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quatre siècles après la mort de Virgile, sa tombe fut retrouvée lors de la réfection de la cathédrale, de nombreux miracles accompagnèrent et suivirent cette invention. Rien d’étonnant que, cinquante ans plus tard, en 1233, le pape Grégoire IX ait -canonisé Virgile.

Son nom reste lié à un petit problème qui a été agité à plusieurs reprises : Virgile aurait été condamné comme hérétique par le pape Zacharie pour avoir enseigné l’existence d’ « Antipodes », c’est-à-dire d’hommes existant à l’autre extrémité du diamètre traversant la sphère terrestre. Il ne faut pas oublier que, quand ils parlent des Antipodes, les anciens veulent toujours parler d’hommes ; l’expression pour eux n’est pas une simple désignation géographique et la question de l’existence des Antipodes est distincte de celle de la sphéricité de la terre. Les philosophes et astronomes de l’époque hellénistique, qui admettaient pour la plupart la forme sphérique de la terre, étaient généralement d’avis que les régions situées dans l’hémisphère austral pouvaient être habitées par des hommes. Voir l’art. Antipoden dans Pauly-Wissova, Realenzyclopàdie der klass. Altertumswissenschaft, t. i. Mais, comme le fait remarquer Pline, Hist. nat., t. II, c. lxv, cette idée d’hommes qui, par rapport à nous, auraient marché la tête en bas, paraissait saugrenue au vulgaire. Lactance s’est fait l’écho des plaisanteries faciles que suggérait cette imagination. Instit. div., t. III, c. xxiv. Il n’hésite pas à écrire : « L’origine de cette « erreur » ce sont les théories des philosophes qui ont estimé que la terre était ronde. »

Saint Augustin avait sans doute lu ce passage. Toutefois, c’est pour d’autres raisons qu’il rejette, sinon peut-être la sphéricité de la terre, tout au moins l’existence des « Antipodes ». Au 1. XVI de la Cité de Dieu, il se pose de multiples questions sur l’unité de l’espèce humaine, sur l’appartenance à une même souche de peuples plus ou moins fabuleux, plus ou moins monstrueux, et il conclut fort sagement : aut Ma quæ talia de quibusdam gentibus scripta sunt omnino nulla sunt ; aut si sunt, homines non sunt ; aut ex Adam sunt, si homines sunt. De civ. Dei, t. XVI, c. xviii, fin., P. L., t. xli, col. 487. C’est dans le même esprit qu’il examine au chapitre suivant la question des Antipodes. « Ce que l’on raconte à leur sujet, explique-t-il, n’est digne d’aucune créance. On n’en parle que sur des conjectures ou de faux raisonnements, en s’imaginant que l’autre partie de la terre qui est au-dessous de nous ne peut pas ne pas être habitée : alteram terræ partem quæ infra est habitatione hominum carere non posse. On ne remarque pas que, même si l’on croit que la terre est ronde, il n’est pas du tout nécessaire que cette partie de la terre (à l’opposé de la nôtre) soit un continent, ab aquarum congerie nuda sit ; et, quand même cela serait, il n’y a aucune nécessité que des hommes y habitent. Aussi bien l’Écriture ne ment pas et la vérité de ses narrations relatives au passé est garantie par la réalisation des prophéties qu’elle rapporte. Il serait vraiment trop absurde de dire que certains hommes sont passés de notre région dans celle-là, en traversant l’immensité de l’océan, de telle sorte que, même là-bas, une race humaine serait établie descendant du premier homme. » Les mots « l’Écriture ne ment pas » s’expliquent par la finale de ce même chapitre : la table ethnographique de la Genèse, x, énumère exactement et complètement tous les peuples descendant de Noé ; elle ne mentionne pas les Antipodes ; sous peine de faire mentir l’Écriture, on ne peut donc admettre l’existence de ceux-ci. Deux préoccupations, en somme, chez Augustin : la véracité de l’Écriture, mais plus encore le souci de l’unité

de l’espèce humaine et de sa descendance adamique.

