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USUKK. LA THEORIE DE CALVIN


le risque exceptionnel pour la somme avancée, periiiilum sortis. Cependant lui aussi, bien qu’un peu plus tard, au cours du x r siècle, avail cause gagnée et obtenu droit de cité.

Nous espérons que cet exposé d’ensemble, ce préambule, aura jeté quelque lumière sur le terrain touffu qu’il nous faut maintenant explorer. Il nous aura montré que toutes les discussions, menées dans ces fourrés, n’ont pas la même ampleur ni la même acuité. Souvent ce seront les interprétations différentes d’une règle identique, admise par eux tous, qui opposeront les champions. Mais parfois aussi la discussion sera plus profonde. Alors c’est la thèse essentielle sur la stérilité de l’argent qui sera contestée, niée, en face-de ses défenseurs.

Il nous reste, après ces avertissements, à nous engager dans la mêlée pour en redire succinctement l’histoire. Nous adopterons ordinairement pour guide, dans cette exploration, l’ouvrage très informé De justo’auctario, dont l’auteur devait devenir l’archevêque de Malines, le cardinal Van Roey.

Et la première étape nous conduira, depuis le milieu du xvie siècle, où Calvin se pose en dissident de la thèse classique, jusqu’à l’an 1745, où la bulle Vix pervertit de Benoît XIV affirme, au contraire, une fois de plus, et de façon solennelle, la doctrine catholique.

II. DU MILIEU DU XVIe SIÈCLE A LA. BULLE VIX

l’EHVKXiT de Benoit XIV. — 1° Calvin et sa théorie. - Calvin est, sinon le premier, du moins le plus notoire, de ceux qui ont commencé, au milieu du xvie siècle, à nier la stérilité de l’argent. Encore ne le faisait-il qu’avec réserve. Sa thèse, exposée dans les Commentaires sur Ézéchiel, dans sa lettre à Œcolampade, voulait établir les points suivants : l’intérêt du prêt n’est interdit en morale que s’il excède un tarif modéré ou s’il est exigé des pauvres. Les prohibitions de l’Ancien Testament ne concernaient que les Juifs, pour leurs relations d’affaires. Elles ne touchent pas les chrétiens sous la Loi nouvelle. Quant au droit naturel, il ne prouve pas que le prêt soit gratuit de sa nature. À la même époque, un juriste parisien, Dumoulin, avait parlé comme Calvin pour combattre la thèse classique sur la stérilité de l’argent. Mais ces voix discordantes ne constituaient pas encore un chœur fourni. Même parmi les protestants, les luthériens restaient fidèles aux doctrines traditionnelles.

Divers incidents allaient porter de plus en plus ces problèmes sur un terrain immédiatement pratique et réclamer des solutions qui donneraient aux théories adverses l’occasion de se produire et de s’opposer.

Les prêts aux Pays-Bas.

C’est en Hollande

surtout que la question prendrait toute son étendue. Jusqu’au milieu du xvie siècle, l’acquisition de rentes réelles, rachetables par le vendeur, y était d’un usage courant et ne soulevait pas plus d’objections qu’ailleurs. Ce placement était notamment usité pour les fonds des pupilles et des veuves dont le Sénat hollandais assurait la gestion.

A partir de 1567, ces rentes étaient devenues rachetables par l’acquéreur comme par le vendeur. Et cette facilité nouvelle n’avait pas fait scandale, étant donné la qualité de ces bailleurs de fonds, de ces orphelins, en raison aussi de la situation de leurs clients qui étaient surtout des pauvres. Peut-être voyait-on, dans cette institution, des analogies, plus ou moins lointaines, avec les monts-de-piété alors pleinement autorisés. En 1515, Léon X avait, on le sait, terminé la controverse à leur sujet et déclaré que la somme modique, demandée aux emprunteurs, ne constituait pas un intérêt, mais correspondait seulement aux frais de l’administration. Les prêts, consentis aux pauvres de Hollande par le Sénat, tuteur des pupilles, n’avaient pas un caractère^aussi désintéressé. Néanmoins ces

tractations pouvaient trouver, si elles en avaient eu besoin, une excuse dans la qualité du public en cause, du côté des prêteurs comme des emprunteurs.

