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USURE. REPONSES DES CONGREGATIONS ROMAINES

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intérêt cessera officiellement et dans les textes d’être tenu pour un délit. Ce retard de la législation explique sans doute l’effervescence de la discussion en France, durant la seconde moitié du xviiie siècle. Juristes et économistes prennent part aux débats. La plupart inclinent dans le sens de la liberté qu’ils réclament. Voltaire, sous un pseudonyme, semble avoir fait sa partie dans ce concert. Et Turgot, avec son ouvrage : Mémoire sur les prêts d’argent, présenté au Conseil d’Étal, se fait le champion de la même thèse. Il n’est point de notre sujet de détailler ici les systèmes des économistes d’alors. Il nous suffira d’en retrouver plus loin l’influence sur les idées actuelles à propos du capital et de sa valeur productrice. Pour l’instant, c’est-à-dire pour l’époque où nous sommes parvenus, nous retournons consulter moralistes et théologiens.

3° Avant les décrets romains » Non esse inquietandos » (1830). — Le plus notable des théologiens traitant de l’usure fut alors le cardinal de la Luzerne, ancien évêque de Langres. Son ouvrage, posthume, Dissertations sur le prêt de commerce, paru en 1823, s’efforce d’opérer d’abord une classification dans une situation assurément confuse.

Il distingue donc la doctrine scolastique, telle que l’avait encore affirmée le pape Benoît XIV. Il mentionne ensuite l’opinion de ceux qui attribuent au titre légal une valeur en droit. Il rappelle la théorie de Calvin n’interdisant le prêt onéreux qu’à l’égard des pauvres. Et enfin il en arrive à la thèse qu’il préconise. Celle-ci rappelle la position prise, deux siècles auparavant, par Le Correur à propos des pratiques usitées à Lyon. Elle ne va pas aussi loin que la thèse calviniste qui n’interdisait le prêt à intérêt qu’au nom de la charité, et donc vis-à-vis des pauvres. Ici les considérations de justice interviennent encore. Car, tout en maintenant la prohibition d’un gain dans les prêts aux malheureux, elles ne permettent l’usure, dans les limites d’un intérêt modique, que pour les conventions passées avec les marchands, c’est-à-dire avec les hommes susceptibles de faire fructifier les sommes empruntées. Par ailleurs, et malgré ces réserves, cette doctrine diffère essentiellement de celle des scolastiques, en ce qu’elle reconnaît à l’argent, au moins dans certains cas, une sorte de valeur productrice naturelle qui le qualifie pour être l’objet d’un contrat de location et lui permet ex ipso mutuo, ipsius ratione mutai comme disait Benoît XIV, dans l’encyclique Vix pervenit, de rapporter un intérêt.

IV. Les réponses des congrégations romaines.

— 1° Occasion et teneur de ces réponses. — Cependant, et en marge des discussions doctrinales, des cas de conscience pratiques causaient souvent de l’embarras à qui devait les résoudre. Borne, plusieurs fois interrogée sur ces doutes, s’était contentée assez longtemps de renvoyer aux principes énoncés dans la bulle Vix pervenit. Mais vint un jour où la décision se fit plus précise et plus détaillée.

Le 18 août 1830, le Saint-Office répondait à la requête que lui avait présentée l’évêque de Bennes. L’on demandait la conduite à tenir vis-à-vis des confesseurs qui absolvaient leurs pénitents dès lors que ceux-ci, sans vouloir actuellement renoncer aux prêts d’argent lucratifs, se déclaraient pourtant disposés à obéir, aux jugements ultérieurs de l’Église. Le Saint-Office réplique que ces confesseurs n’étaient pas à blâmer, non esse inquietandos. Denz-Bannw., n. 427.

