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VINCENT DE BEAUVAIS

copistes ; il ne se contente pas de publier des extraits de ses immenses lectures, il dit son opinion. Il ne rend pas seulement le service matériel de rechercher et de publier des textes rares, d’abréger des textes trop longs ; il choisit ; et choisir, prendre le meilleur, laisser le médiocre et l’inutile, n’est pas si facile. Son œuvre est une Somme, à la fois au sens du Moyen Age et au nôtre ; elle est un résumé et un total, ou mieux une synthèse.

Et c’est la seconde intention de Vincent, il n’entasse pas pêle-mêle ses découvertes, il les ordonne, il les classe. Que cette synthèse présente des faiblesses, il n’en faut pas douter ; les questions sont parfois accrochées les unes aux autres assez artificiellement ; on constate aussi des redites, de réelles insuffisances dans certains exposés dogmatiques ou philosophiques, mais l’ensemble n’en est pas moins fort riche ; s’il n’a pas créé une pensée neuve, Vincent s’est du moins assimilé la pensée de ses prédécesseurs. Cette synthèse à base biblique et ecclésiastique présente une vraie grandeur. Nous admirons en la contemplant comment tout se tient dans la connaissance. Vincent ne va pas au hasard, son œuvre est composée en un tout harmonieux ; construite comme une cathédrale, moins régulière et géométrique qu’un temple grec, mais combien plus vivante. Sans doute la dominante de cette synthèse est théologique ; la science pure ne s’y rencontre pas, et toutes les sciences et toutes les connaissances se rangent comme des servantes devant la théologie, science reine ; mais on observera que cette théologie ne consiste pas en une suite de thèses abstraites et desséchées : elle est une vraie theologia mentis et cordis ; elle est une vision du monde, ensoleillée par Dieu, soleil des esprits, elle est au surplus éminemment poétique ; le merveilleux ne manque pas, mais la naïveté n’est qu’apparente, le tout est d’un robuste optimisme.

On comprend dans ces conditions que les matériaux patiemment assemblés par Vincent n’aient pas servi seulement à ses frères en religion, aux « lecteurs » de tout enseignement, mais qu’ils aient fourni le thème de la décoration des cathédrales, décoration qui voulaient être dans la pensée des clercs qui la commandaient un enseignement pour le peuple. Emile Mâle a très bien montré dans son Art religieux du.//, e siècle en France comment toute la sculpture du xiiie est ordonnée par le Spéculum dont elle pourrait constituer comme l’illustration, l’eu de lecteurs s’aventurent aujourd’hui dans les in-folios de l’édition de Douai, mais l’artiste ou le curieux qui s’arrête devant tel détail pittoresque de l’imagerie de pierre de nos cathédrales se doute-t-il qu’il déchiffre une page de Vincent de Beau vais ?

Outre les ouvrages indiqués dans le corps de l’article : Touron, Histoire des hommes illustres <ic l’ordre de S. Dominique, Paris. [743, t. i ; Daunou, Vincent de Beauvais, dans Histoire littéraire, t. xviii ; Delisle, Ibid., I. XXXII ; Boutaric, Examen des sources du Spéculum Htstoriale de Vincent de Beauvais, Mém. de l’Acad. des Inser. et Bel. Lettr., 1863 ; du même, Vincent <te Beauvais et lu connaissanct de l’antiquité classique nu XIII’siècle, dans Rei », des quest. hist., janvier ixt."> ; Abbé l.efevre, Vincent île Beauvais, dans le iiull. île tu Connu, archéol. du diocèse île Beau Vais, I. il. 1KI7, p. 166 ; M.-l). Chapotln, O. I, Histoire’les dominicains île in province de France : le siècle îles fondations, Rouen, 18 ! » 8.

Henri I’ii.iiih.


VINCENT FERRIER (Saint), dominicain, né à Valence (Espagne) vers 1350, mort a Vannes (France) en 1419. - I. linle dans l’histoire religieuse. II. Parénétique.

