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TYRANNICIDE — TYRRELL (GEORGES)

défense l’observation du moderamen. Mais cela n’enlève pas au prince ou à la nation le droit d’user de plus de rigueur, toutes les fois que la mort du coupable est nécessaire, soit pour châtier l’usurpateur qualifié, soit pour sauvegarder la paix publique.

Conclusion. — On voit dans quel sens nous pensons que doivent être réformées ou du moins nuancées certaines affirmations de moralistes, même contemporains, qui proclament sans distinction, « qu’il n’est jamais permis de mettre à mort un tyran »… Le point de vue auquel ils se placent est sans doute la sauvegarde du principe d’autorité, si fondamental dans une société et si gravement battu en brèche en ces derniers temps. Mais ce point de vue ne doit pas faire oublier le souci de la personne humaine et surtout la sauvegarde du bien commun, auquel l’autorité elle-même reste subordonnée. Une prise de position aussi absolue nous semble entachée d’une double erreur de perspective : tout d’abord l’adoption d’opinions anciennes, qui étaient justes à une époque où l’existence d’un suzerain permettait des solutions pacifiques, et en des temps où la tyrannie n’avait pas à son service des moyens de pression qui pratiquement laissent le peuple sans défense. En second lieu, beaucoup ont été hypnotisés par ce principe, très juste d’ailleurs, qu’un inférieur ne saurait juger, encore moins condamner à mort un supérieur. Mais précisément, il s’agit de savoir où est le supérieur. Ce n’est pas toujours et nécessairement le tyran.

En résumé, le tyrannicide, hormis le cas de légitime défense en cas d’agression injuste, n’est pleinement licite que lorsque le tyran ou bien n’est pas encore, ou bien a cessé d’être le « prince ». Dès lors que le tyran est devenu ou qu’il est encore le représentant authentique de l’autorité, nul ne saurait attenter légitimement à sa vie. Nous n’ignorons pas les anxiétés et les conflits douloureux que cette solution laisse pratiquement subsister entre un pouvoir plus ou moins capable ou plus ou moins digne et le bien commun des citoyens. Il n’est pas douteux toutefois que les régimes politiques modernes qui se proclament « gouvernements d’opinion » ou du moins ont besoin de l’appui de l’opinion, offrent aux citoyens des moyens plus pacifiques et pourtant efficaces d’éliminer les tyrans et de faire disparaître les lois injustes. Au nombre de ces moyens, il faut citer les campagnes d’opinion (ce qui suppose une certaine liberté de la parole, de la presse, de la radiophonie, etc…), le choix de représentants dignes, la pétition ou le référendum, les associations et les réunions de masse (meetings).

On trouvera l’enseignement officiel de l’Église dans les encycliques des papes, spécialement de Léon XIII (citées ici d’après l’édition française de la Bonne Presse), Pie XI et Pie XII, ainsi que dans les actes des conciles. Les diverses théologies morales ont d’autre part traité ou du moins effleuré le sujet ; les principaux auteurs ont été cités au cours de l’article.

Les ouvrages contemporains ci-après pourront être consultés pour l’exposé du droit, la connaissance de l’histoire, ou enfin pour l’étude des diverses solutions données à la question. — Nous mettons en tête quelques ouvrages anciens : Buchanan, De jure regni apud Scotos, 1579 ; Cl. Joly, Recueil de maximes véritables et importantes pour l’institution d’un roi, Paris, 1652 ; Turquet de Mayerne, Monarchie aristo-démocratique, Paris, 1611 ; sans compter les ouvrages cités au cours de l’article.

