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VŒU. ÉTUDE THEOLOGIOUE

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au vœu. Il en est enfin qui, prises en elles-mêmes, sont bonnes et peuvent, de ce chef, tomber sous le vœu ; mais elles peuvent tourner à mal, et, dans ce cas, il ne faut pas les observer », Ih-ll^, q. lxxxviii, a. 2, ad 2um. Le cas est simple et toujours possible en matière de promesse, de serment ou de vœu, d’un acte primitivement bon, qui, non point se révèle, mais devient objectivement mauvais ou dommageable, dans le temps qui sépare l’émission et l’accomplissement : c’est ce que nous pourrions appeler une chose de moralité variable. Il est heureusement moins fréquent dans la pratique du vœu que dans celle du serment ; mais cette « éventualité » devrait engager les âmes à ne faire de vœux qu’en matière manifestement meilleure que leur contraire.

La doctrine catholique s’applique fort bien à tous les cas du même genre qui peuvent se présenter : faisons des vœux qui soient à l’épreuve de l’expérience et, si la matière peut ménager des surprises pour soi ou pour autrui, demandons conseil : pas de vœux à l’aveugle, mais des vœux en clair, des promesses visant un acte de vertu, une pratique approuvée par l’Église, tout au plus des vœux « médicinaux, comme on les a appelés, qui parent par la mortification à une nécessité ou une faiblesse particulière ». Vermeersch, Theol. mor., t. ii, p. 167. A ces vœux banals, on ne risque rien, même dans le domaine de la dévotion privée. Mais qu’on n’oublie pas les grands vœux de religion. Hors de là, c’est l’aventure, même et surtout avec les promesses qui semblent les plus généreuses. Car, remarquons-le bien, « saint Thomas ne dit pas : Il y a certaines promesses (déjà douteuses en elles-mêmes) qui peuvent avoir une bonne ou une mauvaise issue ; mais il dit nettement : Quædam bona in se sunt, ce sont des promesses excellentes en soi, qui peuvent avoir ce mauvais dénouement… Donc présupposez bien ici la bonté dans la matière du vœu, et examinez malgré tout les suites possibles. En effet, là où manquerait tout à fait le bien, ce serait très simple : il n’y aurait pas du tout de vœu. » Cajétan, in h. loc. Mais, dans les cas ici envisagés il y a matière bonne et vœux émis comme il faut : c’est ensuite que tout se gâte et en interdit l’observation.

Ce fut bien là, dit saint Thomas, « l’aventure du vœu de Jephté », Jud., xi, 39. Ce serait donc dénaturer le problème que d’y voir « la promesse d’une chose à la fois bonne et mauvaise, d’un sacrifice bon comme action de grâces, mauvais comme homicide ». J. Didiot, op. cit., p. 343. En fait, à s’en tenir à nos idées chrétiennes, la question est suffisamment complexe ; c’est une promesse à Dieu, bonne à l’origine ( ?), qui a comme changé de signe en cours de route.

Les théologiens du xiii siècle se trouvaient entre deux feux : d’une part, « l’épître aux Hébreux (Hebr., xi, 32) met Jephté au nombre des saints », ce qui suggère déjà que le rédacteur inspiré avait d’autres idées que nous sur le geste de son héros. C’est que, dit saint Thomas au début du récit biblique, on lit que « l’Esprit du Seigneur fut sur lui » ; entendons que la foi et la dévotion qui le portèrent à faire son vœu venaient du Saint-Esprit. Mais la suite est moins ad rem : « Voilà pourquoi il est placé » par l’Écriture « au catalogue des saints, à cause de la victoire qu’il remporta et parce que probablement il se repentit de son action criminelle, action qui était cependant la figure d’un bien », le geste du Christ qui envoie son Église aux persécutions. À ces échappatoires ajoutons, si l’on veut, celles qui étaient suggérées par les Pères : « la bonne intention dans l’offrande », S. Jérôme, In Jerem., c. vu ; « la déplorable nécessité du vœu », S. Ambroise, De ofjiciis, t. III, c. xii ; « l’attachement fidèle à la religion jusqu’à sa mort », S. Augustin, Qmest. XLIX in Heplateucham, P. L., t. xxxiv, col. 812, de ce « Juge incorruptible », Eccli., xlvi, 13 : telles étaient les suppositions bienveillantes de l’antiquité sur ce vœu imprudent.

