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VICTORINUS AFER. CONCLUSION


tère d’unité consommée entre la tête et les membres devenus un seul Christ, comme l’esprit et l’âme réunis en une seule chair dans la psychologie de Plot in. « Vir et uxor, hoc accipiatlir intérim Christus el Ecclesia… ut vir et uxor sint sibi invicem juncti spiritus et anima. Sans doute saint Paul, pour se faire entendre plus facilement du peuple » (d’Éphèse), n’a pas parlé d’esprit et d’âme : « il a pourtant dit intentionnellement, non pas Christus et Ecclesia, mais in Christo et in Ecclesia, parce que le Christ a dans ses membres l’Église…, et le Christ c’est l’esprit, l’Église c’est l’âme ». Loc. cit., col. 1289 B. Dégagée de cette dernière addition, que l’auteur donne d’ailleurs comme une vue systématique, son explication demeure l’une des plus profondes de la littérature chrétienne sur le dernier des « mystères » porteurs de la grâce. Par ailleurs, Victorin est d’avis qu’ « en concédant les secondes noces, voire ipsas nuplias, Paul a cru devoir faire une entorse à la règle, non verse regulæ, quitte à la corriger par la suite, pour en amener un grand nombre à la véritable règle ». Col. 1159 C.

Fins dernières. — « C’est pour l’âme devenir éternelle, voir la lumière de Dieu, parvenir à le voir, posséder la vie éternelle, non point les honneurs, ni rien qui soit du monde, mais bien tout le spirituel, tout ce qui nous unit à Dieu en nous joignant au Christ : voilà la vie éternelle », col. 1109 A ; « c’est la vraie vie, parce qu’éternelle, hoc est vere esse, sans changement ni corruption ». Col. 1108 D. Si l’on demande à notre platonicien où il place cette vision béatifiante de Dieu, avant ou après la mort, sur la terre ou au ciel, sa réponse est autrement assurée que celle d’Augustin dans ses années néoplatoniciennes : comparer De quantitate animse, c. xxxiii, n. 76, et Adv. Arium, t. I, c. lviii : Divinum ut est clarum non capit humana natura, et t. III, c. i : « Il faut abandonner la vie extérieure, renoncer à l’intelligence, si nous voulons voir Dieu ; c’est là ce que nous apporte la mort : Simili enim simile videtur ; or Dieu (le Père) est cessans vila et cessons intelligentia, c’est l’Être pur ! » Col. 1109 A. Mais pour qui, et d’abord pourquoi cette vie éternelle ? Ce n’est que la fin du circuit vital, qui n’a pas eu de commencement et ne doit jamais avoir de fin, la vie infinie et universelle, qui a son point de départ en Dieu et dans le monde supracéleste, entraînera jusqu’au ciel les quatre éléments et tous les êtres de la terre », col. 1100 C ; et donc « toutes choses purifiées font retour à la vie éternelle », col. 1100 B, en particulier « l’homme tout entier tel qu’il a été pris par le Verbe incarné en corps et en âme ». Col. 1101 A. C’est là le ciel des chrétiens, col. 1083 C. « Pour être bénis au ciel, il nous faut un jour sortir de ce monde. » Col. 1238 B.

Il faut savoir un gré spécial à ce platonicien venu sur le tard à la doctrine de saint Paul, d’avoir cherché à faire la conciliation de sa foi nouvelle avec sa pensée philosophique. D’une part, en effet, il tient toujours pour sordide et misérable la prison que l’âme trouve dans le corps charnel ; d’autre part cependant, il affirme, dans les termes de l’Apôtre, que « notre corps, notre chair ressuscitera, sera revêtue d’incorruption et deviendra chair spirituelle ». Col. 1088 B. C’est que « le Christ incarné et crucifié pour sauver les âmes, a opéré la résurrection aussi pour notre corps ». Col. 1226. Il en cherche l’explication plutôt philosophique en ce que « le Verbe juxta omnia fuit, dans sa vie, sa résurrection, son ascension, son retour futur ». Col. 1088. Évidemment, cette « résurrection des corps sera un changement radical, puisque nous recevrons un revêtement spirituel », loc. cil. ; cf. col. 1226, col. 1241, et il admettrait volontiers que cette « chair supérieure ait fait partie du Logos créant le monde à son image ». Loc. cil. Mais ici nous sortons du dogme chrétien. Sur l’Église céleste, cf. col. 1 170 C ; sur le rôle du Christ en la résurrection, col. 1221 B, et son retour au Père, « réduction de toutes choses à une seule puissance, col. 1226 C, » et finalement soumission du Verbe au Père plus puissant », col. 1227 A.

