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VICTORINUS AFKR. LA SAINTK TRINITH


qu’il vient précisément de traduire, la triade substantiel, vila, intelligentia, que Porphyre a mise en tête de son échelle des êtres. Bien plus, « il les appelle trois dieux », remarque saint Augustin, De civ. Dei, t. X, xxix, 1, qui d’ailleurs avoue ne rien comprendre à cette interversion des Hypostases plotiniennes : « Porphyre parle du Dieu-Père (1) et du Dieu-Fils qu’en grec il nomme le Nouç, l’Intelligence du Père. Du Saint-Esprit il ne dit rien, ou presque rien : il a bien, toutefois, une Hypostase médiane, horum médium, que je ne saisis pas bien. Est-ce « l’Ame » de Plotin qu’il aurait ainsi mise en seconde place ? cum dicit médium : non postponit, sed anteponit. » Op. cit., t. X, c. xxiii. Il ne fait pas de doute pour nous que Porphyre ait constitué, à l’instar de la trilogie de son « arbre » des êtres finis, une triade divine : l’Être (le Père), l’Ame (ou la Vie) et enfin l’Intelligence. Voir d’autres citations du De regressu, dans Bidez, qu’on devra compléter par d’autres de Cl. Mamert récemment signalées. C’est dans cette œuvre aujourd’hui perdue de Porphyre, le De regressu animée, que Victorin a probablement trouvé le prototype de son système trinitaire.

Cette adaptation ne laissait pas d’être laborieuse et demandait des explications : « Effort intéressant par sa nouveauté même, et qui ne sera pas renouvelé de longtemps avec autant de vigueur et de sincérité », ni en Occident, ni même en Orient. Tixeront, op. cit., p. 261. Il est même si original et si abstrait qu’aucun Docteur après lui n’y a prêté la moindre attention, sauf saint Augustin, « qui s’en est inspiré certainement en bien des choses ». Th. de Bégnon, Études…, t. i, p. 238. Il faut aller plus loin : Augustin, dans les six ou sept premières années après sa conversion, s’accommodait assez bien de théories analogues à celle de Victorin, qui, pour lui, avait exorcisé Plotin, cf. De beata vita, t. IV, c. xxxv, P. L., t. xxxii, col. 976 ; De ordine, t. I, c. x, n. 19, ibid., col. 991. Mais, dans son système définitif, il préféra réduire la théorie de Victorin à une simple comparaison, puisque la sainte Trinité a son image en les puissances de notre âme.

Or, la psychologie humaine, « ne peut prétendre, dit Victorin, qu’à une certaine analogie avec les réalités éternelles ; celles-ci ne comportent aucun changement, aucune « génération », comme on les trouve en notre âme. Ses éléments : esprit, vie, intelligence, points de comparaison avec Dieu, le Verbe et l’Esprit, voici comment nous les présentons : Dieu est TpiSùvajxoç, c’est-à-dire qu’il a trois puissances : esse, vivere, intelligere, ila ut in singulis tria sint ». Adv. Arium, t. IV, c. xxi, col. 1128 CD.

Ce qu’il compte exposer, c’est donc une thèse de métaphysique, dont les divers éléments auraient gagné certes à être rapprochés, mais qui s’emboîtent pourtant avec grande précision de toutes les parties de son œuvre. Les voici à peu près dans l’ordre de leur apparition. En Dieu se vérifient ces suprêmes catégories de l’être : esse, vivere, intelligere. Voilà la Trinité métaphysique, qui revient à chaque page, parfois avec quelques variantes : esse, moveri, intelligere, De gêner. Verbi, c. xix, col. 1030 B ; substantiel, vita, intellectus, loc. cit., col. 1034 A ; exsislentia, motio, voluntas, Adv. Arium, t. I, c. xxxii, col. 1064 D ; exsislentia, vita, beatitudo, loc. cit., col. 1079 A ; vivere, vita, scientia, op. cit., t. IV, passim, col. 1182 D. Sauf cette dernière, qui accuse une retouche, toutes les autres trilogies se ramènent à la première : ce sont les trois « concepts les plus parfaits et les plus lumineux » qu’on peut se faire de la divinité* Col. 1098 D ; cf. col. 1063 A. Voyons-en la genèse, la réalité en Dieu, les distinctions relatives, et la fusion absolue en Dieu du fait même de leur procession.

a) Ces notions, bien que fournies par l’introspection psychologique, col. 1065 B, à l’état brut, col.