Seulement l’usage devenait abus. Ce n’étaient plus maintenant les seuls pauvres qui avaient recours à ces caisses, mais aussi les marchands en mal de trésorerie et finalement tous les solliciteurs en quête de numéraire. Et, s’autorisant de l’exemple des pupilles et des veuves, de nombreux bailleurs de fonds répondaient aussi à ces demandes.

Y avait-il là usure proprement dite ? En 1605, Lessius ne le croyait pas. Tout au moins déclarait-il admissibles les conventions initiales, qu’il ramenait aux types d’un triple contrat, ou d’une rente utrimque redimibilis, ou qu’il autorisait comme incluant le lucrum cessans. Mais il ajoutait (pue les pratiques les plus récentes devaient être interdites à l’avenir. Et telle était encore la décision de plusieurs conciles provinciaux. Telle était également la conclusion de la Faculté de Louvain qui déclarait, en 1688, ob periculum saltem dictos conlractus vitandos esse. Cf. Van Roey, op. cit.. p. 19.

A l’inverse, et précédemment. Saumaise, un juriste français, réfugié en Hollande, avait affirmé que l’argent peut être l’objet d’une location, qu’il peut rapporter un intérêt. Et même, dépassant les bornes encore maintenues par Calvin, il laissait le taux de cet intérêt à la libre discussion des contractants. Par ailleurs, les États de Hollande, en 1658, s’étaient prononcés en faveur des pratiques financières communément admises, ajoutant que ces affaires ne regardaient que le pouvoir civil.

La discussion devait reprendre une force nouvelle, au début du xviiie siècle. Les consciences n’étaient pas en paix. D’autant que les jansénistes, exilés de France, avaient apporté en Hollande leurs appréciations sévères. Ils réprouvaient les usages abusifs qu’ils trouvaient, en matière de prêt, dans leur nouveau pays. Et, de plus, ils condamnaient, dans leur zèle intempestif, les pratiques dûment autorisées, depuis longtemps, par les moralistes qualifiés.

Devant ces verdicts, les jansénistes, originaires de Hollande, étaient en situation difficile. Leur rigueur coutumière devait les inciter à partager l’indignation des nouveau venus. Mais, par contre, l’habitude avait diminué, pour eux, le scandale et les inclinait vers la tolérance. Voir ci-dessous l’art. Utrecht (Église a"), col. 2409.

Les auteurs catholiques se divisaient en deux camps. Les uns, devant l’abus, tentaient une réaction donnant à leur thèse une note excessive. Les autres, à l’inverse, sans toujours le dire, ou peut-être sans toujours le savoir, avaient abandonné les positions traditionnelles et rejoint celles de Calvin. Il leur arrivait de soutenir que le prêt n’était pas gratuit en droit, mais seulement par charité si les pauvres y avaient recours.

L’avocat de ces thèses complaisantes, le chef de file de ces docteurs enclins aux concessions fut un janséniste, mais un janséniste hollandais, c’est-à-dire de l’école la plus large. Nicolas Broedersen écrivit, en 1743, un livre De usuris licilis et illicitis, d’une érudition accablante. C’était une synthèse des opinions calvinistes et des doctrines les plus aventureuses soutenues par des catholiques. L’ouvrage eut un grand retentissement, nous en retrouverons l’écho quand nous passerons en Italie pour y étudier la bulle Vix pervertit parue deux ans après cet éclatant manifeste.

3° Les « prêts de commerce ». — Entre temps, et cette fois en France, la question de l’usure était aussi très débattue. Elle se posait à propos des > prêts de commerce » fort usités au XVIIe siècle. Lyon, dont la situation sur le marché était alors prépondérante,