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VENGEANCE


à une violation antérieure du droit. » L. Le Fur, Des représailles en temps de guerre, Paris, 1919, p. 15. Elles se différencient des mesures de rétorsion, dit le même auteur, par le caractère injuste de l’acte qui les provoque. Elles se différencient aussi des rigueurs de la loi martiale, lesquelles, en principe, ne doivent viser que les auteurs responsables d’infractions commises. Les représailles, en effet, portent presque toujours sur des personnes étrangères aux faits incriminés, précisément parce qu’il est impossible d’atteindre leurs véritables auteurs. À plus forte raison, on ne saurait qualifier de représailles les abus de la force employés par un ennemi cruel pour terroriser les populations.

C’est ainsi que M. Le Fur a pu assez exactement définir les représailles : « Des actes, non pas contraires au droit, mais indépendants de ceux justifiés par l’état de guerre normal et qui, à la suite d’une violation des lois de la guerre par l’État ennemi, frappent cet État ou ses nationaux dans leurs personnes ou leurs biens, en vue de les contraindre au respect des lois de la guerre et d’en assurer l’observation dans l’avenir. » Op. cit., p. 19.

2. Légitimité.

La plupart des manuels de Droit international acceptent cette légitimité, en précisant toutefois que les représailles sont un moyen extrême que seule la nécessité excuse. On doit en tempérer la rigueur dans la mesure du possible : ne pas les employer par esprit de vengeance (au sens péjoratif du mot), ni comme châtiment, mais seulement à titre de moyen de coercition et, en cas de nécessité, lorsqu’elles constituent la seule sanction efficace du droit de la guerre. Cf. Manuel français du Droit international à l’usage des armées de terre, part. I, c. iv, p. 25 sq.

Ces réserves sont sages et conformes aux exigences de la vertu de vengeance. Mais les abus que certains auteurs ne manquent pas de signaler dans l’emploi des représailles ne doivent pas cependant en faire contester la légitimité. Cette légitimité répond à un sentiment de justice et à une nécessité sociale, consacrée par une coutume internationale très ferme. La justice intervient ici parce que les lois de la guerre sont fixées par des conventions internationales ou par des règles coutumières ayant, entre nations civilisées, force de loi. Quiconque viole ces conventions et ces règles commet, à l’égard de la nation adverse, une véritable injustice et se place par là-même en dehors de la protection des conventions et des coutumes. L’État offensé peut alors, en toute justice, user à l’égard de son adversaire, des mêmes moyens qui ont été employés à son endroit : « Ici, … la non-réciprocité serait absurdité ou duperie. Si des mesures restrictives quelconques étaient imposées aux États en guerre à l’égard même de ceux qui se refusent à les appliquer, ce serait vouloir assurer leur défaite en même temps que celle du droit lui-même ; le droit international travaillerait donc à sa propre ruine, ce qui est inadmissible. » Le Fur, op. cit., p. 26.

En temps de guerre, les représailles sont une nécessité sociale. Tant que la guerre n’est pas déclarée, un État injustement attaqué ou offensé peut avoir recours à une juridiction supérieure (tribunal international), si cette juridiction existe. Mais, au cours des hostilités, l’État belligérant offensé n’a qu’un moyen d’obtenir réparation, le recours à la force, étant toujours entendu que ce recours à la force a lieu en vue uniquement d’un but conforme aux principes du droit objectif. « L’indépendance de l’État lui crée une situation de fait et de droit toute différente de celle de l’individu. Mais l’idée de justice qui est à la base de la légitime défense est respectée dans un cas comme dans l’autre, la réaction de l’État devant, tout comme celle de l’individu, pour rester légitime, être proportionnée à l’importance de l’agression. Dans ces limites, en revanche, le droit de légitime défense est un droit naturel, c’est-à-dire fondé en raison et en équité et applicable aussi bien en droit international qu’en droit privé. » Le Fur, op. cit., p. 33.

3. Limites et conditions d’applications.

On suppose réalisée la condition essentielle des représailles légitimes : l’agression injustifiée qui les provoque. Il s’agit donc uniquement des conditions requises pour que de légitimes représailles soient appliquées conformément aux exigences concrètes du droit.

Tout d’abord, des conditions de fait s’imposent : les représailles doivent être efficaces, c’est-à-dire capables d’empêcher la continuation des méfaits de l’adversaire et, de plus, elles ne doivent pas être de nature à se retourner contre le pays qui y recourt. Les conditions de droit sont plus importantes et leur exposé est emprunté aux Règles de l’Institut de droit international (Manuel d’Oxford), a. 85 et 86. En premier lieu, deux conditions de forme : les représailles doivent être précédées d’une demande de réparation et elles ne peuvent être ordonnées que par des chefs responsables. Ensuite, deux conditions de fond : elles doivent être proportionnées à la violation subie et elles ne peuvent consister en des actes de barbarie.

C’est sur ce dernier point que la morale chrétienne peut hésiter. Que faut-il entendre par « acte de barbarie » ? Si la loi du talion n’est pas applicable à un ennemi barbare et sans scrupules, ne mettra-t-on pas la nation injustement offensée dans un état de réelle infériorité et dans l’impossibilité de se défendre efficacement ? M. Le Fur estime que la solution de ce problème « consiste dans une combinaison des principes de justice et d’humanité, accord réalisé en prenant comme idée directrice le but des représailles ». Ce but est « d’empêcher le retour d’actes injustes, par des moyens regrettables en soi, mais nécessaires étant données les circonstances ». On ne doit point voir là une application de la maxime : la fin justifie les moyens, mais simplement ce fait que « pour assurer le respect des principes d’ordre et de justice, il peut être nécessaire d’éviter le retour d’abus flagrants en employant le seul moyen efficace en l’occurence ». Op. cit., p. 65-66. De toute évidence, les représailles éviteront les cruautés inutiles, mais elles ne reculeront pas devant l’emploi des peines vindicatives énumérées par saint Thomas après saint Augustin et Cicéron. Voir ci-dessus, col. 2617. Et ces peines pourront être infligées de la manière qu’aura méritée l’adversaire coupable. La conduite normale des hostilités respecte les conventions internationales positives, excluant certains genres de mort comme trop cruels et certaines armes de combat comme trop dangereuses. Mais, du fait que la nation provocatrice transgresse les conventions librement passées, ces conventions, avons-nous dit, n’existent plus. Et, dans l’unique but d’empêcher le retour des procédés injustes de l’ennemi, il devient licite de l’arrêter par les mêmes procédés, lesquels, s’ils évitent les cruautés inutiles sur les personnes et les choses, deviennent licites à celui qui se défend. Nous insistons sur l’obligation d’éviter les cruautés inutiles : la vertu de vengeance doit chercher le bien en empêchant le retour du mal et ne doit pas s’inspirer d’un mauvais esprit de vengeance personnelle.

Un dernier scrupule pourrait arrêter le moraliste. Les représailles atteignent le plus souvent des innocents et il ne semble jamais permis de frapper des innocents. Saint Thomas déclare expressément que « la justice humaine ne doit jamais condamner un innocent à une peine afflictive, mort, mutilation,