Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/837

Cette page n’a pas encore été corrigée

3203

VŒU. ÉTUDE THÉOLOGIQUE

3204

n’avait été utile que pour le cas particulier des vœux de perfection. C’est pourtant par respect pour cette tradition que saint Thomas pose la question en ces termes : Ulrum votum semper debeat fieri de meliori bono ? a. 2 ; et l’on va voir qu’il se met à l’aise avec la formule.

Synthèse thomiste.

Il faut d’abord se bien remettre à la question spéciale qui nous occupe : la matière du vœu, et la résoudre par ses principes propres, ceux qui régissent toute promesse véritable : qu’est-ce que l’on promet à quelqu’un ? « Nous avons défini le vœu une promesse faite à Dieu. Or, une promesse porte toujours sur quelque chose que l’on fait en faveur de quelqu’un volontairement. » Il y a donc deux termes à considérer : le bénéficiaire de la promesse, et celui qui promet de faire quelque chose. Pour Dieu, bénéficiaire du vœu, il faut que l’action promise soit de celles qui puissent être sans injure offertes au Dieu de toute sainteté ; pour nous, il faut que ce soit un acte volontaire.

1. Du côté de Dieu.

« Ce serait, non pas une promesse, mais une menace que de dire qu’on va agir contre cette personne. De même ce serait une promesse vaine si on lui offrait quelque chose qui ne lui serait pas agréable. » Or, le bénéficiaire du vœu, c’est Dieu lui-même, qui exigeait dans l’Ancien Testament que les victimes offertes par vœu fussent sans défaut. Lev., xxii, 23. « Aussi, comme tout péché va contre Dieu, et que d’autre part, aucune œuvre ne lui agrée que les œuvres vertueuses, il en faut conclure que le vœu ne peut porter sur rien d’illicite, ni sur quelque chose d’indifférent, mais seulement sur un acte de vertu. » Nul donc serait le vœu qui aurait pour but premier ou comme condition nécessaire quelque chose de mauvais. Mais saint Thomas ne dit pas qu’en matière de vœu Dieu exige toujours le mieux : il exige le bien, c’est-à-dire qu’il ne veut ni une chose mauvaise, ni une chose indifférente. Il attend de nous le mieux et nous y oblige, non pas au titre du vœu, mais par le précepte de la charité ; et ceci est une autre question. Cf. Suarez, Opéra omnia, t. xiv, p. 756. Dieu acceptera le vœu de ne pas retomber dans tel péché : sans être une œuvre excellente, la promesse qui en est faite est un acte de vertu.

2. Du côté de l’homme. —

Si l’homme qui fait un vœu est normalement amené à choisir le bonum melius, c’est, dans la logique de son geste, « parce que le vœu implique une promesse volontaire ». S’il fait ce vœu, c’est par sa volonté libre : « c’est elle qui pousse sa raison à promettre quelque chose parmi celles qui sont à la disposition de sa volonté. » A. 1, ad 2um. Ici reparaît le caractère essentiellement spontané et généreux d’une telle promesse. En effet, nécessité et volonté libre s’excluent. Il en résulte que :

a) « Ce qui est nécessaire absolument, et qui ne peut manquer d’être ou de ne pas être ne peut aucunement faire matière d’un vœu : ce serait sottise de faire vœu de mourir un jour, ou de ne point voler comme un oiseau ». Il s’agit ici de nécessité physique, ou d’impossibilité manifeste : dans les deux cas, il n’y a pas de vœu. Les moralistes ont, avec raison, annexé ici le cas de l’impossibilité morale. « Est nul le vœu d’éviter tous les péchés véniels même semi-délibérés, puisque cela est impossible sans un secours spécial de Dieu ; de même celui d’éviter tous les péchés véniels délibérés, à moins qu’il ne s’agisse d’une personne sérieusement adonnée à la perfection. » Noldin, De prseceptis, n. 211. Pour les objets en partie possibles, cf. toc. cit. et Suarez, De relig., p. 839. Sur le vœu du plus parfait, voir d’Alès, Dict. d’apologétique, t. iv, col. 1926.

