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1621 TRINITÉ. SAINT IRÉNÉE 1622

tant autorisé de la tradition. Nous devons écouter sa voix avec un particulier respect.

Notons d’abord, chez lui, l’affirmation claire de la Trinité : « Les trois jours qui ont eu lieu avant les astres sont des images de la Trinité, de Dieu, de son Verbe et de sa Sagesse. Et à la quatrième image répond l’homme, qui a besoin de la lumière, afin qu’il y ait Dieu, Verbe, Sagesse, homme. C’est pourquoi les astres ont été produits le quatrième jour. » Ad Autolyc., n, 15, P. G., t. vi, col. 1077. Pendant longtemps, ce texte a été regardé comme donnant le plus ancien emploi du terme Trias : ce mot apparaît déjà dans les Excerpta ex Theodoto publiés par Clément d’Alexandrie. En tout cas, l’usage qu’en fait Théophile suffit à montrer qu’il ne s’agit pas d’un mot nouveau, qui aurait eu besoin d’explication ; c’est déjà, vers 180, un mot usuel. On aura aussi remarqué que Théophile désigne l’Esprit-Saint sous le nom de Sagesse ; il n’est pas le seul à employer ce langage, malgré ses inconvénients : le Fils pouvant aussi être appelé Sagesse, nous voyons mieux aujourd’hui le danger qu’il y a à attribuer le même nom à l’Esprit-Saint. En tout cas, dans le texte cité, toute ambiguïté est absente ; et ce sont bien les trois personnes de la Trinité qui sont nommées dans l’ordre traditionnel.

Sur le Verbe et ses rapports avec le Père, saint Théophile s’étend assez longuement : « Dieu a créé l’univers du néant. Car rien ne lui est contemporain ; mais lui, qui est à lui-même son lieu, qui n’a besoin de rien, qui existe avant les siècles, a voulu créer l’homme pour être connu de lui ; c’est donc pour lui qu’il prépara le monde. Car celui qui est créé a besoin de beaucoup de choses ; celui qui est incréé n’a besoin de rien. Dieu donc, ayant son Verbe intérieur en ses entrailles, l’a engendré avec sa Sagesse, le proférant avant l’univers. Il se servit de ce Verbe comme d’un aide dans les œuvres qu’il fit et c’est par lui qu’il a tout fait. Ce Verbe est dit principe, parce qu’il est principe et Seigneur de toutes les choses qui ont été faites par lui. Ce Verbe donc, étant esprit de Dieu, et principe, et sagesse, et puissance du Très-Haut, descendait dans les prophètes et par eux énonçait ce qui regarde la création du monde et tout le reste. Car les prophètes n’étaient pas quand le monde fut fait, mais seulement la Sagesse qui est en lui, la Sagesse de Dieu et son Verbe saint, qui est toujours avec lui. C’est pourquoi, il parle ainsi par Salomon le prophète : « Quand il prépara le ciel, j’étais avec « lui… » Ad Autolyc, II, 10, P. G., t. vi, col. 1064.

Nous sommes frappés d’abord, en lisant ce texte, d’y trouver si claire la distinction du Verbe intérieur et du Verbe proféré ; saint Théophile tient à cette distinction, car il y revient ailleurs : « L’Écriture nous enseigne qu’Adam dit qu’il entendit la voix. Or, une voix qu’est-ce autre chose que le Verbe de Dieu, qui est aussi son Fil* ?… selon que la vérité nous décrit le Verbe intérieur existant toujours dans le cœur de Dieu. Car, avant que rien fût produit, il avait ce Verbe comme conseiller, lui qui est son intelligence et sa pensée. Mais quant Dieu voulut faire ce qu’il avait projeté, il engendra ce Verbe en le proférant, premier-né de toute la création ; par la. Dieu ne se priva pas lui-même de son Verbe, mais il engendra son Verbe et s’entretenait toujours avec lui. » Ad Autolyc, II, 22, ibid., col. 1088.

