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VŒUX DE RELIGION. QUESTION DE MÉTHODE

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janvier 1923, p. 40. Aussi bien les anciens théologiens ne s’en expliquaient jamais que dans le traité spécial De statu religioso, qui faisait partie lui-même du grand traité Des états de vie, Sum. theol., IIa -IIæ q. clxxxiii-clxxxix ; ces vœux, comme ils disent, sont en eux-mêmes des actes insignes de religion ; mais, engageant toute la suite d’une vie humaine, ils font de cette vie ainsi consacrée un exercice systématique et professionnel de la vertu de religion ; c’est pourquoi aussi les traités de morale font aux vœux de religion une place spéciale parmi les devoirs d’état particuliers aux religieux.

D’autres que des religieux — des prêtres séculiers — peuvent encadrer leur vie apostolique dans certaines obligations relevant des vœux de pauvreté et d’obéissance : ce sont là des vœux de vie parfaite ; mais, tant qu’ils ne seront pas insérés eux-mêmes dans « les lois particulières d’une société religieuse », can. 488, ils ne seront pas approuvés par l’Église comme vœux de religion, can. 673. D’un autre côté, il est bien sûr que, dans un institut religieux, il y a autre chose que les trois vœux de religion ; cependant, lesdits vœux utilisent si judicieusement tous les éléments de la perfection dite religieuse, ils représentent si adéquatement cette voie par excellence qui mène à la perfection de la charité et de ses œuvres, qu’on ne peut rien comprendre aux vœux de religion si l’on n’a pas présente à l’esprit la doctrine de l’Église touchant l’état religieux dans son ensemble. Ce qu’on voudrait faire ressortir ici, à propos des vœux de religion, ce sont les raisons ascétiques qui ont arrêté le choix de l’Église sur nos trois vœux essentiels et qui ont inspiré les règlements juridiques dont elle les entoure ; on voudrait montrer l’accord profond, non seulement substantiel mais complet jusque dans les nuances, entre la doctrine de saint Thomas d’Aquin et ses sources scripturaires et traditionnelles. Mais la confrontation soulève une question de méthode.

I. Question de méthode.

1o  Méthode classique.

Elle consiste à prendre la vie religieuse telle qu’elle se trouve fixée actuellement par les lois de l’Église, avec ses trois vœux distincts qui en assurent la stabilité… Dans cette perspective, les textes scripturaires et patristiques que l’on cite en faveur des vœux de religion sont dotés d’un caractère normatif qu’ils sont loin d’avoir dans leur contexte. Dès que les canonistes veulent rendre raison de leur interprétation de tel ou tel vœu, par exemple Suarez dans son De religione, ils trouvent, dans la tradition, autant, sinon plus, d’objections que d’arguments.

2o  Méthode scolastique.

C’est que, sans le dire toujours expressément, les anciens théologiens considéraient la vie religieuse comme sortie toute faite ex inslitutione Apostolorum. A ce défaut de perspective historique, ils suppléaient par la rigueur de leur méthode scolastique qui ne leur permettait pas d’aborder la question des vœux sans avoir préalablement traité des fins et des éléments de la vie religieuse, dont les vœux ne sont que le couronnement. Saint Bonaventure part d’une définition à lui de la perfection chrétienne, qui comporte à son degré supérieur

« l’accomplissement des conseils spirituels opposés

à la triple concupiscence… Or, ces exercices de vertus de surérogation se font soit par pure bonne volonté, soit à cause d’une obligation dérivant d’un vœu : ils entraînent alors perfection d’état ». Apolog. pauperum, c. iii, n. 2, 11. Ainsi le Docteur séraphique définit l’état religieux par les vœux ; mais il entend bien que les vœux eux-mêmes sont d’abord de « saints désirs inspirés par l’amour de Dieu et du prochain », loc. cit. Nous dirions que ce sont des aspirations au mieux qui adoptent à leur profit une institution officielle.

