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USURE. A PARTIR DU XVIe SIÈCLE


l’argent inerte, n’avaient leur efficacité qu’entre des mains expertes, l.e savoir-faire, le travail de l’homme restaient l’élément primordial. Si cet homme était propriétaire des outils, par lui employés, il avait droit au bénéfice intégral de son travail ainsi équipé. Si, n’apportant que son argent, il restait pourtant associé, supportant, pour sa part, les risques de l’entreprise, il avait droit à une fraction du gain éventuel. S’il ne voulait plus être qu’un prêteur, laissant à d’autres les responsabilités de tout genre, il coupait, pour un temps, le lien qui le reliait à son argent engagé dans une entreprise dont lui-même déclinait l’aléa. Il y avait, du fait de cette dissociation, sinon suppression, au moins suspension de la propriété passée, pour le bailleur de fonds, comme en état de léthargie, sous le rapport des droits à la rémunération. Ceux-ci avaient émigré, avec les risques, du côté de l’emprunteur, à charge, pour celui-ci, de remettre, lors de l’échéance, la somme primitivement reçue.

Telle était la doctrine unanimement admise avant le xvie siècle. Et telle est encore la thèse soutenue jusqu’au xixe siècle, malgré les oppositions que nous aurons à relever, par la majorité des auteurs catholiques et par toutes les décisions de l’autorité ecclésiastique.

Mais cet accord foncier n’empêche pas les divergences et ne dirime pas les débats ouverts. C’est ce qu’il importe de discerner, sous peine de prendre le change ou de se perdre dans la mêlée des idées. Car, à partir du xvie siècle, surtout, si la stérilité de l’argent, si le transfert temporaire de la propriété, dans le contrat de prêt, restent les thèses communément soutenues, elles ne le sont pas toujours de façon identique. De nouvelles formules de contrats sont introduites, qui se défendent d’être des prêts, qui prétendent rentrer dans la catégorie des associations et qui vont à faciliter le placement des finances disponibles.

Ou bien le bilan des titres extrinsèques, et cette fois dans le prêt lui-même, s’allonge pour donner accès à des considérations jusque-là inédites. Ces titres, on se le rappelle, ne se fondant pas sur les risques inhérents à l’entreprise, ne donnaient pas droit à un intérêt véritable. Mais ils pouvaient autoriser une indemnité pour charges occasionnelles. Le xvi° siècle vit s’accroître le nombre de ces compensations, s’étendre la série des motifs qui soutenaient leur requête.

El l’on conçoit que ces innovations, ces élargissements, n’allaient pas sans conteste. Fallait-il reconnaître ces contrats nouveau-venus, ces titres plus accommodants ? C’est de quoi discutaient, parfois âprcment, théologiens et canonistes. Ou bien, si la légitimité de la convention était reconnue, pouvait-on abriter, sous son enseigne, couvrir de sa protection, tel ou tel procédé, telle ou telle clause, aux allures plus ou moins suspectes, aux termes plus ou moins ambigus ? Il y avait là plus d’un cas de conscience où B’affrontaient, dans le détail des solutions, les avis opposés, même accordés sur les principes.

Avant de raconter cette histoire, de signaler ses principaux épisodes, de regarder quelques-uns de ses protagonistes, il semble opportun de voir quand et comment surgirent ces types de conventions autour desquelles se mèneront tant de débats.

2° L’introduction de nouveaux contrats. Il ne

s’agit pas, avec eux, de prêts proprement dits. El même ils voulaient éviter la question litigieuse, en se donnant pour des formules d’association.

1. Le triple contrat. Au début du xvr siècle, le triple contrat suscita ainsi une polémique qui divisa longtemps théologiens et canonistes. Il comportait,

comme son nom l’indique, trois conventions simultanées ou successives. La première était une mise en société ou le bailleur de fonds fournissait des res sources. Mais cet homme, soucieux surtout de sécurité, consentait, par une clause supplémentaire, une réduction des bénéfices éventuels pour assurer le remboursement garanti de son argent. Et, par une troisième stipulation, il se déclarait satisfait de toucher un intérêt fixe, mais modique, au lieu du gain plus substantiel peut-être, mais aussi plus aléatoire, auquel lui aurait donné droit son apport.

Beaucoup de moralistes dénonçaient ce triple contrat comme un expédient moral dissimulant mal l’usure. Ils affirmaient qu’il y avait contradiction à prétendre abriter cet ensemble sous le couvert de l’association, alors que les deux dernières conventions supprimaient la participation aux risques, essentielle à tout contrat de société. En 1586. le pape Sixte-Quint, par la bulle Detestabilis, condamnait le triple contrat. Malgré quoi, des théologiens de renom, dès l’aube du xviie siècle, s’en faisaient les avocats et parvenaient à l’accréditer, en dépit des oppositions persistantes.

2. Les rentes rachetables. -- lue autre discussion se poursuivait autour de la rente ; on se rappelle que, sous sa forme primitive, elle reposait sur un bien réel. Elle représentait une fraction du revenu tiré de ce bien, fraction acquise par l’acheteur de la rente. Dès la fin du xe siècle, il était admis que le vendeur pouvait se libérer du paiement s’il remboursait la somme touchée. À l’inverse, l’acheteur restait lié par le contrat. Mais, au xvi f siècle, la notion de la rente s’élargit et s’assouplit. L’opinion d’auteurs qualifiés permit l’usage de la rente rachetable par les deux intéressés, utrimque redimibilis. Et finalement ces mêmes théologiens reconnurent pour licite, non seulement la rente réelle mais personnelle, c’est-à-dire fondée non plus sur le revenu d’un bien-fonds déterminé, mais sur le travail du débiteur. Lie V avait condamné, en 1569, dans la bulle Cum omis, ce genre de contrat. Il passa cependant plus tard pour une stipulation qui, moyennant certaines garanties, était indemne de la tare usuraire.

L’évolution des titres extrinsèques.

Cette fois,

il s’agit du prêt lui-même et des conditions accessoires qui peuvent tempérer sa gratuité essentielle par l’octroi d’une indemnité.

Lu premier titre, résultant d’un dommage survenu en raison du prêt, darnnum enieri/ens. était. depuis longtemps, reconnu comme valable. Il légitimait, sans conteste, la Stipulation d’un bénéfice compensatoire.

La chose était moins évidente, moins facilement admise, en ce cpii concernait le tucriim cessans, c’està-dire non plus une gène positive, un inconvénient grave, comme dans le cas précédent, mais un manque à gagner. Longtemps on eut, vis-à-vis de ce titre, et pour lui concéder le droit à une indemnité, des exigences sévères. Les moralistes demandaient la gratuité initiale de ce prêt, pour une période plus ou moins longue, en garantie du sérieux de sa réclamation. Ils voulaient encore que ce sérieux fût établi, pour chaque cas particulier, sur preuves a l’appui, lue tolérance plus large, une présomption favorable, ét ; iil pourtant accordée aux marchands dont le ne goce. ordinairement profitable, permettait de conclure que tout prêt, consenti par eux. en marge de leur commerce et de leur trésorerie, constituait un manque a gagner. À mesure que le monde des affaires prit plus d’extension et d’activité, ces réserves ou ces défiances tombèrent. Au début du xvie siècle, l’indemnité, pour lucruin cessans. avait un caractère de généralité acquise.

Mais tes résistances des moralistes n’avaient pas rede encore devant les arguments qui revendiquaient

une compensation en invoquant un troisième titre,