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USURE. A PARTIR DU X V I* SIÈCLE

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qu’ils ont revus d’un usurier libéral. La position du clerc précepteur, du pauvre secouru est examinée par Gervais du Mont-Saint-Éloi, Quodlibet, q. xlii et lxxii, Bibl. nat., ms. lut. lt 350. Règle générale : nul ne doit tirer profit de l’usure, par voie directe ou indirecte. Parmi ces bénéficiaires de l’usure, le gendre de l’usurier peut être un privilégié, puisqu’il doit à son astucieux beau-père une dot confortable. Les théologiens tiennent compte de la composition de la fortune paternelle aux moments de la constitution de dot et du règlement des comptes ; de l’ignorance du gendre lors de la réception et de ses ressources, lors de la restitution : voir S. Antonin, loc. cit., § 12.

5. Communautés politiques. —

Les pouvoirs souverains favorisent l’usure de mainte manière : autorisation, concours, pratique directe. Leur responsabilité est le sujet de nombreux commentaires des canonisles et des théologiens. En somme, les recteurs et tous ceux qui ont déterminé ou couvert les opérations usuraires sont responsables in solidum : ceux qui en ont seulement tiré avantage, dans la mesure de leur enrichissement.

3° Condition de l’emprunteur. Hors le cas de nécessité urgente, quelle est la responsabilité de l’emprunteur ? Donnant à l’usurier l’occasion de son crime, il pèche aussi gravement que lui, peccat mortaliter, selon Albert le Grand, In Sententiis, a. 15. Saint Thomas montre plus d’indulgence : l’emprunteur se sert du péché de l’usurier, plutôt qu’il n’y consent, et il lui donne occasion de faire un mutuum, non un pacte d’usure. Il faut donc examiner de près le but de l’opération. Summa, loc. cit., a. 4, ad l um et ad 4um.

Beaucoup de promesses, au Moyen Age, sont appuyées par le serment. Quelle sera la condition de l’emprunteur qui a juré de payer l’usure ? Alexandre III l’oblige à s’exécuter, Décrétâtes, t. II, tit. xxiv, < 6 I D^bitores). (De deux maux, remarque Hostiensis, usure et parjure, l’Église a choisi le moindre.) Dans une décrétale de l’an 1187, Grégoire VIII ordonne aux évêques de contraindre les créanciers à relâcher le serment de l’emprunteur. Ibid., c. 1 (Ex administratione). De la simple promesse de payer, l’emprunteur pourra se libérer par une exception. S’il a payé, il exercera l’action en répétition. L’usurier ne pourra s’y soustraire, notamment après renonciation à son métier, par le subterfuge de l’appel. Décrétâtes, t. V, tit. xix, c. Il (Quam perniciosum). Mais il est clair que le demandeur qui aurait lui-même pratiqué l’usure ne sera entendu qu’après restitution de ses propres gains. Ibid., c. 14 (Quia frustra) et 17 (Michacl). Les moyens accordés par les romanistes sont la condiclio indebiti et la condictio ob lurpem causam. Voyez Balde, in I. 2f> C. J., I. IV, tit. xxxii (Eos).

Il arrive que les usuriers ajoutent au serment de payer celui de ne point répéter. Innocent III défend au juge de tenir compte de cet obstacle dolosif et frauduleux.’Df’crc’taZes, t. II, tit. xxiv, c. 20 (Ad nostram ) et t. V, tit. xix, c. 13 (Tua dudum). Cf. Esmein, Le serment promissoire dans le droit canonique, dans Nouv. rev. histor. de droit…, 1888, p. 274 sq. Les papes intervenaient pour exiger cette remise du double serment de persolvendis et non repetendis usuris, soit à l’occasion des croisades, soit pour éviter la ruine d’un évêque, d’un monastère ou même d’un laïque emprunteur. Cf. Regesta de Grégoire IX, n. 230, 675, 1163, 1363, 1598, 2011, 2317, 2511, 2571, 3074.

