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USURE. L’ANTIQUITE CHRETIENNE
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la législation impériale relative au prêt à intérêt. Sans aller jusqu’à supprimer celui-ci, comme l’Église le demandait, il le réduisit le fixant à 6 pour 100 pour les prêts ordinaires, taux ramené à 4 pour 100 lorsque le prêteur était une persona illustris. Les banquiers, qui empruntent pour prêter, et les autres commerçants peuvent stipuler des intérêts allant jusqu’à 8 pour 100. Le taux de 12 pour 100 est admis dans le prêt maritime. Le même taux peut être appliqué au prêt de denrées. Quelques Novelles prévoient des taux spéciaux : Novelle 120 (an. 544), taux de 3 pour 100 pour les prêts aux églises et autres fondations pieuses ; Novelles 32, 33 et 34 pour les prêts aux agriculteurs.

Enfin Justinien décide que le capital cessera de produire des intérêts, quand par leur montant ceux-ci seront égaux au capital, alors même qu’ils auront été payés. Nov. 121, c. 2, an. 535 et Nov. 138. L’empereur défend l’anatocisme même pour les intérêts échus. Cod., IV, xxxii, 28.

Sur l’ensemble de la réglementation des intérêts par Justinien, voir Cassimatis, Les intérêts dans la légistion de Justinien et dans le droit byzantin, Thèse, Paris, 1931, p. 49 sq.

Les successeurs de Justinien en Orient s’efforceront de supprimer le prêt à intérêt : Basile le Macédonien (867-886), Prochiron legum, xvi, 14 : « admettre le paiement d’un intérêt est indigne de notre conduite chrétienne et il faut l’éviter comme prohibé par la législation divine », ou tout au moins faut-il abaisser le taux de l’intérêt, Léon le Sage (886-911), Nov. 83, cf. A. Monnier, Les Novelles de Léon le Sage, dans Bibl. des Univ. du Midi, fasc. 17, 1923, p. 146-149, et P. Noailles et A. Dain, Les Novelles de Léon VI le Sage, Paris, 1944, avant de revenir purement et simplement à la législation de Justinien. Basiliques, éd. Heinbach, t. XXIII, t. m. Il était prématuré de vouloir supprimer le prêt à intérêt et même de réduire à l’excès le taux de l’intérêt. L’Occident est en avance sur l’Orient ; depuis plus d’un siècle déjà, le pouvoir séculier « acceptant la voix de la loi divine » a prohibé le prêt à intérêt. Pour le droit byzantin, Cassimatis, op. cit., p. 112-126.

IV. L’Antiquité chrétienne. — 1° La doctrine évangélique. 2° L’enseignement des Pères de l’Église. 3° L’interdiction de l’usure aux clercs. 4° Vers l’interdiction de l’usure aux laïques.

La doctrine évangélique.

Aux temps évangéliques,

par suite, sans doute, de l’influence du milieu, on admet que l’argent prêté peut produire un intérêt. C’est sans un mot de blâme que Notre-Seigneur fait allusion aux opérations de banque qui rendent l’argent productif. Matth., xxv, 27 ; Luc, xix, 23. Chez les Romains l’intérêt légal est alors de 12 pour 100 par an (cf. supra). Mais à ses disciples, le Sauveur recommande la charité désintéressée : « Si vous ne prêtez qu’à ceux dont vous espérez restitution, quel mérite avez-vous ? Car les pécheurs prêtent aux pécheurs afin de recevoir l’équivalent… Prêtez sans rien espérer en retour et votre récompense sera grande ». Luc, vi, 34-35. On sait les controverses que ce verset 35 a soulevées et notamment le jjIyjSèv àmXnLÇovieç du texte grec, qu’il faut traduire : n’espérant rien en retour, nihil inde sperantes. C’est là, de l’aveu unanime, non pas un précepte, mais un conseil à l’usage des parfaits. H. Lesêtre, art. Prêt, dans Dict. de la Bible, t. v, col. 620. En même temps qu’il enseigne à prêter d’une manière désintéressée, le Christ conseille à ses disciples de ne pas éviter ceux qui veulent emprunter. Matth., v, 42.

L’enseignement des Pères de l’Église.