Sans doute, la manière dont Théophile parle du double état du Verbe et emploie, pour le décrire, des termes techniques est faite pour nous rassurer, car ces termes devaient être assez connus dans le milieu où il vivait et pouvaient y être employés sans aucun danger. Malgré tout, nous sommes obligés d’avouer qu’ils sont difficiles à entendre correctement. Si l’on admet que le Verbe, d’abord immanent, a été proféré pour servir à Dieu d’instrument dans l’œuvre de la création, on ne voit pas comment la génération du Fils n’aurait pas été un acte temporel et libre de la part du Père. Il y a là des expressions dangereuses, que l’avenir ne devait pas consacrer

On voit aussi, dans le second passage que nous avons cité, à quel point la confusion du Verbe et de l’Esprit-Saint devient facile, au moins dans le langage, lorsqu’on donne à ce dernier le nom de Sagesse. Théophile n’a pas, semble-t-il, évité l’écueil, bien que sa pensée ait été plus ferme que ses formules.

Conclusion.

Somme toute, les apologistes sont loin d’apporter, dans l’expression du dogme trinitaire, des précisions ou des clartés nouvelles ; on trouve au contraire chez eux, lorsqu’il s’agit d’expliquer l’origine du Verbe et les relations du Père avec le Fils, des expressions assez difficiles à justifier lorsqu’on les compare aux définitions ultérieures. Si leur foi est correcte, leur philosophie l’est beaucoup moins. Et sans doute est-ce parce qu’ils sont des philosophes qu’ils se laissent entraîner parfois plus loin qu’il ne l’aurait fallu. Il ne faut pas oublier, lorsqu’on veut les juger correctement, que, dans les ouvrages qui nous en sont parvenus, ils ne parlent pas en docteurs de l’Église, mais en entraîneurs ou en convertisseurs. Ils veulent atteindre des païens et les amener à la foi ; ils sont ainsi amenés à s’exprimer comme eux, à traduire en langage philosophique les ineffables mystères de la vie divine. Comment s’étonner des imperfections de leur langage ?


IV. SAINT IRÉNÉE.

Bien différent des apologistes est saint Irénée de Lyon. Celui-ci n’a rien d’un philosophe. Il est évêque et rien que cela. Il se présente comme le gardien de la tradition apostolique. La seule chose qu’il veut savoir, c’est l’enseignement traditionnel. Il est d’ailleurs admirablement placé pour le connaître. En Asie Mineure, il a entendu les leçons de saint Polycarpe, disciple de saint Jean. A Rome où il a vécu, il a recueilli celles de saint Justin. En Gaule, il a trouvé à Lyon une Église dans tout l’éclat de sa première ferveur et de son attachement à ses maîtres. Recueillir le témoignage d’Irénée, c’est en définitive écouter la grande voix de l’Église catholique vers la fin du IIe siècle.

Nous savons déjà que le principe de la foi chrétienne est la croyance à la Trinité : « Ceux qui sont de l’Église suivent une voix unique qui traverse le monde entier. C’est une tradition ferme qui nous vient des apôtres, qui nous fait contempler une seule et même foi, tous professant un seul et même Dieu, le Père, tous croyant la même économie de l’incarnation du Fils de Dieu, tous reconnaissant le même don de l’Esprit. » Cont. hær., V, xx, 1, P. G., t. vii, col. 1177. À plusieurs reprises, Irénée a l’occasion de rappeler les articles fondamentaux du Symbole : voir ci-dessus, col. 1608. En opposition il signale l’hérésie : « L’erreur s’est étrangement écartée de la vérité sur les trois articles principaux de notre baptême. En effet, ou bien ils méprisent le Père, ou bien ils ne reçoivent pas le Fils en parlant contre l’économie de son incarnation ; ou ils n’admettent pas l’Esprit-Saint, c’est-à-dire qu’ils méprisent la prophétie. » Demonstr., c. 100, P. U., t. xii, p. 800.

Rien n’est plus simple que ces formules générales. Saint Irénée les emploie avec une prédilection marquée. Il ne saurait y avoir l’ombre d’un doute : pour lui, comme pour Justin, comme pour Athénagore, le chrétien est avant tout celui qui croit à la Trinité.

Parfois d’ailleurs l’exposé s’amplifie. Le petit traité de la Démonstration est surtout consacré à développer la doctrine trinitaire : « Un seul Dieu, le Père, incréé, invisible, créateur de tout, au-dessus duquel et après lequel il n’y a pas d’autre Dieu. Ce Dieu est intelligent, et c’est pourquoi il u fait les créatures pur le Verbe… Le Verbe « -si appelé le 1 il-i >)… Co Dieu est glorifié pur son Verbe, qui est son Fils éternel (10)… Les prophétes annonçaient dans leurs oracles la manifestation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, (ils de Dieu, en disant que, comme homme, il sortirait de la race de