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VŒU. ÉTUDE THËOLOGIQUE

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b. — Passons à l’accusation d’immobilité que trop de chrétiens dressent comme un épouvantail autour des vœux de quelque importance. Par immobilité, parle-t-on d’inaction ? Mais en fixant vers Dieu notre volonté nous lui offrons la faculté motrice de notre vie entière, nous lui donnons en bloc des actes successifs qui vont composer cette vie, aujourd’hui, demain, dans dix ans. Rien là d’inerte ou de paresseux, mais une résolution qui exalte notre élan vital en l’acculant aux choses parfaites. Et puis cette résolution ne nous arme-t-elle pas contre les tentations d’instabilité ? Elles sont si naturelles, ces tentations, que saint Thomas semble surtout frappé par le caractère hardi, risqué, de la promesse. « Nul ne doit s’exposer au danger ; or, c’est le cas de celui qui fait un vœu : ce qu’il pouvait avant le vœu omettre sans risques devient ensuite périlleux pour lui s’il manque à sa promesse. » Réponse : « Quand le péril vient de la chose même et parce qu’on la fait, ex ipso facto, par exemple d’un pont ruineux qu’on devrait passer, mieux vaut ne pas aller plus avant ; mais si le danger ne vous guette que par votre propre défaillance à utiliser cet expédient, il n’en perd point pour autant ses avantages : ainsi est-il bien commode d’aller à cheval, bien qu’il soit dangereux de tomber de sa monture I Autrement, il faudrait laisser tout de suite tout ce qu’on fait de bien et qui peut d’aventure vous ménager quelque mauvaise surprise. Celui qui regarde le vent ne sème point, Eccl., xi, 4°, art. 4, ad 2um. Sans figure, celui qui, prudemment, s’est engagé dans la voie du vœu, n’a pas à se relâcher de sa première ferveur, mais il doit veiller activement ne deflciat ab Mo facto : ce sera de sa faute s’il manque à son vœu : il aura changé son bon vouloir ». Loc. cit.

c. — Abordons enfin la question beaucoup plus délicate de l’amour de Dieu et de la générosité de ceux qui font des vœux. Théoriquement, cette promesse introduit plus d’amour dans nos vies et, avec les vœux héroïques, réalise la perfection de la charité ; et cette réponse suffit. En fait, dans une vie morale parfaite, où l’homme tout entier serait acquis au bien, la note d’obligation disparaît entièrement devant quelque chose de plus profond, qui est l’attrait du bien et la charité pour celui qui le propose. Saint Thomas n’enseigne-t-il pas que « le Christ étant ce qu’il était n’avait point à faire de vœu, parce qu’il avait la volonté fixée dans le bien et la vision de Dieu » ? A. 4, ad 3um. Et si les Pères grecs, saint Hilaire à leur suite, In Psalm., cxli, ont dit qu’ « il avait fait vœu à son Père d’accomplir tout ce qui regardait le salut des hommes », c’est que leur notion du vœu, comme on l’a dit, mettait en relief l’aspiration plutôt que l’obligation : le vœu offrande d’action de grâces du Seigneur, venant en ce inonde, « cette devotio gutorum a si bien inspiré tous ses actes, qu’ils sont apparus comme l’accomplissement parfait de ce désir qu’il avait d’honorer Dieu, studio a se pro rcligione, quæ jurala s tint, hacc esse perfeela ». Loc. cit. ; cf. In Psalm., xxi.

