à la ferveur de la charité. Dans ce mot devotio, il y a le mot votum au sens ancien ; mais à y regarder, dans cette dévotion empressée, qui n’est pas accompagnée nécessairement d’une promesse faite à Dieu, n’y a-t-il pas une anticipation des vœux, une aspiration vers les œuvres de conseil ? Voilà les candidats aux vœux de religion : l’élite des serviteurs de Dieu.

2. Domaine des vœux de religion.

Il est universel, comme on vient de le dire, et par le fait la religion du serviteur de Dieu lui demande le don de sa personne ; il fera peut-être d’abord un don de ceci ou de cela : mais après avoir donné son acte, le dévot

« s’offre lui-même à Dieu pour le servir », loc. cit. Cf.

Lessius, De justitia et jure, t. II, c. xxxvii, dub. 1. n. 1 ; Wiggers, De jure et justitia, tr. VIII. « On donne par antonomase le nom de religieux à ceux qui s’assujettissent totalement au service de Dieu. » Q. clxxxvi, a. 1, corp. Aussitôt se dessinent des dispositions à sacrifier ses passions, « celles du cœur par le vœu de continence, les attraits multiples des commodités extérieures par le vœu de pauvreté, à soumettre enfin et surtout ses actions personnelles à un programme de perfection par le vœu d’obéissance ». Op. cit., a. 7, ad 3um. S’il n’y a pas encore consécration formelle et publique, il y a déjà « sujétion totale », mancipatio au service du Maître. Et c’est parce que l’esprit religieux devance ainsi l’œuvre des vœux que l’Église a assisté si discrètement, durant tous les premiers siècles, à la floraison de ces bons propos, et maintenant encore à l’élaboration de nouvelles institutions sans vœux imposés…

3. Utilisations des vœux.

Elles deviennent bien plus diverses que dans l’idéal primitif ou la vie au désert. « Ce qu’il y a de commun en toutes les formes de vie religieuse, c’est le don total de soi-même au service de Dieu… Leur diversité tient aux manières diverses dont l’homme peut servir Dieu et aux façons différentes dont il peut s’y disposer. » Q. clxxxviii, a. 1. Les activités les plus variées se sont développées à l’ombre de la religion : sans parler des ordres purement contemplatifs qui y ont trouvé leur place toute faite, puisque l’acte propre de la religion c’est la prière, « de la vertu de religion relèvent encore la célébration des sacrifices et autres choses semblables, qui lui appartiennent en propre », comme manifestations extérieures ; de là les ordres monastiques et les chanoines réguliers. Quant aux ordres actifs, malgré les résistances que cette assimilation rencontra au XIIIe et au XVIIe siècle, la doctrine leur faisait aussi leur place, puisque « les actes de toutes les vertus, en tant qu’on les ordonne au service et honneur de Dieu, deviennent, eux aussi, actes de religion… Ainsi se justifie l’appellation de religieux qu’on donne à tous ceux qui sont dans l’état de perfection ». Ad 2um. Les vœux essentiels doivent donc être assez généraux pour s’appliquer à toutes ces situations. Quant à ces vœux de racheter les captifs, de se dévouer au soin des malades, etc., qui se sont ajoutés au cours des siècles aux trois vœux essentiels et qui étaient encore, malgré leur but utilitaire, des vœux de religion, secundum quod referuntur ad Dei servitium, loc. cit., cf. q. clxxxviii, a. 2, avant de faire l’objet de vœux formels, ils furent de simples exercices de conseil, « des actes humains qui tirent de la fin » religieuse de leur auteur « leur spécification et leur nom. Donc ces actes religieux appartiennent à l’état de perfection », q. clxxxvi, a. 1, sed contra ; cf. q. lxxxi, a. 4, ad l um ; q. lxxxv, a. 3,