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UNITARIKNS. DOCTRINE


appartenait à la vraie race des prophètes. Il voyait à l'œil nu le mystère de l'âme. Attiré par son harmonie sévère, ravi de sa beauté, il vivait en elle et y avait tout son être… Il a vu que Dieu s’incarne lui-même dans l’homme et continue éternellement à se manifester à nouveau pour prendre possession de sa création. Dans le transport de son émotion sublime, il a dit : « Je suis divin. Dieu agit par moi, parle par moi. a Veux-tu voir Dieu ? Regarde-moi ou regarde-toi « lorsque tu penses comme je le fais maintenant. » …L’entendement a saisi ces paroles sur les lèvres du grand poète et dit dans l'âge suivant : « C'était Jého- « van descendu du ciel. Je vous tuerai si vous dites que « c'était un homme. » Les formes de son langage, les figures de sa rhétorique ont usurpé la place de sa vérité et les Églises ont été bâties non sur ses principes, mais sur ses métaphores. » Cité par Dugard, op. cit., p. 315.

Tous les dogmes spécifiquement chrétiens se trouvent condamnés de la sorte. Les unitariens américains étaient cependant tous des descendants des vieux puritains farouchement attachés aux dogmes calvinistes. Mais Emerson ne craignait pas de dire : « Le calvinisme est condamné aussi, il mourra seulement le dernier ; car le calvinisme se précipite dans l’unitarianisme comme l’unitarianisme se précipite dans le pur théisme. » De fait, l’horreur des dogmes en général aboutit, chez les unitariens, à une sorte de moralisme sentimental, qui affecte les formes d’un prophétisme universel. Calvin avait déclaré que tout vrai croyant reçoit directement de l’Esprit-Saint le sens infaillible par lequel il discerne les Saints Livres des livres profanes, sans qu’il soit nécessaire de recourir à l'Église. Un Emerson dépasse ce point de vue en faisant de tout homme l’organe de l’Esprit de Dieu et en exigeant que tout vrai croyant construise sa Bible personnelle et la communique à ses semblables. De fait, les ouvrages d'Émerson revêtent assez bien la forme d’une Bible des temps modernes : « Le christianisme, disait-il, est la plus forte aflirmation de la nature spirituelle. Mais ce n’est pas la seule affirmation ni la dernière. Il y en aura mille autres… » Cité par Dugard, op. cit., p. 338.

2° Appel constant à la raison et à la conscience naturelles, comme règles suprêmes en matière de religion. Ce prophétisme universel à quoi nous venons de dire qu’aboutissait l’unitarianisme n’est au fond qu’un appel à la raison de l’individu et à sa conscience naturelle. Les unitariens n’ont commencé par rejeter le dogme « le la sainte Trinité que parce qu’ils le croyaient contraire à la raison. Il y avait, dans leur incrédulité sur ce point, un rationalisme d’abord inconscient et timide, tout comme chez les soeiniens. On a dit qu’ils continuaient au début à admettre la prophétie et le miracle et qu’ils s’en servaient pour réfuter le simple déisme. Mais il était inévitable que le rationalisme initial envahit peu à peu toute la doctrine unitarienne. Tel est bien le sens de la parole il ce plus haut d'Émerson, à savoir que l’unitarianisme se précipite dans le pur théisme. De fait, la plupart des unitariens rejettent actuellement le miracle et la prophétie ou les expliquent d’une manière symbolique, métaphorique ou poétique. Quand un Théodore Parker commença, vers 1840, ; i parler de concert avec Emerson, des éléments mythiques contenus dans la Bible, de l’immanence de Dieu dans le monde et dans l’histoire, du progrès indéfini de la religion dans l’univers, ses déclarations remplirent d’effroi les vieux unitariens. Mais peu à peu la masse unitariens entra dans les idées nouvelles. El quand la direction du mouvement unitarien, après avoir été. pour de pures raisons de prestige littéraire, l’apanage des prédicateurs américains, C.hanning et

