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URBAIN II


reprendre une attaque à main armée. À la guerre ouverte succède la lutte diplomatique où chacun des adversaires cherche à isoler son rival, Urbain se rattachant Conrad, fils de l’empereur, en révolte contre son père, Henri de son côté retrouvant, après les déconvenues du jeune Welf V, l’appui du père de celui-ci, Welf de Bavière.

Après le retour d’Urbain en Italie (automne de 1096), Henri IV repasse les Alpes et Guibert se renferme de plus en plus dans Ravenne, d’où il arrive péniblement à exercer son autorité sur les régions qui lui sont encore soumises. Ainsi s’affermit de plus en plus en Italie la situation du pape légitime. A Rome, pourtant, les guibertistes tiennent encore le château Saint-Ange et Saint-Pierre, qui ne leur seront enlevés qu’au printemps de 1098. Dans tout le reste de la péninsule la situation d’Urbain se renforce de plus en plus. En dépit de la rupture entre Mathilde et Welf V, la grande comtesse reste, dans l’Italie du Nord, une puissance de premier plan. Au Sud, le resserrement de l’alliance entre le Saint-Siège et .Roger de Sicile (aussi bien qu’avec Roger de Pouille) assure au pape un précieux appui. Sauf Venise qui tient encore pour Henri IV, l’Italie est tout entière groupée autour du Saint-Siège. Le schisme inauguré à Brixen par la désignation comme pape de Guibert, archevêque de Ravenne, allait vers l’extinction. Ce sera le successeur d’Urbain, Pascal II, qui devra, non sans bien des difficultés encore, procéder à la liquidation définitive. En tout état de cause l’Allemagne seule se rangeait encore à l’obédience de l’antipape. La Hongrie avait pu hésiter quelque temps ; quand, à la mort de Ladislas, 29 avril 1095, Coloman lui succéda, la Curie romaine fit tout pour le mettre en garde contre l’antipape. Jaffé, n. 5662 (27 juillet 1096). Le nouveau souverain ne resta pas sourd à ces objurgations, rejeta les sollicitations d’Henri IV et ménagea le Saint-Siège qu’il ne voulait pas s’aliéner.

III. La question d’Orient. La croisade. — Le geste de Michel Cérulaire en 1054 n’avait jamais été considéré à Rome comme supprimant toute relation entre Rome et Constantinople. Sans doute entre le pape et le patriarche disparaissent les signes extérieurs qui, durant des siècles, avaient montré, tant bien que mal, que les deux Églises, grecque et latine, conservaient entre elles la communion. Mais entre le Sacré Palais et la Curie romaine des rapports continuèrent, d’ailleurs assez espacés. Au fait, dès le dernier tiers du xie siècle, un ennemi des plus redoutables se dressait contre Constantinople ; pour lui faire face ce ne serait pas trop des forces réunies de l’Occident et de l’Orient. Musulmans fanatiques, les Turcs Seldjoukides ont substitué peu à peu en Asie leur domination à celle des Arabes et s’acharnent à la destruction de ce qui reste de l’Empire byzantin. En 1071 le basileus Romain Diogène est par eux battu et fait prisonnier ; Iconium est pris, l’armée turque arrive en vue de Constantinople.

Alors l’empereur Michel VII (1071-1078) se décide à envoyer une légation au pape Grégoire VII pour demander le secours de l’Occident. Le pape, qui n’est pas encore entré en lutte avec Henri IV, entre dans ses vues. Il songe à confier au roi des Romains la garde de l’Église d’Occident, tandis qu’il invite la chrétienté à se lever pour défendre l’empire chrétien. Lui-même se mettra à la tête de l’expédition destinée à secourir Constantinople. Mais on ne s’arrêterait pas en si beau chemin ; il faudrait pousser jusqu’en Palestine et délivrer de la captivité le tombeau du Christ. Jaffé, Regesta, n. 4826 (1 er mars 1074). Ainsi est lancée pour la première fois l’idée de croisade.

