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UNIGENITUS. LITTERATURE AUTOUR DE LA BULLE


ment exact. Les explications sont déplacées dans un livre de piété. D’autre part, certaines expressions sont autorisées par l’Écriture et les Pères, en particulier, par saint Augustin et saint Prosper, qui paraîtraient d’abord inexactes. On n’a aucune raison de penser que Quesnel a détourné ces expressions du sens qu’elles ont dans l’Écriture ou les Pères. C’est pour n’avoir pas tenu compte de cette règle que la bulle a condamné des propositions qui, au premier abord, présentent un sens mauvais, mais qui, en fait, ne sont susceptibles de ce mauvais sens que si l’on oublie qu’elles ont été employées par des auteurs respectables.

On ne doit pas prendre à la rigueur des expressions qui ne sont fausses que dans leur littéralité et qui sont vraies, quand on les prend moralement et avec les corrections qu’impose le bon sens, surtout dans un écrit dont le but est d’édifier, dans un livre où les distinctions subtiles seraient déplacées. Un lecteur équitable entend ce que l’auteur veut dire et ne s’attache pas strictement à ce qu’il dit, pour frapper l’imagination. L’application de cette règle justifierait les propositions relatives à la lecture de l’Écriture sainte : on exhorte tout le monde à lire l’Écriture, comme on exhorte tout le monde à s’approcher de la Table sainte. De même, beaucoup de propositions sont condamnées, parce que générales ; mais il est bien évident que ces propositions admettent des exceptions, qui sont sous-entendues. Ainsi la règle générale de lire l’Écriture sainte n’exclut pas et renferme implicitement les précautions qu’on doit prendre pour empêcher les abus qui pourraient résulter de cette lecture pour certains esprits. On sait bien que les règles les plus générales ne doivent pas être prises à la lettre et avec une rigueur métaphysique, car il n’y a pas de règle si générale qui n’admette quelque exception. On doit lire l’Écriture sainte, c’est seulement par exception qu’on n’est pas tenu de la lire. Cette remarque de bon sens s’applique aussi aux nombreuses propositions qui touchent les points si délicats de la liberté et de la grâce. Saint Augustin disait déjà que, lorsqu’on défend le libre arbitre, on paraît négliger ou même nier la grâce de Dieu, et quand on souligne la force de la grâce de Dieu, on semble nier la liberté de l’homme. Dix-huit propositions sur la grâce ont été condamnées, comme renouvelant la deuxième proposition de Jansénius : « Dans l’état de nature corrompue, on ne résiste jamais à la grâce. » On a oublié et omis les nombreux passages du livre des Réflexions, où Quesnel affirme (Clairement qu’on résiste parfois à la grâce. îl serait injuste de reprocher à Quesnel de n’avoir pas, toutes les fois qu’il parle de la toute-puissance de Dieu, qui est incontestable, ajouté aussitôt que l’homme reste libre, d’autant que les réflexions portent sur un texte donné de l’Écriture et qu’on ne peut, chaque fois, exposer la doctrine tout entière. Si le texte de l’Écriture souligne la puissance de Dieu, le commentateur doit parler de la puissance de Dieu et n’a pas à s’occuper de la liberté humaine. Après avoir affirmé certaines vérités, on est en droit de les supposer en d’autres passages, sans être obligé de les répéter. Les divers passages, rapprochés, se complètent les uns les autres et découvrent la vraie pensée de l’auteur. C’est le trahir que de vouloir le juger d’après une proposition séparée du contexte, et de l’ensemble de l’ouvrage, comme aussi, du but poursuivi par l’auteur.