Le haut Moyen Age hérita de ces idées. Isidore de Séville parle à plusieurs reprises des Antipodes. EtymoL, t. IX, c. ii, n. 133, P. L., t. lxxxii, col. 341 ; t. XI, c. iii, n. 24, col. 422 ; t. XIV, c. v, n. 17, col. 512. Au premier passage, il reprend exactement le mot d’Augustin : nulla ralione credendum ; les raisons qu’il donne pour nier l’existence des Antipodes sont toutefois moi n s nettes : quia nec soliditas patitur, nec centrum terræ, sed neque hoc ulla historiæ cognitione firmatur, sed hoc poetse quasi ratiocinando conjectant. La raison théologique n’est pas invoquée, mais bien des arguments pseudo-scientifiques ou historiques.

Au début du viiie siècle, Bède admet la sphéricité de la terre, mais n’admet pas pour autant l’existence des Antipodes ; son texte assez obscur semble dire

— Isidore l’avait déjà pensé au dernier passage cité — que la température s’élevant de manière régulière à mesure que l’on descend vers le midi, la vie est impossible dans l’hémisphère austral, tout comme au pôle Nord à cause du îroid : hinc calore, itlinc rigore prohibente accessum. De natura rerum, c. xlvi, P. L., t. xc, col. 264.

Tel étant l’état de l’opinion au viiie siècle, il est assez facile de comprendre les réactions de Boniface devant les idées soutenues par Virgile. Qu’enseignait au juste celui-ci, il est assez difficile de le dire : les termes employés par l’évêque de Mayence dans sa lettre au pape se réfèrent plus ou moins aux expressions d’Isidore : « Virgile pensait qu’il existait des Antipodes. » Que ce monde fût tout différent du nôtre, Boniface l’a compris, puisqu’il aurait eu son soleil et sa lune, différents de nos astres à nous. Mais ceci est invraisemblable. Le mathématicien qu’était Virgile se rendait bien compte que l’hémisphère austral était éclairé par les mêmes luminaires que le nôtre, quoi qu’il en fût des étoiles proprement dites. Bède sur ce sujet était très clair. Il était des constellations, dit-il, qui n’étaient visibles que dans notre hémisphère ; celles du Midi nous étaient inconnues. Loc. cit. C’est donc sur la nature et l’origine des êtres humains habitant ces régions que Virgile aurait peut-être spéculé. Étaient-ils de même nature que nous, descendaient-ils, comme nous, du premier père ? C’était, nous l’avons vu plus haut, la question essentielle que se posait Augustin. Il nous est impossible de savoir ce qu’en pensait, ce qu’en disait Virgile. Comme on n’a pas mis ultérieurement d’obstacle à son élévation à l’épiscopat, il faut bien penser qu’il avait donné les apaisements convenables.

Pour ce qui est de la sévérité avec laquelle le pape Zacharie traite l’opinion que lui a signalée Boniface — perversa et iniqua doctrina, quam contra Deum et animam suam locutus est — et des’sanctions graves prescrites contre Virgile au cas où il serait reconnu coupable, il n’y aurait pas lieu de s’en étonner, si, à la suite peut-être de Boniface, le pape a vu dans l’admission des Antipodes une atteinte portée à l’unité de l’espèce humaine. C’était là une question qui n’était pas sans attache avec le dogme et où l’Église avait son mot à dire. Zacharie englobait-il dans la même réprobation l’opinion scientifique émise par le prêtre scot sur l’existence, à l’opposé de nous, d’un monde habitable et habité ? Ce n’est pas certain. L’eût-il fait qu’il n’y aurait pas lieu de tourner le geste pontifical en une atteinte à l’infaillibilité. Celle-ci n’est pas en cause. D’abord parce que le pape n’exprime aucun jugement et se contente de prescrire une enquête sur les opinions qui lui ont été dénoncées ; ensuite parce que la condamnation toute provisoire qu’exprimerait Zacharie ne réalise pas, à beaucoup près, les conditions requises pour un enseignement ex cathedra. On a parlé, à propos de