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UNIGENITUS (BULLK). PROP. 1, 2


à Dieu, mais en lui-même et intrinsèquement, car cet acte procède de la cupidité vicieuse. C’est la proposition 44 de Quesnel, qui reproduit la proposition 38 de Baïus et la thèse de Jansénius (De gralia Christi, c. vi). De cette thèse découlent plus ou moins directement les propositions 44 à 93. — 3. Les huit dernières propositions reprennent les thèses du richérisme presbytérien sur l’origine et les caractères des pouvoirs que l’Église exerce par les premiers pasteurs, mais avec le consentement au moins présumé de tout le corps du clergé et des fidèles.

Les propositions condamnées sont empruntées textuellement au livre de Quesnel. Les jansénistes répètent que ces propositions sont souvent détournées de leur sens naturel et qu’on chercherait en vain le mauvais sens de certaines propositions. Nous verrons en détail ce qu’il faut penser de ces affirmations et nous essaierons de préciser le sens exact des condamnations. Il y a beaucoup de propositions équivoques ; mais l’Église, en les condamnant, voulait démêler l’erreur qui se cachait et qui pouvait s’insinuer dans des esprits non prévenus. On a toujours accusé le jansénisme d’user de ce moyen de propagande et c’est assurément à cause de cette tactique bien connue que l’Église a condamné certaines propositions que nous trouverons dans la liste. Bref, pour comprendre la condamnation, il suffit de ne pas oublier les procédés habituels de ceux que l’Église voulait découvrir et désarmer pour les rendre inofïensifs. Elle a condamné les propositions susceptibles d’un mauvais sens, parce qu’elle se défiait, et à juste titre, des intentions de Quesnel.

L’examen de chaque proposition en particulier permettra de connaître le vrai sens de la condamnation et ainsi de compléter ce que nous avons dit de la bulle Auctorem fidei, au synode de Pistoie ; voir ici, t. xii, col. 2202-2222.

1. Quid aliud remanet

animse quæ Deum atque

ipsius gratiam amisit, nisi

peccatum et peccati conse cutiones, superba paupertas,

et segnis indigentia, hoc est,

generalis impotentia ad la borem, ad orationem et ad

omne opus bonum ?

1. Que reste-t-il à une àme

qui a perdu Dieu et sa grâce,

sinon le péché et ses suites,

une orgueilleuse pauvreté et

une indigence paresseuse,

c’est-à-dire, une impuis sance générale au travail, à

la prière et à tout bien ?

Luc, xvi, 3, édit. 1693, 1699.

Cette proposition affirme que l’âme en état de péché mortel ne peut faire aucune action bonne ; par suite, le pécheur pèche dans toutes ses actions. Proposition condamnée par le concile de Trente (sess. vi, can. 7), chez Luther et dans les propositions 35 et 40 de Baius. Proposition scandaleuse et pernicieuse, car elle porte le pécheur à abandonner la pratique des bonnes œuvres, l’exercice de la prière et le désir même de la conversion. Sans doute, les partisans de Quesnel ont mis en avant le texte évangélique : « Sans moi, vous ne pouvez rien » (Joa., xv, 57) ; le concile d’Orange, c. 22, déclare que, sans la grâce actuelle, on ne peut rien faire de bien et on n’a de soimême que le mensonge et le péché. L’Imitation, t. III, c. lv, dit : « Que suis-je sans la grâce, qu’un bois sec et un tronc inutile qui n’est bon qu’à être jeté au feu ? » Enfin, saint Augustin écrivait que, sans les grâces les œuvres peuvent être bonnes quant au devoir (ex officio), mais elles sont toujours défectueuses ex fine, parce qu’elles ne sont pas rapportées à Dieu, comme fin dernière. Sans la grâce, par les seules forces de la nature, l’homme ne peut faire aucun acte d’amour de Dieu, donc aucun acte bon.