De même, saint Thomas d’Aquin étudie en cinq articles préliminaires la fin religieuse de l’état de perfection et les divers conseils évangéliques qui se présentent à l’âme religieuse, avant d’aborder la question des vœux de religion : Utrum requiratur quod paupertas continentia et obedientia codant sub volo. IIa -IIæ q. clxxxvi, a. 6. Les articles préliminaires rappellent que la notion de vœu est commandée par celles de perfection et de conseils évangéliques. Autant de présupposés nécessaires à la présente étude : on ne peut rendre raison des vœux de religion sans ce détour sur le but même de la religion et sur l’ensemble des moyens à sa disposition. C’est en ces préliminaires que saint Thomas accueille bien des données traditionnelles. Même précaution dans tous ses ouvrages sur la question : dans le De perfectione vitæ spiritualis, il étudie la perfection même aux c. i-v, les « voies de perfection » et les conseils évangéliques aux c. vi-viii, les « vœux correspondants » aux dits conseils dans les c. xi-xv, et l’état religieux dans la fin de l’opuscule, mettant ainsi bien en relief que les vœux de religion n’ont de valeur qu’en fonction de l’état religieux. C’est une abstraction qui frise le mensonge que de réduire le traité De statu religioso à un catéchisme des vœux.

3o  Méthode historique. —

Mais il est une troisième manière d’étudier les vœux de religion : canonistes et théologiens surtout ont intérêt à se mettre à l’école de l’histoire. Car les vœux, comme la vie religieuse, sont des données traditionnelles, justiciables comme les autres de la loi du progrès imprimé par l’Esprit-Saint à toutes les institutions de l’Église. Si l’état de perfection s’est développé dans les grands siècles chrétiens, les vœux qui en sont l’ossature se sont développés et solidifiés par le même mouvement de croissance : ce ne sont pas des supports rigides posés par le code évangélique sur quoi l’on aurait appuyé les diverses observances, mais ce sont des aspirations généreuses, qui se sont affirmées et sont devenues par la suite des lignes de résistance toujours vivantes et plastiques. Des offrandes gracieuses, dira-t-on, des

« propos », des promesses pratiques aux chefs de communauté,

ne sont pas des vœux ? Ce ne sont pas nos vœux actuellement reconnus par l’autorité ecclésiastique ; mais ce sont des vœux au sens ancien du mot, votum est quum aliquid ex nostris offerimus Deo, dit Origène. Voir l’art, précédent, col. 3190. Ce sont même des vœux publics, puisque l’autorité ecclésiastique de ces temps-là les admettait comme linéaments d’une vie de perfection. Demander à ces parfaits des promesses plus catégoriques, c’était les dérouter dès le début, parfois les dégoûter à tout jamais d’un idéal où ils ne voulaient aucune contrainte, comme dira l’Histoire lausiaque. Le vœu de ces « continents » n’était point encore apparu comme une obligation morale embrassant tout l’ensemble d’une vie religieuse, mais comme l’élan d’une âme fervente à la rencontre d’une invitation particulière du Christ, parmi d’autres conseils évangéliques qu’on laissait volontairement de côté. C’est ainsi que les Pères ont compris l’Évangile et l’on ne peut leur faire dire plus que cela : le vœu du moins consacrait à Dieu une part de la vie des parfaits chrétiens du IVe siècle.

Quant aux progrès de cette doctrine de perfection, ils sont flagrants durant les siècles suivants : l’histoire monastique, que nous souhaiterions d’ailleurs plus avancée sur certains points de doctrine, signale du moins les stades suivants :

Après l’idéal primitif de perfection concrétisé dans le martyre et la virginité, voici, au IVe siècle, la fuite au désert, qui est la réalisation d’une consigne nouvelle : la séparation du monde et l’apparition de la pauvreté chez les parfaits. Aux IVe et Ve siècles, un