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TRINITÉ. LE CONCILE DE NICÉE

mais de Dieu ; qu’il est Verbe et Sagesse, pas créature ou œuvre, mais réellement engendré du Père. Les eusébiens, entraînés par leur erreur invétérée, prétendirent que les mots de Dieu s’appliquaient aussi à nous et qu’en cela il n’y avait rien de spécial au Verbe de Dieu, puisqu’il est écrit : « Un seul Dieu, de qui tout » ; et encore : « Les vieilles choses ont disparu ; voici que tout est renouvelé : tout est de Dieu. »

Alors les Pères voyant leur malice et l’artifice de l’erreur furent obligés d’exprimer plus clairement les mots de Dieu et d’écrire que le Fils était de la substance de Dieu : ainsi l’on ne pourrait plus penser que les mots de Dieu s’appliquaient communément et également au Fils et aux créatures ; il faudrait croire que tout le reste est créé, le Verbe seul étant du Père…

Les évêques dirent ensuite qu’il fallait écrire que le Verbe est puissance véritable et image du Père, semblable et sans aucune différence avec lui, immuable, éternel et existant indivisiblement en lui. Il est faux qu’un temps fut où il n’était point. Au contraire, il a toujours existé, éternellement subsistant auprès du Père, comme la splendeur de la lumière. Les eusébiens laissèrent passer sans oser contredire, à cause de la confusion où ils étaient de leur réfutation. Pourtant, on les surprit bientôt à chuchoter et à se faire signe des yeux que les mots semblable, toujours, puissance, en lui, étaient aussi communs aux hommes et au Fils et que les accepter ne les gênerait en aucune façon : pas semblable, puisque de nous l’Écriture dit : « L’homme est « l’image et la gloire de Dieu ; » — pas toujours : « Nous sommes toujours vivants » ; — pas en lui, puisque : « En lui « nous nous mouvons, nous vivons, nous existons » ; — pas immuable, car il est écrit : « Rien ne nous séparera de « l’amour du Christ » ; quant au mot puissance, la chenille et la sauterelle sont appelées puissance et grande puissance de Dieu… Les évêques, voyant là encore leur hypocrisie et comment, selon le mot de l’Écriture : « Dans le cœur des « impies la fraude combine le mal », ils furent alors obligés de déduire leur doctrine de l’Écriture, d’exprimer plus clairement ce qu’ils avaient déjà dit et d’écrire que le Fils est consubstantiel au Père. Us signifiaient ainsi que le Fils n’est pas à l’égard du Père seulement chose semblable, mais identique par sa similitude ; que la similitude et l’immutabilité du Fils est tout autre que celle qui nous est attribuée et que nous acquérons par la vertu en gardant les commandements. Les corps semblables peuvent se séparer et exister loin les uns des autres, comme les fils par rapport aux hommes leurs pères… Mais la génération du Fils par le Père étant par nature autre que celle des hommes, comme il n’est pas seulement semblable, mais encore indivisible de la substance du Père, comme lui et le Père sont un, comme le Verbe est toujours dans le Père et le Père dans le Verbe, ainsi que la splendeur par rapport à la lumière, pour ces motifs, le concile, ayant cette idée, a eu raison d’écrire ce mot consubstantiel, afin de confondre la perversité hérétique et de montrer que le Verbe diffère des créatures. De décret. Nicœn. synodi, 19-20, P. G., t. xxv, col. 448-452 ; cf. Epist. ad Afros, 5-8, t. xxvi, col. 1036 sq. ; De synod., 39, 42, 50-54, ibid., col. 761, 768, 781 sq.

Ce texte est des plus caractéristiques, car il met bien en relief les intentions des évêques et les obstacles dont ils ont eu à triompher. Les Pères du concile auraient d’abord voulu n’employer que des expressions scripturaires, pour caractériser les rapports du Père et du Fils ; et une telle méthode était pleine d’avantages, car il n’est pas possible à un chrétien qui s’affirme tel de récuser le témoignage de l’Écriture. Seulement, il fallut s’apercevoir, à la réflexion, que les termes de l’Écriture n’étaient pas toujours aussi précis qu’il l’aurait fallu et que les formules les plus claires en apparence étaient susceptibles d’être détournées de leur sens original par des dialecticiens sans scrupule. On fut donc amené, par la force des choses, à insérer dans le symbole des termes non scripturaires ; à dire en particulier que le Fils était de l’ousie du Père et qu’il était consubstantiel au Père.