Quelques jours plus tard (16 septembre 1830), la Sacrée-Pénitencerie se prononçait dans le même sens, mais de façon plus explicite encore. Elle déclarait qu’il n’y avait pas lieu de chercher querelle aux prêtres soutenant la licéité d’un intérêt modeste, dans un contrat de prêt, en vertu de la seule décision légale

et sans aucun autre titre, absque alio tilulo vel damni emergentis vel lucri cessant is. La Sacrée-Pénitencerie disait : Sacra Pœnitentiaria, diligenter ac mature perpensis dubiis propositis, respondendum censuit : Presbyteros, de quibus aqitur, non esse inquietandos quousque Sancla Sedes definilivam decisionem emiseril, cui parali sinl se subjicere.

En 1873, la Congrégation de la Propagation de la Foi s’exprimait presque dans les mêmes termes : Deficienlibus licet aliis quibuslibet titulis, cujus modi sunt lucrum cessons, damnum emergens…, unum quoque legis civilis lilulum ceu sujjicienlem in praxi haberi posse, tum a fidelibus, tum ab eorum conjessoriis.

Ainsi donc, les membres des Congrégations, dans leurs réponses, s’appuyaient sur ce titre de la loi civile assez valable, disaient-ils, pour suppléer, en cas de besoin, à l’absence de tout autre, et justifier un intérêt modeste. Ce n’est pas qu’ils aient accordé une confiance absolue à cet argument. Leur formule, on l’a vii, n’engageait pas l’avenir et demandait une soumission aux décisions éventuelles de l’Église. Cette réserve visait le jugement que pourrait rendre Borne sur la valeur de ce titre légal. La Congrégation de la Propagation de la Foi, en 1873, marque qu’il s’agit bien de cette question pendante, donec quæslio hœc sub judice pendent nec S. Sedes ipsam explicite deftninierit. Mais cette allusion à une sentence future et inconnue sur un point encore litigieux n’a point empêché le code de droit canon, dans sa rédaction de 1917, de maintenir la teneur des réponses romaines d’il y a cent ou soixante-dix ans. Après avoir affirmé de nouveau que le contrat de prêt est, de soi, gratuit, il ajoute : Sed in præsiatione rei fungibilis non est pesé illicitum de lucro legali pacisci, nisi constet ipsum esse immoderatum. Can. 1543.

Signification de ces décisions pratiques.

Comment

résoudre l’antinomie apparente d’une permission ainsi donnée sans réserve alors que le titre, sur lequel elle se fonde, n’est pas, de l’aveu même des termes qui l’octroient, de toute garantie. Il est évident que ces réponses des Congrégations romaines n’avaient pas, ne voûtaient pas avoir, une portée doctrinale et se contentaient d’indiquer une direction disciplinaire. Ceci dit, la difficulté reste. Car une autorisation de pareille ampleur ne saurait se justifier si elle est dépourvue de motifs absolument valables. Béduits à la condition d’arguments simplement probables, ces motifs n’auraient plus qu’une solidité précaire capable tout au plus d’appuyer une permission transitoire et révocable.

Mais il semble bien qu’aujourd’hui, et dans les circonstances contemporaines, l’existence du titre légal autorisant un intérêt modéré est pratiquement liée à la présence, même si celle-ci n’est pas toujours apparente, d’un autre titre meilleur pour les garanties morales qu’il apporte. En sorte que l’estampille officielle peut bien être la seule qui figure sur le laisser-passer. En réalité un autre visa, officieux, n’a pas manqué au contrôle.

1. Valeur du litre légal ? — En fait, l’argument de l’autorité civile, admettant le prêt, a visiblement impressionné les membres des Congrégations romaines naguère. À cette époque, il avait, en effet, connu une ère de spéciale faveur. Mais, en lui-même, il est d’un très douteux aloi.

Les auteurs anciens qui, au xvr 3 siècle déjà, avaient admis sa valeur, y voyaient surtout, semble-t-il, un indice et une constatation. Quand ils recevaient son témoignage, c’est qu’ils croyaient y discerner la preuve que, dans telle’société, où il se produisait, le lucrum cessons était généralisé. La décision légale ne faisait plus alors qu’enregistrer une situation acquise et légitimée par ailleurs.