Rien de. tout cela ne se fit ; bientôt la lutte contre Henri IV va accaparer toutes les forces vives de la

papauté. Il n’empêche que Grégoire VII conserve de la sympathie pour Michel VII, Quand celui-ci eut été renversé par l’usurpateur N’icéphore Botoniatès (10781081), le pape, qui venait de resserrer son alliance avec les Normands d’Italie, autorisa volontiers Robert Guiscard à faire campagne contre le Botoniatès, puis contre Alexis Comnène (1081-1118) qui avait à son tour évincé l’usurpateur. Le chef normand avait passé l’Adriatique, poussé jusqu’en Thessalie, mais il était mort en 1085 sans avoir achevé son expédition victorieuse. L’intervention du Saint-Siège avait d’ailleurs eu pour résultat d’opérer un rapprochement entre Alexis et Henri IV d’Allemagne. Mais, quand Alexis Comnène eut été définitivement reconnu, le Saint-Siège revint à une politique d’accord. Au début de son pontificat, Urbain II envoie une légation à Alexis ; hardiment il se plaignait au basileus de la radiation que l’on avait faite du nom du pape dans les diptyques de Constantinople ; en même temps il demandait que fût permis aux latins séjournant dans l’Empire l’usage des azymes dans la célébration eucharistique. Le patriarche, Nicolas, fort surpris de cette démarche, réunit cependant un concile en septembre 1089 ; les évêques demeuraient hésitants, le basileus qui présidait se prononça pour l’acceptation immédiate des demandes du Saint-Siège. Le synode, en fin de compte, accepta de rétablir le nom du pape dans les diptyques : Urbain II serait invité à venir de sa personne dans la capitale pour résoudre les questions litigieuses. Sur toute cette négociation, voir W. Holtzmann, Die Unionsverhandlungen zwischen Alexis I. und Papst Urban II. im Jahre 1089, dans Dyzant. Zeitschrifl, t. xxviii, 1928, p. 38-67 ; et Studien zur Orientpolilik des Reformpapstiums und zur Enlslehung des ersten Kreuzzuges, dans Histor. Vierteljahrschrift, t. xxii, 1924-1925, p. 167-199.

Nous sommes assez mal renseignés sur ce qui se passa, à l’automne de 1089, au concile de Melfi, où certainement fut soulevée cette question de la reprise des rapports avec Constantinople. Il semble bien que rien n’ait pu se régler. Mais il est incontestable qu’à ce moment se remarque chez les grecs, dans la polémique antilatine, un certain apaisement. Ainsi le traité de Théophylacte, archevêque de Bulgarie, sur les erreurs des latins, LTspl <î>v èyy.aXoJ^TO.i Aocuvoi, P. G., t. cxxvi, col. 221-229, est relativement modéré, même en ce qui concerne la question du Filioque.

Au fait, les relations continuaient entre Alexis I er et Urbain II ; on ne fut donc pas autrement étonné de voir arriver au concile de Plaisance (mars 1095) une ambassade byzantine, chargée de « solliciter instamment du pape et de tous les fidèles du Christ un secours pour la défense de la sainte Église ». Au dire de Bernold de Constance, Chronicon, an. 1095, Urbain excita beaucoup de gens à faire la promesse par serment de se rendre à Constantinople et de fournir de tout leur pouvoir l’aide la plus fidèle à l’empereur en question contre les païens. Cf. Jaffé, Regesta, p. 677. Cette idée allait prendre corps dans les mois suivants, en se transformant d’ailleurs. Il ne sera plus seulement question de porter secours à Constantinople, de plus en plus menacée par les Turcs, mais d’organiser une vaste expédition militaire dont le but essentiel serait de délivrer le Saint-Sépulcre du joug des infidèles, autrement dit d’expulser l’Islam de la Palestine et des régions adjacentes.

C’est à l’issue du concile de Clermont. qu’Urbain II, le 27 novembre 1095, devant une immense assemblée, divulgua le projet, qui, au cours des mois précédents, s’était précisé dans son esprit et parla avec une émotion communicative des souffrances des chrétiens d’outre-mer et de la captivité où se trouvait le tombeau du Christ. Le but de l’entreprise était nettement