Mais Augustin lui-même donne la solution. Dans une lettre à Simplicien, il écrit : « Que reste-t-il au pécheur ? Il reste au libre arbitre, dans cette vie mortelle, non pas d’accomplir la justice, quand il veut,

mais de se tourner par une humble prière vers Celui par le don duquel il peut l’accomplir. Il ne dépend que de moi de demander ; je suis prévenu et aidé par la grâce, par le pouvoir de demander ; je ne puis mériter, mais il me reste l’humble espérance que Dieu daignera écouter ma voix. » Au 1. I des Rétractations, Augustin a écrit : « Il est au pouvoir de l’homme d’améliorer sa volonté », et saint Thomas, De veritate, q. xxiv, art. 11, a dit : Infidèles bona opéra ad quæ sufficit bonum natures operari possunt. Bref, les œuvres des pécheurs ne peuvent être appelées des péchés au sens vrai du mot ; leurs actions ne peuvent mériter une récompense éternelle, ce sont des actions mortes et infructueuses, mais elles peuvent être bonnes. Saint Augustin va jusqu’à dire que, chez les pécheurs, les restes de l’image de Dieu ne sont pas complètement effacés par le péché et cela leur permet de faire encore des actions bonnes au sens propre du mot, des actions en vertu desquelles le pécheur sera moins puni.

Pour atténuer l’erreur de Quesnel, quelques jansénistes ont dit que, dans cette proposition et dans celles qui suivent, l’impuissance dont il est question est une impuissance qui n’exclut pas le vrai pouvoir, lequel reste attaché au libre arbitre et que cette impuissance peut être supprimée par la grâce, dont l’homme s’est privé par sa faute ; bref, sans la grâce, le pécheur peut faire quelques bonnes actions, mais, en réalité, il ne fait aucune action bonne ; même ainsi atténuée, la proposition reste équivoque et mérite une condamnation.

2. Jesu Christi gratia,

principium elïïcax boni cu juscumque generis, neces saria est ad omne opus bo num ; absque illa, non so lum nihil fit, sed nec fieri

potest.

2. La grâce de Jésus Christ, principe efficace de

toute sorte de bien, est

nécessaire pour toute bonne

action (grande ou petite,

facile ou difficile, pour la

commencer, la continuer et

l’achever). Sans elle, non

seulement on ne fait rien,

mais on ne peut rien faire.

Joa., xv, 5, éd. de 1693.

Cette proposition suppose : 1. que la grâce efficace est le principe de tout bien et qu’elle est nécessaire pour toute bonne action ; 2. que, sans elle, on ne peut rien faire de bien. Donc, il n’y a qu’une seule grâce, la grâce efficace par elle-même, et, sans cette grâce, on ne peut rien faire de bien. Donc les préceptes sont impossibles à ceux qui ne reçoivent pas cette grâce et on peut dire que ceux qui n’accomplissent pas ces préceptes n’ont pas reçu cette grâce. C’est la première proposition de Jansénius, condamnée comme « téméraire, impie, blasphématoire, digne d’anathème et hérétique ». Si j’ai la grâce efficace, j’éviterai le péché ; si je ne l’ai pas, quoi que je fasse, je ne l’éviterai pas. « Il est insensé, écrit saint Augustin, De fide, c. ix, de demander à quelqu’un ce qu’il lui est impossible de faire et injuste de le condamner pour n’avoir pas fait ce qu’il lui était impossible de faire. » On peut dire que, sans la grâce efficace, on n’a pas tout ce qui est nécessaire pour agir actuellement et on ne peut pas faire le bien surnaturel, méritoire du ciel ; mais on peut faire des actions moralement bonnes, conformes à l’ordre naturel établi par Dieu. Tel est le sens du texte de saint Jean et de la condamnation des propositions 25, 27 et 62 de Baius.

D’autre part, tous les théologiens affirment l’existence d’une grâce suffisante, qui donne un vrai pouvoir de faire ce qu’en réalité on ne fait pas. Les jansénistes dénoncent comme moliniste cette grâce qui ne donne qu’un pouvoir, dont le libre arbitre dispose à son gré, pour en faire l’usage qu’il lui plaît. On peut ne pas admettre cette conception de la grâce suffisante, mais aucun théologien catholique n’acceptera