b) « Il y a cependant d’autres choses dont la nécessité n’est pas absolue, mais dépend nécessairement d’une fin qu’on veut obtenir, par exemple ce sans quoi on ne peut être sauvé : ces choses peuvent être matière d’un vœu en tant qu’on les fait volontairement, mais non pas en tant qu’elles sont nécessaires » à la fin, c’est-à-dire obligatoires. Cette nécessité de prendre tel moyen pour arriver à telle fin se distingue de la nécessité physique parce qu’elle s’impose à une volonté qui demeure toujours libre d’agir ou non ; et, quand elle agit librement, même d’une matière de précepte elle peut faire matière de vœu, avec la même spontanéité qu’en matière de conseil. C’est pourquoi, lors même que nous sommes déjà obligés à de tels actes, nous pouvons nous aider à les mieux remplir en en faisant spécialement la promesse. Remarquons qu’il n’y a pas que les préceptes de droit naturel ou divin qui peuvent ainsi être voués, mais aussi les commandements de l’Église, les devoirs d’état, etc. : on peut, non pas s’obliger à assister à la messe le dimanche, puisque le précepte ecclésiastique le fait déjà, mais promettre et affermir ainsi sa volonté dans ce bien obligatoire en en faisant l’objet d’une offrande volontaire.

c) Enfin, « il y a des œuvres qui ne tombent ni sous une nécessité absolue, ni sous une nécessité conditionnelle ». Il est manifeste, pour employer les termes concrets de Suarez, « qu’il se présente souvent des actions moralement bonnes que ni la raison naturelle ne donne comme nécessaires, ni l’Écriture ni l’Église n’imposent comme précepte ». Loc. cit. « Ce sont des œuvres qui relèvent entièrement de notre bon vouloir, et, par suite, c’est là que le vœu trouve sa matière tout à fait appropriée. Or, c’est là aussi ce qu’on nomme un bien meilleur, par comparaison avec le bien qui est de façon commune nécessaire au salut. C’est pour cela qu’on dit que le vœu a pour matière un bien meilleur », art. 2. « C’est dans ce domaine du mieux-être spirituel que le vœu, qui est lui-même un moyen remis à notre libre disposition, trouve sa matière vraiment appropriée. » J. Menessier, p. 375.

a. L’exégèse thomiste. —

Cette explication ne se donne pas comme l’interprétation exacte de l’axiome augustinien : saint Augustin, comparant seulement état à état, avait demandé de vouer au Seigneur « un état meilleur » et il entendait bien que la virginité était un bien meilleur en soi que le mariage ; saint Thomas renonce à comparer ainsi un conseil à un précepte commun, au point de vue de leur excellence intrinsèque, ce qui serait contraire à ses idées en la matière ; voir plus loin l’art. Vœux de religion. Mais, pour tirer parti de cette formule courante, il compare précepte et conseil du point de vue de l’homme et de sa volonté ; il rejoint, à cette occasion, la doctrine traditionnelle qui avait vu dans le vœu un élan généreux : le vœu est un cadeau que nous faisons à Dieu, avaient dit les Pères grecs ; le Docteur angélique, continuant leur pensée, nous rappelle que le vœu est une libre démarche qui franchit les barrières de l’obligation commune, et qui ne trouve son objet « propre » qu’au delà de l’obligation, dans les œuvres de surcroît. C’est bien là ce que les Pères, les auteurs du Moyen Age et les fidèles de tous les temps ont compris par ce « bien meilleur ». Si bien que l’exégèse de saint Thomas répond en somme à la pensée profonde de saint Augustin sur le vœu. Il faudrait pourtant se garder de croire que l’expression « le bien meilleur » ainsi entendue couvre toute la matière du vœu, puisque les Pères, nous l’avons vii, avaient recommandé de plus humbles promesses, et que saint Augustin lui-même avait préconisé les vœux sur tous les devoirs du chrétien. Mais tous ceux qui