Mais ce studium reliyionis est loin d’être absent des vœux promesses que font les fidèles précisément pour répondre à l’appel du Christ et des saints et pour l’approprier les valeurs incarnées dans leurs exemples. Dans ces voeux comme dans toute consigne morale, « ce qu’il y a de premier, ce n’est pas l’obligation, c’est l’amour de la valeur ; le sentiment de l’obligation nait quand le mouvement issu de cet amour rencontre une résistance Interne : il traduit l’affirmation que cette résistance doil être vaincue… Ile I vrai que, dans l’état où nous vivons actuellement, Cette opposition existe toujours. L’obligation sera donc le premier fait moral qui nous frappe » dans le vœu : promissio Deo facta de bono meliori. « Mais l’analyse qui veut le rendre intelligible, montre qu’il repose sur quelque chose de plus profond » : votum est, disait Origène, cum aliquid de nostris ofjerimus Deo. Cf. de Montcheuil, Dieu et la vie morale, dans Construire, t. vi, p. 50. Aux origines du vœu public on peut appliquer ce que dit l’auteur sur « ces nouvelles valeurs généralement reconnues, qu’une société (l’Église) intègre dans ses conditions d’équilibre : elle met à leur service sa pression sur ses membres ». P. 39. Les vœux de religion, ces testifleationes boni propositi, comme on les définissait au Moyen Age, ne deviennent-ils pas alors de ces « procédés nécessaires à tel état social et dont l’usage doit tomber quand ils ne sont plus indispensables » ? I Ia-IIæ, q. lxxxix, a. 5 et ad l um. Non, car « celui qui éprouve l’attrait d’une valeur morale sanctionnée par la société éprouve encore les résistances de l’égoïsme : il peut ratifier cette pression, non comme la raison de s’y attacher, mais comme le moyen de faire équilibre à ce qui la contrarie. Elle ne sera acceptée que si elle joue pour une valeur véritable », op. cit., p. 39, cf. p. 51.

V. Dispense du vœu.

A ce chapitre important et fort pratique, qui en arrive à examiner la portée sociale du vœu, et son administration par la société naturelle ou la société spirituelle, nous ne pouvons donner que les proportions limitées d’un appendice, pour ne pas surcharger cette étude théologique de trop de considérations canoniques. Le Code de droit canonique énonce ces dispositions positives en trois mots : Cessât votum… irrilatione, dispensalione, commutatione, can. 1311, à chacun desquels il consacre un canon : à l’irritation des vœux, le can. 1312 ; à la dispense, le can. 1313, qui renvoie au can. 1309 pour les vœux privés réservés au Saint-Siège, et aux can. 638, 640, 648 pour la dispense des vœux religieux ; à la commutation des vœux, le can. 1314. C’est, en effet, sur ces répercussions sociales du vœu que l’autorité ecclésiastique exerce tout son empire.

Fondement social.

Du point de vue strictement théologique auquel nous nous tenons, toutes ces modifications fort diverses : annulation radicale, suspense, dispense, commutation du vœu se fondent uniquement sur ce fait que le vœu est une démarche privée qui trouve ses modalités, ses origines et ses conséquences dans le milieu social. L’obligation du vœu a sa source dans la libre volonté de l’individu ; mais elle le dépasse moralement et socialement, puisqu’elle engage, non seulement sa fidélité envers Dieu, mais son comportement dans la société naturelle ou spirituelle dont il fait partie ; « le vœu est, en effet, un des grands moyens que la religion emploie à faire régner les droits de Dieu dans l’humanité >. J. Didiot, op. cit., p. 90. Ajoutons, en effet, que cette démarche privée répond a une institution, souvent à une pression sociale, que l’individu a reprise à son compte, pour ainsi dire, et utilisée à ses fins personnelles. Et dans ce cadre, c’est une loi privée qu’il s’est imposée de lui-même. Or, dit saint Thomas, « il semble que ce qui procède de la volonté particulière d’une personne donnée a moins de fermeté que ce qui émane de la volonté commune. Pourtant, en matière de loi, on admet qu’il y ait dispensatio par un homme. Il peut donc, semble-t-il, y en avoir même on matière de vœu ». IP-II*, q. lxxxviii, a. 10. sed contra. Naturellement, comme la loi, qui tient sa force de la volonté commune » pour le bien commun, ne peut être suspendue que par l’autorité et non par l’individu lui même, la promesse à Dieu ne peut être administrée que par l’autorité naturelle, en ce qui la concerne, ou spiii tuelle, pour tout ce qui concerne les droits de Dieu.