1070 A, doivent, pour s’appliquer à Dieu, être décapées de toute scorie du concept humain : » Nos dénominations, en effet, sont prises des êtres inférieurs et postérieurs à Dieu. Ainsi disons-nous que Dieu est vivant, qu’il est intelligent, donnant aux actions de Dieu le nom de nos propres actions. (De même disons-nous ) qu’il existe au-dessus de tout, alors qu’il n’existe même pas, mais qu’il est quasi exsistens, oùSè ôvtcoç’jTcàp/ov-roç, àXXà ovtoç Lxixpoû’jttxp’/ovtoç ». De gêner’. Verbi, c. xxviii, col. 1034 A ; cf. col. 1092 C ; 1101 D, etc. La citation de Plotin nous rappelle que nous sommes en pleine philosophie platonicienne. De même, pour la vie divine, « qui n’est ni la vie animale, ni celle de l’âme, ni celle des anges », il cite Platon et ses Idées éternelles, Adv. Arium, t. IV, c. v, col. 1 1 16 A

b) Réalité en Dieu. — Cependant Victorin corrige ses maîtres sans le dire, et peut-être sans bien le savoir. Au lieu que, pour Platon, les Idées n’étaient guère plus peut-être que des symboles, alors que, pour Plotin, l’Esprit et l’Ame universelle restaient séparées par altérité, donc des hypostases subordonnées à l’Un-Premier — ce qui faisait si bien le jeu de l’arianisme — c’est en Dieu même et « au-dessus de l’Ame universelle et fontanière, au-dessus des intelligibles » que Victorin place illud vivere unde hæc pro suo exislendi génère vilam recipiunt ». Loc. cil. Quant à leur existence réelle en Dieu, elle n’a pas besoin de plus de démonstration que l’existence même de Dieu : De gêner. Verbi, c. ii, col. 1021 A ; Adv. Arium, t. I, c. li, col. 1079 CD. « L’existence, la vie et la connaissance ont été connues et nommées à l’apparition des êtres seconds ; et c’est ensuite qu’on a eu idée de la Préconnaissance comme de la Préexistence et de la Prévie… Mais si tout cela est né par la, suite, cela était déjà en Dieu ; et, si c’était en Dieu, puisque Dieu’est un, et ista unum et id quod Deus, et ista unum quia Deus ». Col. 1130 A.

c) Quelle distinction faut-il mettre entre ces trois termes ? Pour nous, il y a une différence bien apparente entre la Vie et la substance ou existence : c’est que « la substance est invisible et n’est saisie par l’intelligence que dans la vie », Adv. Arium, t. III, c. xi, col. 1107 B, la vie et l’intelligence étant pour nous la manifestation, l’image et la forme de l’être même. Col. 1103 D. Quelle raison pouvons-nous en donner ? C’est que l’existence, l’être, la substance est

au repos, ou du moins qu’elle n’a qu’une activité

interne, que nous appellerons actio inactuosa, col.

( 1047 C, tandis que la vie et l’intelligence relèvent du mouvement de l’action tournée vers l’extérieur. Or, « le motus n’est point un changement en Dieu, mais

! une procession mystérieuse ». Col. 1035 A. Vingt fois sur le métier le philosophe a remis cette pièce maîtresse de son système ; bornons-nous à la première ébauche : « D’abord l’être, ensuite l’opération. Certes l’Être même possédait en lui-même, intimement greffée, l’opération. Si, en effet, c’est le mouvement, c’est-à-dire l’opération, qui constitue la Vie et l’Intelligence, il ne peut pas, lui, l’Être premier, n’être absolument que l’Être, puisque ce n’est là pour lui que le repos. Ainsi Dieu est aussi opération, mais en second lieu, parce que l’opération agit, non au dedans, mais au dehors. L’action est un développement de soi-même, generatio suiipsius œslimatur et est : ainsi le mouvement a l’être, ou mieux c’est l’être même qui s’affirme secundum actionem. Col. 1042 AB ; cf. col. 1066 B, 1070 C, 1071 B, 1099 A, etc. Dans son écrit philosophique, De generatione Verbi, il avait déjà fait cette démonstration en fonction du TCpoôv et de l’ôv, col. 1028-1031, comptant bien que son interlocuteur prendrait comme lui ces catégories de l’Être pour des hypostases ayant leur existence séparée, tout comme les principes premiers, quæ vere sunt.