J. Barthélémy, La crise de la démocratie contemporaine, Paris, 1931 ; Bélorgey, Le respect et l’obéissance due aux pouvoirs constitués, Dijon, 1928 ; Beudant, Le droit individuel et l’État, 3e éd., Paris, 1920 ; Carrière, De justifia et jure, Paris, 1839 ; Castelein, Droit naturel, Paris, 1903 ; De Cepeda, Éléments de droit naturel, trad. Onclair, Paris, 1890 ; Chénon, Histoire générale du droit français, Paris, 1926 ; le même, Le rôle social de l’Église, Paris, 1922 ; Crahay, La politique de saint Thomas d’Aquin, Louvain, 1896 ; Y. de la Brière, Origine du pouvoir politique, dans 'Dict. apologétique de la foi catholique, Paris, 1923 ; Deploige, Le conflit de la morale et de la sociologie, Louvain, 1911 ; Desjardin, De la liberté politique dans l’État moderne, Paris, 1894 ; Devès, Le droit divin et la souveraineté populaire, Paris, 1905 ; Douarche, De tyrannicidio apud scriptores decimi sexti sæculi (thèse), Paris, 1888 ; Duguit, Traité de droit constitutionnel, Paris, 1921 ; Duthoit, Aux confins de la morale et du droit public, Paris, 1919 ; Egger, Études d’histoire et de morale sur le meurtre politique chez les Grecs et les Romains, dans Mémoires de la Royale Académie de Turin, Turin, 1866 ; Faguet, Politiques et moralistes du XIXe siècle, 5e éd., Paris, 1891 ; Forbes, Les bases de la morale ou la synthèse de la morale et du droit devant la raison, Paris, 1899 ; Gény, Science et technique en droit privé positif, Paris, 1914 ; Gordon, Les nouvelles constitutions européennes et le rôle du chef de l’État, Paris, 1932 ; Mgr d’Hulst, La morale du citoyen, Carême de 1895, Paris, 1895 ; Paul Janet, Hist. de la science politique dans ses rapports avec la morale, Paris, 1872, 2e éd. ; Lallement, Principes catholiques d’action civique, Paris, 1934 ; Leclercq, Leçons de droit naturel, 2e éd., Namur, 1933, t. ii, l’État ou la politique ; Leroy-Beaulieu, L’État moderne et ses fonctions, 3e éd., Paris, 1900 ; Magnin. L’État, conception païenne et conception chrétienne, Paris, 1927 ; Maurras, La démocratie religieuse, Paris, 1921 ; le même, Enquête sur la monarchie, Paris, 1924 ; Montagne, Études sur l’origine de la société, Paris, 1900 ; de Pascal, Philosophie morale et sociale, Paris, 1896 ; Parisis, La démocratie devant l’enseignement catholique, Paris, 1849 ; Nys, Les théories politiques et le droit international en France au XVIIe siècle, 2e éd., Paris, 1899 ; Reclus, L’évolution, la révolution et l’idéal anarchique, Paris, 1902 ; Riquet, Sa Majesté la Loi, Paris, 1924 ; Rothe, Traité de droit naturel théorique et appliqué, Paris, 1885 ; Salsmans, Droit et morale, Bruges, 1925 ; de la Servière, art. Tyrannicide, dans Diction. apologétique, 1928 ; de la Taille, En face du pouvoir, Tours, 1910 ; le même, art. Insurrection, dans Diction. apologétique, Paris, 1914 ; Taparelli d’Azeglio, Essai théorique de droit naturel, 3e éd., Paris, 1883 ; Albert Valensin, Traité de droit naturel, Paris, 1921 ; de Vareilles-Sommière, Les principes fondamentaux du droit, Paris, 1889 ; Vermeersch, Principes de morale sociale, Paris, 1922 ; Vialatoux, Morale et politique, Paris, 1931 ; von Gierke, Les théories politiques au Moyen Age, trad. de Pange, Paris, 1914 ; Waffelært, Étude de théologie morale sur l’obligation en conscience des lois civiles, Tournai, 1884.

On trouvera dans les Études, t. clxxxiii, clxxxv et clxxxvi (années 1925-1926) les réponses à l’enquête du P. Riquet sur Sa majesté la Loi. Voir aussi dans la Vie intellectuelle, les articles du P. Spicq et de dom Sturzo sur La soumission aux pouvoirs établis et le Droit de révolte, t. lii, t, p. 165 ; t. liv, p. 165 ; t. lviii, p. 395 (année 1937-1938). Dans Periodica de re morali, canonica, liturgica, Rome, t. xxvi (1937), De catholicorum civium officiis secundum doctrinam Leonis papæ XIII, p. 129, et le commentaire de l’encyclique Firmissimam constantiam, concernant le droit de sédition, p. 338. L’Ami du clergé a traité de la rébellion et de la sédition, t. xvii, 1895, p. 272 ; t. xxxv, 1913, p. 215 ; t. xliv, 1927, p. 762.

A. Bride

TYRRELL Georges (1861-1909), un des principaux animateurs du modernisme. I. Vie. II. Œuvres. III. Doctrine.

I. Vie. — Par sa naissance (Dublin, 6 février 1861) et sa première éducation, il appartenait au calvinisme le plus strict. Mais une crise religieuse précoce inclina d’abord son âme inquiète vers la Haute-Église et, bientôt après, vers le catholicisme, dont il fit profession en se donnant, au cours de sa 17e année, à la compagnie de Jésus (1879).

Période catholique. — Un moment consacré aux œuvres paroissiales, puis à l’enseignement de la philosophie au collège de Stonyhurst (1894-1896) où il se fit remarquer par son thomisme intégral, il fut définitivement attaché au ministère de la prédication. L’originalité de sa manière lui valut un prompt succès, que de petits livres de spiritualité ne tardèrent pas à prolonger auprès d’un plus large public. Sa collaboration régulière au Month, à partir de 1896, acheva de le mettre au rang des apologistes les plus distingués.