Le symbole de Nicée.

Eusèbe de Césarée, qui tenait à Nicée une place importante, aurait voulu que le concile adoptât tel quel le symbole baptismal de son Église, dans lequel le Verbe était dit : « Dieu de Dieu, lumière de lumière, vie de vie, Fils unique, premier-né de toute créature, engendré du Père avant tous les siècles, par qui tout a été fait. » Socrate, H. E., I, viii ; Théodoret, H. E., i, xi. Cette formule avait l’avantage d’être traditionnelle et d’exprimer la croyance d’une vénérable Église ; mais elle ne répondait pas aux préoccupations du moment et ne contenait pas une réfutation assez expresse des doctrines d’Arius. Les Pères refusèrent de donner satisfaction à Eusèbe, tout en s’inspirant, semble-t-il, dans leur rédaction définitive, du symbole de Césarée.

On connaît le texte qui fut finalement accepté et souscrit par tous les évêques, à l’exception de Théonas de Marmarique et de Secundus de Ptolémaïs :

Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de toutes choses, visibles et invisibles ; et en un seul Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, engendré monogène du Père, c’est-à-dire de l’ousie du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; engendré et non pas fait ; consubstantiel au Père, par qui tout a été fait, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre ; qui, pour nous, hommes et pour notre salut, est descendu, s’est incarné, s’est fait homme, a souffert, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux et viendra juger les vivants et les morts ; et au Saint-Esprit. « Quant à ceux qui disent : « Il fut un temps où il n’était pas » ; et : « Avant d’être engendré, il n’était pas » ; et : « Il a été fait de ce qui n’était pas ou d’une autre hypostase ou ousie » ; ou : « Le Fils de Dieu est créé, changeante, muable », ceux-là, l’Église catholique les anathématise. » Socrate, H. E., i, viii, Athanase, De decretis Nicœnee synodi, 33. Voir pour le détail, Hahn, BiWio</iefederS{/m&oZe, 3 « éd., p. 160 sq. ; J. Lebon, Nicée-Constantinople ; les premiers symboles de foi, dans Rev. d’hist. eccl., t. xxxii, 1936, p. 537-547 ; Les anciens symboles dans la définition de Chalcédoine, ibid., p. 809-876.

Cette formule célèbre mérite quelques remarques. On peut noter d’abord que le mot Verbe n’y figure pas et qu’il est remplacé, partout où il aurait pu être employé, par celui de Fils. Certes, le Nouveau Testament parle du Verbe, et l’Évangile de saint Jean met cette notion en un saisissant relief. Cependant le’mot Fils est plus simple à la fois, plus traditionnel et plus clair. Bien des discussions avaient été soulevées, durant les siècles précédents, autour du mot Verbe et parfois des penseurs fort bien intentionnés avaient élaboré à ce sujet des théories inexactes ou insuffisantes ; c’était sagesse de préférer le nom classique de Fils.

Le Fils est engendré, γεννηθέντα ce qui peut sembler à première vue un pléonasme ; en réalité, la génération s’oppose à la création. Ce qui est créé est étranger au Père, n’est pas de son essence ; le Fils au contraire n’offre pas seulement avec le Père une analogie plus ou moins lointaine ; il n’est même pas seulement l’image de sa gloire, le reflet de sa bonté ; il est de son essence, Dieu comme lui : et c’est ce que mettent en relief les répétitions : t Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu. » La métaphore de la lumière allumée à une autre lumière était depuis longtemps classique, récemment encore Hiéracas l’avait employée et Arius l’avait expressément condamnée : les Pères la reprennent, sans y insister d’ailleurs ; ils mettent par contre en relief la vraie divinité du Fils : si le Père est Dieu véritable, le Fils engendré de lui ne peut être que Dieu véritable comme lui. I

C’est cette vérité qu’exprime le mot consubstantiel, dont nous avons entendu tout à l’heure saint Athanase nous raconter l’introduction dans le symbole. Ce terme est en effet capital et c’est autour de lui que se livreront dans les années suivantes des luttes interminables. Saint Athanase ne dit pas toutes les difficultés qu’a suscitées son adoption au cours du concile, mais nous les devinons sans peine. Les évêques orientaux ne devaient pas être favorables à ce mot qui avait derrière lui un passé suspect : ne savait-on pas que les gnostiques l’avaient jadis employé ? ne se