Toutes ces remarques sont parfaitement raisonnables en elles-mêmes et Benoît XIV, dans son encyclique Sollicita de 1753, fait observer que, si un auteur sincèrement catholique, d’une science et d’une intégrité reconnues, écrit quelque proposition équivoque, l’équité exige que ses paroles soient expliquées avec bienveillance et prises en bonne part. Mais si, tout

au contraire, l’auteur est suspect, on a le droit et le devoir d’être, non point malveillant, mais d’être prudent et d’être attentif aux mots employés. Il faut, en effet, se rappeler la conduite de tous les hérétiques, et des jansénistes en particulier, depuis Saint-Cyran et Arnauld. Ils ont coutume d’envelopper leurs erreurs en des expressions équivoques, auxquelles on peut donner un sens catholique ; ils emploient de préférence les termes de l’Écriture et des Pères et évitent tout ce qui exprimerait ouvertement leur pensée ; ils prennent soin, au risque de se contredire, d’employer des expressions orthodoxes, afin de pouvoir se défendre, au cas d’une condamnation, comme si la vérité établie en quelques endroits empêchait que des erreurs certaines fussent énoncées en d’autres. De semblables contradictions, loin de justifier les ouvrages et les auteurs, les rendent, au contraire, plus suspects et plus dangereux. Ainsi, souvent les hérétiques affectent un langage orthodoxe pour donner le change et éluder leur condamnation. C’est une remarque que faisait saint Augustin, au sujet de Pelage et de Julien d’Éclane, qu’il combattait. La lettre de Pelage au pape Innocent I er parut si catholique que le pape Zosime se laissa convaincre et crut que les évêques d’Afrique l’avaient faussement accusé d’hérésie. Cette observation doit être rappelée, quand il s’agit du jansénisme. L’auteur des Quatre lettres théologiques, écrites en 1699 et tirées des mémoires fournis par Bossuet, cite de nombreux passages, extraits du livre des Réflexions, qui sont en opposition formelle avec les cinq propositions de Jansénius ; Quesnel y parle comme l’Écriture, comme saint Augustin, comme le concile de Trente ; c’est exact, mais l’auteur de ces Lettres oublie, comme Bossuet, de dire qu’en d’autres endroits, qu’il ne cite pas, les propositions de Jansénius sont plus ou moins franchement affirmées.

Bien plus, la vie et la conduite personnelle de Quesnel, l’auteur du livre des Réflexions, même au temps où il résidait à l’Oratoire, le rendent fort suspect et inspirent la défiance. En 1678, il refusa de se soumettre au règlement qui imposait aux pères de l’Oratoire de condamner les erreurs de Baius et de Jansénius, et c’est pour cela qu’il fut éloigné de Paris et envoyé à Orléans ; en février 1685, pour ne pas souscrire à un nouveau règlement, il quitta l’Oratoire et la France et se retira dans les Pays-Bas, où il vécut sous des noms divers et en habit séculier. Il fut arrêté et emprisonné à la requête du promoteur de Malines, qui prouva que Quesnel avait formé un parti et une espèce d’ordre, dont il était abbé et prieur. Quesnel publia alors plusieurs écrits fort suspects et les pièces du procès recueillies dans la Causa Quesnelliana montrent que Quesnel prit la défense des écrits et des auteurs jansénistes, ou favorables au jansénisme, et qu’il rédigea, au nom du parti, des explications du Formulaire qui permettaient de souscrire, sans condamner le livre de Jansénius. D’ailleurs, Quesnel refusa toujours de rétracter formellement les erreurs dont il était accusé. Sans doute, on n’a pas le droit de juger les intentions d’un auteur et il est probable que Quesnel n’a pas eu l’intention de soutenir tous les mauvais sens que l’Église a condamnés dans les propositions extraites de son livre, mais ces mauvais sens condamnés existent, quand on prend les propositions dans leur étendue et selon la force des termes employés. Les lecteurs, quand ils connaissent l’auteur de ce livre, trouvent ces mauvais sens et, par conséquent, l’Église a justement condamné ces propositions et le livre qui les contient.

Bref, l’Église a condamné les propositions de Quesnel, en tant qu’elles renouvellent les propositions de Jansénius. Elle n’a point voulu pénétrer les pensées intimes et les intentions secrètes de Quesnel. L’Église