I. I-îoi.l. DANS L’HISTOIRE RBLIOIl I SI. I " I lise :

gnanent : traité des * Suppositions dialectiques. La

dale de nu aine d< iiinl Ferrer (tel est exact)

VINCENT FERRIER (SAINT) 3034

I ment son nom dans son idiome catalan-valencien) | n’est connue qu’à une ou deux années près. Il était issu d’une famille de bourgeoisie ; c’est la légende qui lui a fabriqué beaucoup plus tard une généalogie nobiliaire ; l’un de ses frères, Boniface, devint plus tard prieur de la Grande-Chartreuse. Lui-même, dès les premières années de son adolescence, avait pris l’habit dominicain dans le couvent de sa ville natale. Il y reçut, ainsi que dans d’autres maisons de son ordre, en particulier au studium générale de Toulouse, une forte formation philosophique et théologique, strictement thomiste et particulièrement développée pour la logique, qu’il étudia plusieurs années avant de la professer à son tour notamment à Lérida. Au delà des complications de l’occamisme, se faisait jour dans cet enseignement de Vicent Ferrer l’audace de considérations à la fois beaucoup plus traditionnelles et pourtant presque modernes, ainsi qu’il appert de ce qui en demeure : le Traité des Suppositions dialectiques. Cet ouvrage, qui ne dépasse pas les dimensions d’un opuscule, a laissé perplexes les historiens de la philosophie, en raison de la richesse de pensée personnelle incluse dans une concision excessivement originale. La notion de supposilio, appartenant d’abord au vocabulaire logico-grammatical, en avait été tirée par l’occamisme critique pour tenter de mettre en évidence un caractère quasi-subjectif du cheminement de la pensée de chaque individu considéré comme irréductible aux autres individus. Vicent Ferrer remarque contre Occam que la suppositio trie dans une masse réelle ce que le penseur prend en considération actuelle et directe. C’est un peu le raisonnement que tiendra beaucoup plus tard Emile Meyerson pour le cas particulier où ce penseur est un physicien mathématicien. Dans le cas de Meyerson comme dans le cas de Vicent Ferrer, c’est d’ailleurs la même référence à la théorie aristotélicienne de l’abstraction qui joue presque explicitement. Vicent Ferrer ne s’en tient pourtant pas au seul « réalisme des espèces », si l’on peut appeler de ce nom la doctrine de la connaissance soutenue en son temps par l’anglais W’alter Burleigh, successeur attardé de Guillaume de Champeaux. Sans être scotiste, le réalisme de Vicent Ferrer va jusqu’au réalisme de la personne humaine, plus qu’individu : monade. Il connaît les textes de saint Thomas sur la multiplicité des intellects agents humains ; il sait que « chaque homme qui pense, pense pour son propre compte » ; il fait assister, quoique trop brièvement, à l’opération de découpage produite par chaque esprit lorsqu’il porte attention sur un point du réel et rejette le reste dans la pénombre ou dans l’ombre. Sous le langage de l’école, on voit percer une mentalité de psychologue qui saisit son bien le meilleur, pour une synthèse métaphysique, dans l’expérience interne, Vn autre opuscule de Vicent Ferrer, sur l’unité de l’universel, fait comme contrepoids à ce qui dans sa philosophie des Suppositions dialectiques attirerait trop l’assentiment du lecteur du côté de l’individualisme, et renouvelle contre le nominalisnie la position en un sens plus moniste de la métaphysique aristotélico-thomlste de l’Etre en tant qu’Être.

2° Activité à Valence ; Traité du Schisme. Toute la jeunesse sacerdotale et les premières années de la maturité de Vicent Ferrer se passèrent dans sa ville natale. À une activité de prédicateur et à des œuvres de charité en faveur des orphelins et du relèvement des filles perdues, il joint une activité de théologien comme titulaire de la chaire de théologie attachée à l’église cathédrale. Ses relations sociales sont vastes et il est déjà entré dans l’intimité

de la famille royale d’Aragon, (.’est probablement