Ce jugement sera l’avènement du Christ, col. 1213 B, 1229 A, la fin du monde qui est proche, loc. cit., et la rédemption dans l’Esprit, col. 1282 A.

La restitution finale est enseignée par le théologien romain d’après I Cor., xv, 25-28, mais sans les précisions malheureuses d’Origène, ni non plus les réserves nécessaires de saint Jérôme : « Finalement Dieu sera tout en tous, non pas que tout soit en chaque être, mais c’est Dieu qui sera en tous : Dieu donc sera tout parce que tout sera rempli de lui. » Col. 1070 CL ; cf. col. 1241 C.


IX. Conclusion.

Ainsi « il y a dans la pensée de Victorinus plus d’unité qu’il ne paraît à première vue. Par-delà un vocabulaire d’école, on trouve une doctrine assez homogène, s’éloignant rarement de la tradition chrétienne authentique ». H. de Leusse, op. cit., p. 205. À vrai dire, malgré qu’il fasse profession de ne connaître, lui aussi, que Jésus crucifié, col. 1076 C, c’est le Verbe du Père, le Consubstantiel, qu’il a pris comme pierre angulaire de son système théologique. Et puis, « Victorin c’est, a-t-on dit, l’enthousiasme aveugle », pour Plotin : chez lui catholicisme et néo-platonisme y sont étroitement cimentés en une construction qui ne manque certes ni de hardiesse, ni d’harmonie, mais qui se présente sans festons ni astragales. Les pièces maîtresses du plotinisme y sont en bonne place : théodicée, théories de la connaissance, des purs esprits, de la préexistence éternelle des âmes, du pananimisme, de la purification etc., sont exposées placidement et avec profondeur, mais sans les développements personnels et les restrictions d’Augustin ou de Grégoire de Nysse : sous ce rapport, Victorin est certainement l’auteur chrétien où l’on peut avec le plus de garanties trouver les éléments durables du néoplatonisme, à l’exclusion de ses parties caduques, telles que l’extase, le polythéisme, la divination, le déterminisme, que le disciple de Plotin laisse mourir sans un mot de regret. Les philosophes ont bien négligé ces lambeaux de philosophie plotinienne, que le maître du néo-platonisme romain a jetés dans sa polémique anti-arienne ou dans ses Commentaires de l’Apôtre ; ils feront bien d’y prêter l’attention qu’ils méritent.

Quant à la tradition chrétienne, l’auteur la réduit aussi aux éléments qu’il en juge essentiels, les seuls peut-être qu’il ait pris le temps de connaître quand il se mêle d’écrire en faveur du Consubstantiel : unité de Dieu, rôle du Christ Sauveur, nécessité de la foi. Un théologien moderne trouvera son christianisme simplifié à l’excès, ou du moins sa théologie fort inégale : ne sont-elles pas bien compliquées, après ses déclarations si nettes sur la Trinité, ses vues sur la personne divine en Jésus ? quoi de plus confus que ses réflexions sur la règle de foi et l’inspiration privée ? sur l’organisation de l’Église, les sacrements, les vertus morales, à quoi il superpose sans cesse son leitmotiv de l’inutilité des œuvres pour le salut ? Dogmatique monophysite, dira-t-on, et ecclésiologie gnostique ! Mais il est plus équitable de dire qu’on a affaire avec un intellectuel récemment converti, qui voit de bonne foi dans le catholicisme un système de pensée en continuité avec ses catégories platoniciennes ; et puis, qu’on pense à l’état embryonnaire de la tradition latine avant saint Ambroise et saint Augustin ! Il a fallu néanmoins de la bonne volonté pour relever, dans ses commentaires de l’Apôtre, quelques allusions à la vie chrétienne qui montrent chez l’exégète un certain souci de la tradition de son Église. À cause de