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VINCENT KKKHIKU (SAINT)


le don des langues. En Basse-Bretagne, à des auditeurs qui ne connaissaient que le breton celtique et. d’une manière qui pour être moins éclatante n’en est ; pas moins réelle, en France de langue d’oïl, en Bourgogne, en Italie centrale, à Fribourg ou dans les cantons reculés de la Castille, Vicent Ferrer parlait dans sa langue d’oc catalane-valencienne, l’ancien « limou- { sin » de la curie avignonnaise. Or, il se faisait coin-i prendre par des masses populaires énormes réunies en plein air parce qu’aucun bâtiment d’église n’eût j été de taille à les abriter. Ces hommes incultes, qui I ignoraient complètement le catalan-valencien, suivaient sans difficulté les sermons de Vicent Ferrer, y prenaient goût et y revenaient. Qu’une certaine sympathie aide à comprendre im discours prononcé dans une langue étrangère qu’on ne connaît point, soit ! encore que ce doive surtout être vrai de personnes cultivées, qui devinent les sujets traités et connaissent les racines philologiques des mots j employés. Chacun a pu faire l’expérience que ce mode de connaissance ne mène pas bien loin dans l’intelligence du discours prononcé. Peut-être le rationalisme voudra-t-il dans le cas du don des langues de Vicent Ferrer trouver l’explication uniquement dans des phénomènes de télépathie. Il n’est pas niable que la conscience humaine possède des possibilités que la psychologie n’a pas encore débrouillées, mais dans le cas du don des langues de Vicent Ferrer, il s’agit d’un pouvoir tellement extraordinaire et exceptionnel que le théologien considérera sainement la téléologie salutaire où ce don se trouve impliqué dans une grande entreprise catholique et apostolique de conversion. À la Pentecôte les apôtres et les disciples avaient déjà bénéficié de cette sorte de don des langues, ainsi, semble-t-il, que d’un autre don auquel Vicent Ferrer n’eut pas partage, et qui consiste à pouvoir parler directement des langues multiples dont on ignorait tout.

10° Rôle de médiateur dans la guerre de Cent ans. - Homme d’unité dans les affaires de l’Église et de l’Espagne, Vicent Ferrer consacra les dernières années qui lui restaient à vivre à parcourir la France dans l’intention de secourir et d’apaiser ce pays ruiné et troublé par la guerre de Cent ans. Il joignit les, principaux feudataires du roi de France ; et parut aux cours de Bourgogne et de Bretagne. II devait ] mourir à Vannes, en 1419, dans une sorte de vieillissement rapide causé par les duretés de sa vie itinérante. Dans l’incertitude des destinées de la France après Azincourt (1415), il paraissait voir l’avenir du Côté du roi Henri V d’Angleterre. Il prêcha devant ce monarque et son armée près de Cæn en Normandie. On ne voit point qu’il ait accordé pareille faveur au ; roi-dauphin Charles, lorsqu’il traversait la France pour se rendre de Bourgogne en Bretagne. Comme il s’était trouvé pendant le Grand Schisme dans le parti opposé à celui où militait sainte Catherine de Sienne, on est porté à croire qu’il se trouvait moralement dans le parti opposé à celui qui sera bientôt celui de Jeanne d’Arc, encore toute petite tille à cette époque. De telles sortes d’oppositions en matières contingentes n’atteignent pas les vertus héroïques de Vicent [-"errer, qui n’a d’ailleurs commis en ces diverses occurrences aucune imprudence connue de l’histoire.

