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VENGEANCE


l’injure reçue. » Et il cite les exemples d’Élie, appelant le feu du ciel sur ceux qui venaient l’arrêter, IV Reg., i, 9-10 ; d’Elisée, maudissant les enfants mal élevés, ibid., ii, 24 ; du pape Sylvestre, excommuniant ceux qui le condamnaient à l’exil. Mais « à y bien réfléchir, cette vertu est d’un usage plus fréquent et plus étendu qu’il ne paraît à première vue. Ainsi elle est, dans l’éducation, l’art de reprendre et de punir comme il convient et pareillement, dans le gouvernement d’une maison, d’une communauté, etc. » Cf. a. 2, ad 3um. Elle peut-être, dans un autre ordre, la vertu des pamphlétaires : « La moquerie, dit Pascal, est quelquefois plus propre à faire revenir les hommes de leurs égarements, et elle est alors une action de justice… Il s’en trouve des exemples dans les discours de Jésus-Christ lui-même… » J.-D. Folghera, Les uertus sociales, Somme ihéol., édit. de la Revue des jeunes, p. 414.

La vertu de vengeance, vertu morale annexe de la justice, se tient dans un juste milieu, entre deux vices. L’un pèche par excès : c’est la cruauté ou la sévérité qui exagère le châtiment ; l’autre, par défaut : c’est la faiblesse dans la répression du mal. « Qui ménage la verge, hait son fils. » Prov., xiii, 24. La vengeance-vertu sait en tout point garder la mesure juste.

Les peines vindicatives (a. 3). —

Il s’agit ici de justifier les pénalités habituellement portées dans la société contre les crimes et les délits : « La vengeance, écrit saint Thomas, est licite et vertueuse dans la mesure où elle tend à la répression du mal. Or, certains hommes, même de ceux que n’anime aucun amour pour la vertu, se laissent arrêter sur la pente du mal par la crainte qu’un châtiment sévère leur fasse perdre plus que le crime ne leur rapporterait… La vengeance doit donc s’exercer par la soustraction des biens auxquels les hommes tiennent le plus : la vie, l’intégrité du corps, la liberté, enfin les biens extérieurs, richesses, patrie, réputation. Aussi, selon saint Augustin, De civ. Dei, t. XXI, c. ii, P. L., t. xli, col. 725, se référant à Cicéron, les lois contiennent huit sortes de peines : la mort, qui ôte la vie, les coups et le talion (œil pour œil), qui blessent le corps, l’esclavage et la prison, qui enlèvent la liberté, l’exil qui éloigne de la patrie, l’amende qui prive des richesses, l’infamie qui fait perdre la réputation. »

De toutes ces peines, la peine de mort seule est strictement et exclusivement vindicative. Aussi saint Thomas éprouve-t-il le besoin de la justifier rapidement, ad l unl, ad 2um et ad 3um. Voir Mort I Peine de), t. x, col. 2502. Les autres peines sont à la fois vindicatives et médicinales : non seulement elles punissent la faute, mais elles peuvent ramener le pécheur à la vertu.

Ceux qu’atteint la vengeance (a. 4). —

Puisque la vengeance n’est vertu que dans la mesure où elle entend réprimer le mal, elle ne doit, en principe, atteindre que des actes volontaires et coupables. C’est l’aspect de la peine considérée comme châtiment. Mais on vient de dire qu’ici-bas les peines sont surtout médicinales. La peine peut donc être considérée comme un remède destiné non seulement à guérir le pécheur, mais encore à prévenir le péché et à procurer quelque bien. À ce point de vue, la peine peut atteindre un innocent, mais non sans un juste motif.

Saint Thomas envisage un certain nombre de cas. Dans le corps de l’article, « est le cas classique de la peine-épreuve. Les biens temporels, n’étant que Secondaires par rapport aux biens spirituels, un innocent peut BVOlr a endurer les peines de cette vie, parce que Dieu veut l’humilier et l’éprouver. Tel fut Job. Mais seul le coupable est puni dans les biens spirituels m ce monde ou en l’autre, i t la peine éternelle de l’au-delà n’est plus un remède, mais la conséquence de. la damnation.