3. Vœux qui vont au détriment de leur auteur. —

Voici un cas qui, pour être moins dramatique, est beaucoup plus fréquent : ici ce n’est pas le temps qui complique les choses, mais l’équation personnelle. La chose promise est apparue dès l’abord avec ses avantages et ses inconvénients ; mais, en somme, elle présentait certains aspects de bien meilleur. Mais, au fond, puisque ce bien meilleur est, comme on l’a dit, celui de la personne qui se charge du vœu, < ce qui a des répercussions malheureuses pour la personne ou qui ne [lui] sert à rien ne peut être réputé comme bien meilleur. Or, à la suite d’un vœu, vous allez vous livrer à des veilles ou à des jeûnes immodérés, qui tournent à votre danger personnel ». Ce qui est vrai des mortifications excessives l’est encore des gestes inconsidérés de générosité : cela du moins n’est pas sans avantage pour tout le monde ; mais « il se fait parfois des vœux de choses bien indifférentes et qui ne sont bonnes à rien. Est-là le bonum melius que nous cherchons dans le vœu ? » II a -II ! B, q. lxxxviii, a. 2, ad 3° m.

Il faudrait graver en grandes capitales la réponse du Docteur angélique en une étude comme celle-ci : « Les vœux qui portent sur des choses vaines et inutiles, mieux vaut s’en moquer que de les observer. » Loc. cit., ad 3um. À dire vrai, le grand acte du vœu ne devrait décemment porter que sur une matière de quelque importance. Quant aux promesses de donations ou de mortifications, revenons aux principes, et nous verrons qu’un certain nombre étaient nulles dès l’origine. « Les macérations qu’on inflige à son corps par les veilles et les jeûnas, ne sont agréées de Dieu qu’autant qu’elles sont actes de vertu : entendons par là qu’il faut y mettre une juste discrétion, de façon à réprimer la concupiscence sans trop surcharger pourtant la nature. Oui, avec ces garanties, on peut faire de ces choses l’objet d’un vœu. Mais on est facilement mauvais juge en sa propre cause : il vaut donc mieux, pour [l’observation de] ces sortes de vœux, s’en remettre à un supérieur qui décide des vœux à tenir et des vœux à rejeter. » « Si l’observation est manifestement nuisible, pas besoin de consulter personne », dit Cajétan, in h. loc. Mais c’est l’avantage immense des vœux de religion d’être contrôlés dans leur exercice quotidien par la discrétion d’un supérieur ; c’est, au moment de faire un vœu privé, « la haute convenance » de consulter un directeur. « Notons toutefois que, si l’on éprouvait à garder un tel vœu une charge manifestement trop lourde, sans avoir la faculté de recourir à un supérieur, on ne devrait pas observer un tel vœu » qui vous fait plus de mal que de bien.

4. Controverses sur les vœux en matière commandée.

La consigne était nette de viser haut et juste en fait de vœux privés : la controverse devait se rallumer au sujet des humbles vœux portant sur des préceptes. Les écrivains ascétiques du xive siècle, qui écrivaient pour des religieux, laissaient volontiers entendre que de si pauvres promesses n’étaient pas des vœux. C’est dans cette ambiance que se développa l’opinion, assez courante déjà chez les premiers scolastiques, opposée au vœu en matière commandée. Mais la controverse finit par s’embrouiller et s’aigrir par les efforts contraires des canonistes et d’autre part des théologiens champions de saint Augustin. « Certains juristes distinguent deux sortes de vœux, dit Albert le Grand, In I V’m Sentent., dist. XXXVIII, a. 1 : les uns sont des vœux de bon plaisir, voluntatis.