V. Conclusions générales.

Au cours des quatre siècles que nous avons parcourus, la doctrine atteignit son point de perfection. En quel sens a-t-elle évolué ? Il nous semble que, le principe demeurant immuable, l’application en fut adaptée aux nécessités nouvelles des particuliers et des États, puisque les controverses relatives à la société, aux rentes, au change, aux emprunts se sont terminées par une solution libérale. En revanche, l’analyse du péché s’est considérablement affinée, avec une tendance à la rigueur, tandis que les peines canoniques et séculières s’aggravaient. La meilleure explication, c’est la prédominance des prêts de consommation. Des artisans, des cultivateurs ont besoin d’une avance immédiate et elle leur est fournie par des riches, souvent des étrangers.

L’effet de la prohibition ne saurait être indifférent aux théologiens les plus spéculatifs. Nous montrerons ailleurs qu’il ne fut ni radical ni médiocre. Si le prodigieux accroissement de la banque et du volume des affaires assura la fortune des usuriers professionnels ou occasionnels, la vigilance de l’Église provoqua l’action des législateurs et des juges séculiers, les restitutions discrètes ou consignées en des actes notariés, les précautions et les châtiments exemplaires.

Au début des temps modernes, tous les problèmes fondamentaux ont été posés et résolus. Mais l’économie, une fois encore, se transforme : la capacité productive de l’argent éclate, une ère du capitalisme s’ouvre, tandis que décline la puissance de l’Église.

G. Le Bras.


III. LA DOCTRINE A PARTIR DU XVI SIÈCLE.

I. Généralités.

La doctrine avant le XVIe siècle. En 1311, le concile de Vienne avait solennellement condamné l’usure : sane si quis in illum errorem inciderit ut pertinaciter afjirmare prwsumat exercere usuras non esse peccatum, decernimus eum velul hæreticum puniendum. Nul ne pouvait se méprendre sur le sens de cette déclara tion. L’usure, dont il était question, ne représentait pas, comme de nos jours, un intérêt supposé excessif. Suivant le contexte que lui donnaient les idées et le langage du temps, ce terme signifiait tout supplément, même modique, réclamé, lors du remboursement, en sus de la somme primitivement prêtée. « Cette déclaration trouva rapidement un écho dans les synodes provinciaux des divers États. C’est dans ces décrets que les canonistes et les théologiens trouvèrent tout d’abord une base à la fois solide et satisfaisante pour une plus complète construction de leur théorie. » Ashley, Histoire et doctrines économiques de l’Angleterre, t. ii, p. 438. Pendant longtemps, avant que la législation civile, en divers États, permît le prélèvement d’un intérêt dans le contrat de prêt, les juristes étaient d’accord avec les théologiens pour réprouver cette pratique. Et les sentences des tribunaux appuyaient cette interdiction. C’est ainsi qu’avant le milieu du xvie siècle, où commence l’histoire que nous avons à conter, aucune voix catholique dissidente ne s’éleva dans le chœur qui déclarait le prêt, le mutuum, essentiellement gratuit.

Au moment de retracer les tours et détours par lesquels cette doctrine va maintenant suivre un chemin accidenté, il peut être opportun de regarder, d’un coup d’oeil d’ensemble, cet itinéraire complexe. Faute de quoi, le labyrinthe, où nous engagerait une discussion séculaire, risquerait d’apparaître trop confus pour que le fil d’Ariane conducteur ne semblât pas lui-même indéfiniment embrouillé.

La ligne, qui permettra de suivre la direction générale de ces débats, reste le principe si longtemps affirmé, principe qui maintient que l’argent est stérile. Rappelons en quel sens les docteurs de jadis établissaient cette notion première. Certes ils ne niaient pas l’évidence qui montrait, dans l’argent, l’ordinaire instrument de nombreuses opérations lucratives. Mais ils disaient seulement que ce rôle actif n’était joué que lorsque l’argent n’était plus lui-même en scène, que lorsqu’il avait cédé la place, qu’il était dépensé. Encore faisaient-ils remarquer que, même alors, ces ressources productrices, fournies par