Les réponses aux objections fournissent des cas où l’innocent est appelé à pâtir pour de justes motifs. Toutefois, ici encore, il n’est pas question de peines spirituelles infligées à un innocent pour la faute d’un autre : une telle peine violerait la justice en atteignant l’âme, siège de la liberté. Saint Thomas envisage trois cas :
1. Au point de vue temporel, un homme peut appartenir à un autre, l’esclave à son maître, l’enfant à ses parents : la punition infligée au père, au maître coupables peut rejaillir sur l’enfant ou sur l’esclave. —
2. Le péché des uns peut devenir le péché des autres et leur occasionner une juste punition. Mais ici c’est déjà non plus un innocent, mais un véritable coupable qui est frappé. Les trois exemples fournis par saint Thomas le font voir clairement : les enfants et serviteurs, s’autorisant des fautes de leurs parents ou de leurs maîtres pour pécher plus librement, seront punis avec eux ; les sujets pâtissent, par contre coup, des punitions infligées aux chefs qu’ils ont mérité d’avoir, les timides qui n’ont pas osé censurer la conduite de leurs compagnons criminels, en partagent les châtiments. —
3. Enfin, la solidarité résultant de l’unité humaine oblige tous et chacun à une vigilance mutuelle en vue d’éviter le mal, elle peut donc aussi devenir un motif suffisant pour faire retomber sur la collectivité la faute d’un seul. C’est ainsi que Dieu peut punir les péchés des parents sur les enfants « jusqu’à la troisième et la quatrième génération. » (Ex., xx, 5).

Toutefois saint Thomas, ad 2um, fait observer que les jugements de Dieu englobant les innocents ou les moins coupables dans la punition des criminels ou des plus coupables sont mystérieux et ne sauraient servir d’exemple : il est impossible d’en pénétrer les motifs et donc de les ériger en norme générale. Les hommes n’ont pas le droit de s’en prévaloir pour condamner un innocent à une peine afflictive, mort, mutilation, fouet. Mais l’autorité humaine peut priver un innocent d’un bien par lui possédé, si toutefois il y a un motif d’agir ainsi ; sans culpabilité de sa part, un homme peut être déclaré incapable d’acquérir ou de gérer son bien ; un bénéfice ou un revenu peut être enlevé par la société propriétaire à un bénéficiaire inapte ; enfin la fortune d’un innocent étant liée à celle d’un coupable, ce dernier peut en être justement dépouillé et entraîner l’autre dans sa ruine.


IV. Quelques applications.

Ces principes permettent de porter un jugement sur certains actes de vengeance, soit individuels, soit collectifs. On ne s’arrêtera pas ici aux actes individuels, qui sont réglés par la loi de la légitime défense. Voir ici Défense de soi, t. iv, col. 227. Les actes collectifs sont principalement la guerre, les représailles en temps de guerre, les sanctions, les vengeances populaires.

La guerre. —

Les principes de morale, réglementant le droit de guerre, ont été étudiés ici à l’art. Guerre, t. vi, col. 1922. La guerre juste est un acte de justice vindicative. Mais cette vengeance légitime ne peut pas s’exercer de n’importe qu’elle façon et et sur n’importe quel sujet de la nation ennemie. Voir art. cit., col. 1928-1930.

Les représailles.

1. Nature des représailles.

Bien des confusions s’établissent, dans le langage courant, relativement à la nature des représailles. On aurait tort de les confondre avec les actes de guerre, en soi licites, par lesquels on répond aux actes de guerre, licites ou non, des belligérants adverses ; ou encore avec les actes de rétorsion accomplis en réponse à une mesure rigoureuse prise antérieurement par l’ennemi. La caractéristique des représailles est d’être - un acte accompli en réponse