Lorsque

Justinien publiait ses compilations et réglementait le taux de l’intérêt, il y avait plus de deux siècles que

les Pères de l’Église, se fondant sur l’enseignement du Christ, avaient engagé le combat contre le prêt à intérêt et prohibé l’usure, c’est-à-dire la perception de tout surplus soit en argent soit en nature dans le prêt de consommation. Il ne saurait être question de passer en revue tous les témoignages patristiques relatifs à notre matière ; il suflira d’analyser les plus importants en distinguant, pour la commodité, entre les Pères de l’Église grecque et ceux de l’Église latine, alors même que leurs écrits sont contemporains. Recension de nombreux témoignages par Mgr Seipel, Die Wirlschajsethischen Lehren der Kirchenvâler, Vienne, 1907, p. 167 sq.

1. Les Pères de l’Église grecque.

C’est à Clément d’Alexandrie (f vers 220) que revient, semble-t-il, l’honneur d’avoir dénoncé l’un des premiers, dans l’Église grecque, la pratique de l’usure, en s’appuyant plus spécialement sur l’Ancien Testament. « La loi défend de pratiquer l’usure à l’égard de son frère, dit-il ; non seulement à l’égard de son frère selon la nature, mais encore à l’égard de celui qui a la même religion ou qui fait partie du même peuple que nous, et elle regarde comme injuste de prêter de l’argent à intérêt ; on doit bien plutôt venir en aide aux malheureux d’une main généreuse et d’un cœur charitable. » Stromata, t. II, c. xviii, P. G., t. viii, col. 1024.

Au siècle suivant, saint Grégoire de Nazianze (329389) dénoncera l’usure comme l’un des crimes qui déshonorent l’Église et jettent les hommes dans la damnation éternelle. Il fustigera celui qui « a contaminé la terre par les usures et les intérêts, amassant là où il n’avait pas semé et moissonnant là où il n’avait pas répandu de semences, tirant son aisance non pas de la culture de la terre mais du dénuement et de la disette des pauvres ».. Orat., xvi, P. G., t. xxxv, col. 957. Pour la_ date de ce discours, P. Gallay, La vie de saint Grégoire de Nazianze, thèse de lettres, Lyon, 1943, p. 122.

Mais ce sont surtout les deux autres Pères cappadociens, saint Basile (329-379) et son frère puîné, saint Grégoire de Nysse (331-400), qui vont envisager le problème de l’usure dans son ensemble, à la lumière de l’Écriture. Ce n’est là, au demeurant, que l’un des épisodes de la campagne qu’ils ont menée, saint Basile plus particulièrement, contre la richesse. A. Puech, Hist. de la litt. grecque chrétienne, t. iii, p. 263 ; Y. Courtonne, Saint Basile. Homélies sur la richesse, thèse de lettres, Paris, 1935. Chacun d’eux a consacré une homélie à ce sujet : saint Basile a l’homélie sur le psaume xiv, 5, sur l’authenticité de laquelle plane un léger doute, Puech, op. cit., p. 263, n. 1 ; saint Grégoire l’homélie sur Ézéchiel, xxii, 12, où le prophète menace de détruire Jérusalem à cause de son iniquité. Ces deux homélies se complètent l’une l’autre, car, comme l’a noté F. Marconcini, La illegitimità del prestito di moneta a interesse in due omelie del secolo I V, dans Raccolta di scrilti in memoria di Giuseppe Toniolo, publication de l’université de Milan, sér. 3, Scienze sociali, t. vii, 1929, p. 288, saint Basile examine la question plutôt du point de vue du débiteur, saint Grégoire de Nysse plutôt du point de vue du créancier. De plus Grégoire prohibe tout espèce d’usure, tandis que Basile semble limiter sa condamnation à l’intérêt de l’argent. Sur le fondement de l’Écriture, saint Basile déclare que c’est un crime de prêter à usure et d’exiger plus que le principal. Il professe, en outre, que le riche doit prêter gratuitement au pauvre. En lui prêtant à usure, il n’en fait ni un ami, ni un débiteur, mais un esclave. Et dans le même temps que ses biens s’augmentent par l’usure, ses crimes s’augmentent bien davantage encore. P. G., t. xxix, col. 266 sq. La plus grande partie de l’homélie, c. ii, m et iv, est ensuite