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USURE. L’EPOQUE CLASSIQUE, EXTENSION

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compétence au moins concurrente de la juridiction ecclésiastique et, sans doute, une certaine liberté à des banquiers utiles ou nécessaires.

2. Lombards et Caorsins.

Aucun texte n’exceptait davantage les Lombards, Caorsins et autres tribus voraces, qui, à partir du xir siècle, prospéraient dans toutes nos régions actives, jouissant, comme les Juifs, d’une très large tolérance. Bigwood, op. cit., p. 175-318 ; C. Piton, Les Lombards en France et à Paris, 2 vol., Paris, 1892-1893 ; L. Gauthier, Les Lombards dans les Deux-Bourgognes, Paris, 1907 ; A. Segré, Storia del eommercio, 2e éd., Turin, 1923, t. i, p. 215 sq. ; Hamel, op. cit.. p. 66-68 (bibliographie). Bien que les principes fussent universels, il y eut des dispenses, comme celle sous-entendue par l’évêque Henri de Berghes, qui, en 1496, mande à trois curés de Malines, Bruxelles et Hal, d’administrer les sacrements aux Lombards et à leurs familles, sans fixer aucune condition. Lænen, Usuriers et Lombards dans le Brabant au A" Ie siècle, pièce justificative. D’ordinaire, il y avait simple tolérance, avec ruptures intermittentes. Les statuts synodaux ne sont pas plus indulgents pour les Lombards que pour les Juifs. Cf. Martène, Thésaurus…, t. iv, col. 908.

3. Ennemis et infidèles.

Le texte de saint Ambroise : ubi jus belli ibi jus usuræ semblait autoriser le prêt usuraire aux ennemis. Bu fin l’applique à la guerre sainte contre les hérétiques et les infidèles qui, par de lourdes charges, seraient incités à la conversion ou empêchés de nuire. Hostiensis en fait une conséquence de l’exposition en proie : ceux dont la vie et les biens sont à la discrétion des chrétiens, comment hésiterait-on à les frapper d’usures ? (On sait que la théorie de l’exposition en proie s’est achevée sous Innocent III. Cf. Pissard, La guerre sainte en pays chrétien, Paris, 1912.)

Cependant une telle infraction au principe général choquait de bons esprits. Huguccio traduit : jus usuræ, droit d’exiger des prix élevés dans toutes les transactions. Et Jean le Teutonique propose une interprétation négative : l’usure est un droit de la vengeance belliqueuse ; mais comme un chrétien ne doit nuire à personne, il ne percevra point d’usure. Entre ces diverses interprétations, les canonistes hésitent à choisir. Mac Laughlin, op. cit., p. 137-139. L’hésitation n’est pas moindre chez les théologiens. Selon Ulrich de Strasbourg, saint Ambroise vise non point l’usure mais la récupération des biens pris par l’ennemi. Jean de Fribourg, qui rapporte cette opinion, déclare que l’on admet communément la généralité de l’interdit, qui vise tous les débiteurs et notamment les Juifs. Summa, q. lxvii.

4. Communautés.

Cités et universitates de toute sorte tombent sous la prohibition aussi bien que les particuliers. Les canonistes en avertissent les villes italiennes (Alanus, in c. 8, Décrétâtes, t. V, tit. xix), et insistent (Zabarella) sur la responsabilité des recteurs. Les théologiens discutent la responsabilité des citoyens et des souverains. Voir, par exemple, Summa astesana, loc. cit., fol. 124, et le quodlibet de Jean de Naples, cf. Glorieux, op. cit., t. ii, p. 169 : « si le prince pèche en accordant licence à une personne de pratiquer sur son territoire le mutuum avec usure ? » Les conciles de Lyon (1274) et de Vienne (1311) ne laissaient point de doute. Toutefois, la question se posait avec des particularités et nuances qui contrariaient les principes durs. Nous rencontrerons le débat aux chapitres des emprunts et des participations.