II. I’mii’m ii"i i. 1° iraili-dr la vie spirituelle.

diootion au rosaire. — Dans son essence, la mission itinérante de Vicent Ferrer était toute spirituelle, tradition Invérifiable veut que ce soit au béné lier d’une communauté de dominicains, à laquelle il avait eu occasion de s’intéresser en Italie, qu’il Com pou son Traité de (a vie spirituelle. Cet opuscule, rpii devait atteindre au cours îles siècles a une renom

niée universelle, serait mieux dénommé : directoire de vie ascétique. D’autre part l’auteur dans les quelques phrases qui lui servent de prologue, ne fait pas mystère de ses emprunts. Venturin de Bergame lui a fourni, à la lettre, toute une première partie. Là où il est plus personnel, Vicent Ferrer donne surtout des conseils, et même des recettes, pour acquérir et maintenir la régularité indispensable à la vie quotidienne. Maintes fois dans ses sermons et, semble-t-il, dans de courts opuscules ou plutôt des formulaires qui ont été conservés dans des codex plus importants, Vicent Ferrer préconisait telle ou telle manière de prier. On rappellera seulement ici (voir article Bosaire t. xiii, col. 2902) que saint Vincent Ferrier est l’un des mystiques qui jalonnent au cours des siècles du Moyen Age l’abondante histoire évolutive et surtout involutive de la pieté mariale fleurie. C’est grâce à ses allusions de prédicateur que put être retrouvé dans le manuscrit Kosarius de la Bibliothèque nationale de Paris (début du xive siècle) l’anneau qui permettait à notre érudition de faire remonter l’essentiel du rosaire à saint Dominique et ses confrères, à Gautier de Coinci et même aux dévotions cisterciennes. Une riche réalité poétique et religieuse apparaît ainsi conforme aux plus saines traditions et contraire à un modernisme fait d’ignorance plus encore que de mauvaise foi. Vicent Ferrer, indépendamment de la piété joyeuse fleurie recommandait le chemin de croix du bienheureux dominicain Alvarez de Cordoue, ancêtre commun des mystères douloureux du Bosaire et du chemin de croix actuel.

Sermons.

Vicent Ferrer a prononcé à travers

l’Furope occidentale, comme légat a latere Christi, avec un incomparable prestige de thaumaturge, avec toute l’émotion de sa suite de flagellants, au milieu d’immenses concours de peuple, plus de six mille sermons qui durèrent plus de trois heures chacun. Tous les témoignages concordent sur ces points. Cette prédication souleva l’enthousiasme et procura des changements si considérables dans la vie morale des individus et des groupes qu’on faisait équivaloir son action oratoire à une nouvelle évangélisation de la chrétienté. Pourtant, on ne cite plus guère à présent les sermons de saint Vincent Ferrier que pour des joyeusetés de saveur bien médiévale, nullement attentatoire à la sainteté de leur auteur, mais qui évidemment ne rendent point compte de l’extraordinaire succès remporté par celui-ci. À lire les éditions de sermons de saint Vincent Ferrier qui se sont succédé surtout à la fin du xve siècle ef au XVIe siècle, même à lire les deux gros volumes de sermons édités par le P. Fages à la tin du xix 1’siècle, on gardait une impression plutôt décevante.

Il existait donc un problème des sermons de Vicent Ferrer ; et ce problème demeurait insoluble, même après que l’eut abordé en philologue correct le 1’. Si gismund Brcttle dans sa thèse.San Yirente Ferrer und sein literarisrher Xarhlass, Munster. 1924. Pour résoudre la difficulté, il fallut la publication par l’institucio Patxot de Barcelone, en 1927. du Quaresma de Sont Virent Ferrer predieada a Valeur ia l’ami llll. I.cs notes, la transcription, et plus encore les LVin pages in- 1° de l’Introduction, ensemble dû à Don Sanchis Sivcra. chanoine de Valence, permettent d’approcher sensiblement de la vérité.

En chaque contrée. Espagne, Suisse. France, Italie, divers auditeurs « le Vicent Ferrer avaient réuni des notes qu’ils avaient prises à ses sermons prononcés en langue catalane. Ils avaient colligé ces textes soit en langue latine soit en langue catalane, (.es derniers recueils sont particulièrement abondants. On les trouve encore sous leur forme manuscrite ancienne, par exemple à la Seo de Valence, n. t70, 278, ’9, 180,