Parker, revint en Angleterre, avec James Martineau. l’esprit rationaliste de l’unitarianisme se manifesta avec éclat. Cet esprit se traduisit en particulier par la fondation, en 1873, des Hibbert-Lectures ou Société de conférences sur des sujets religieux. Hibbert était un planteur de la Jamaïque, mort en 1849, qui avait laissé un legs important pour la défense des « doctrines antitrinitaires », sous la condition expresse que les conférences ne seraient faites que par des « hétérodoxes », c’est-à-dire des non-conformistes. Parmi les conférenciers de renom qui furent invités à y donner des leçons, on peut signaler des rationalistes de marque tels que Max Millier, Abraham Kuenen, Otto Pfleiderer, etc.

Il faut remarquer toutefois que cet appela la raison naturelle et à la conscience morale ne prend pas toujours ni même habituellement la forme de raisonnements serrés. Les écrivains unitariens raisonnent au contraire fort peu. Ils refusent la discussion. Un Channing, un Parker, un Emerson surtout ne sont pas des dialecticiens, mais des poètes, des moralistes, des orateurs chaleureux et vagues, en un mot des sentimentaux. Nous avons entendu Emerson faire appel à l’expérience intime de ses auditeurs pour dénoncer la gêne que l’on éprouve, selon lui, à adorer Dieu dans la Cène, tout en maintenant une commémoration du Christ, selon cette parole : Faites ceci en mémoire de moi ! Cette « gêne » n’est pas le moins du monde un raisonnement, ni un argument proprement dit. C’est une simple impression individuelle. Et c’est sur une telle impression que l’on prétend supprimer l’un des rites essentiels du christianisme historique ! La religion ainsi conçue devient une sorte de panthéisme mystique et poétique dans lequel peut se complaire un génie éloquent et nébuleux comme celui d'Émerson ou de Martineau, mais qui ne peut guère apporter de secours efficace à l’humanité commune. En un mot, le rationalisme unitarien est un abandon de la raison en face des preuves de la vérité du christianisme et un glissement vers un naturalisme paré de phrases émouvantes et voilé d’intentions généreuses.

3° Large développement des préoccupations sociales et philanthropiques. — Nous venons de parler d’intentions généreuses. Il n’est pas question en effet de diminuer la hauteur morale d’un Channing. d’un Parker, d’un Emerson, d’un Martineau. Channing et Parker ont lutté de toutes leurs énergies contre le matérialisme et le mercantilisme trop répandus, dès leur époque, dans les milieux américains. Ils voyaient autour d’eux une société uniquement préoccupée d’affaires et de gains abondants. Ils ont protesté avec raison contre les pratiques religieuses purement rituelles et formalistes. Ils entendaient réagir contre le culte du dieu-dollar, contre l'égoïsme engendré parle libéralisme économique. Ils proclamaient avec raison que tout affaiblissement <u christianisme était une atteinte à la civilisation. « Pas de civilisation sans christianisme », disait Channing, sans se rendre compte epre l’attitude doctrinale OU plus exactement antidoctrinale de l’unitarianisme n’allait a rien de moins qu'à dissoudre le christianisme, qui a créé notre civilisation, dans un sentimentalisme flottant et vaporeux. Channing et ses émules doivent être félicités toutefois de leurs initiatives sociales et philanthropiques. Channing prenait volontiers Fait et cause pour les ouvriers dans leurs débats contre un patronat trop souvent cupide et sans entrailles. l’n jour qu’il avait reçu une adresse de l’Institut ouvrier de Slaithvvaite. dans le Yorkshhe, il s'écria, la figure animée et les yeux brillants : « C’est de l’honneur, « ceci, c’est de l’honneur ! » Son neveu, qui nous rapporte ce Irait, ajoute que sur sa table il v avait une lettre écrite par ordre d’un des plus grands monarques