5. Orphelins.

Dans les villes médiévales, il arrivait que les biens des orphelins mineurs fussent administrés par les échevins, qui servaient un intérêt modique. Espinas, Les finances de la ville de Douai, Paiis, 1902, p. 309 sq. Les tuteurs étaient également

autorisés à gérer moyennant un certain taux. Gilles de Lessines combal cette pratique, op. cit., c. xii. Elle était encore vivante, et discutée à la fin du xv siècle. Bigwood, op. cit., p. 583.

Conclusion. Point de personnes exceptées. En fait, il y a des tolérances, dont les justifications ne contribuent point à renforcer le principe de l’interdiction. Considérons les catégories d’actes visés pour prendre la mesure réelle des applications.

Extension du domaine.

La définition très large

des canonistes atteignait nombre d’opérations différentes du mutuum, conçues avec ou sans intention de frauder la loi.

1. Mort-gage. - La première opération qui fut expressément condamnée par les papes est le mortgage, prêt garanti par un immeuble dont le bailleur de fonds perçoit les revenus. Cette perception constituait pour lui l’équivalent d’un intérêt : d’où le problème de sa validité. Dès le IXe siècle, le monastère de Bedon plaçait ainsi ses capitaux, et ce fut, du Xe au xiie siècle, un des modes d’exploitation de la fortune mobilière des établissements religieux. En Normandie comme en Flandre, où la question a été spécialement étudiée, l’emprunteur est, en général, un noble ou une abbaye que les transformations économiques ont ruiné. Génestal, op. cit., p. 61 sq. ; Hans van Werweke, Le mort-gage et son rôle économique en Flandre et en Lotharingie, dans Revue belge de philologie et d’histoire, t. viii, 1929, p. 53-91, spécialement p. 64 sq.

Tout droit perpétuel et frugifère peut être engagé : non seulement des terres, mais encore des églises, des dîmes, des prébendes. L’engagiste jouit de la condition du propriétaire et quand un terme est fixé, c’est toujours à son profit. En attendant qu’il lui plaise de récupérer son capital, il percevra les fruits du gage, dont la valeur est, naturellement, supérieure à la somme prêtée : d’où un revenu de 1 1 à 24’, en Flandre. Juridiquement, il ne s’agit point d’un mutuum ni d’un gage romain — contrat accessoire et qui ne confère que la possession sans les fruits — il s’agit d’un acte sui generis, le vadium, l’engagement immobilier. Pellier, Du gage immobilier dans le très ancien droit français, Paris, 1893. Mais l’Église ne considère que le résultat de l’opération.

Il est clair, en effet, que, s’il ne fut point inventé pour tourner la prohibition de l’usure, le mortgage procure les avantages d’un pacte d’intérêts solidement garanti. Cependant, le premier scrupule qu’il ait publiquement fait naître (si l’on met à part un mot d’Etienne de Muret, Liber sententiarum, c. lx, dans P. L., t. cciv, col. 1111) ne semble pas antérieur au pontificat d’Alexandre III. C’est alors que commence la série des condamnations légales. Le concile de Tours (1163), présidé par le pape, ordonne aux clercs, sous peine de perdre leur office, d’imputer les fruits du gage sur le capital qu’ils ont prêté, à l’heure du remboursement. Décrétâtes, t. V, tit. xix, c. 1 (Plures). Cette mesure est étendue aux laïques dans cinq lettres d’Alexandre III, dont trois figurent aux Décrétâtes de Grégoire IX (t. II, tit. xxiv, c. 7 ; t. III, tit. xxi, c. 6 ; t. V, tit. xix, c. 2). Ce qui aboutit à transformer le mort-gage en vif-gage. Désormais, le prêteur ne pourra exiger que les dépenses conservatoires et celles qu’il a faites pour cueillir les fruits. Au-delà de ces déductions licites commence la fraus usurarum, que condamne la glose ordinaire in c. ii, dist. XLVII. Cf. Mac Laughlin, op. cit., p. 113-115.

L’effet de ces décrétales fut plus ou moins prompt, selon les pays. Au xive siècle, presque partout le mortgage disparait, sous la pression de l’Église et est remplacé par de nouvelles modes, comme celle des rentes, que nous étudierons bientôt. Il ne subsiste que dans de