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TRINITÉ. LES ÉVANGILES SYNOPTIQUES

gation dont la nature exacte n’est pas encore précisée, mais qui, nous le voyons dès maintenant, est bien autre chose qu’une simple adoption. Entre le Père et le Fils en effet, il y a réciprocité. Nul ne connaît le Fils sinon le Père ; et le temps présent qui est ici employé marque que cette connaissance est habituelle, qu’elle est même éternelle. Elle n’a pas eu une durée limitée ; elle s’exerce sans interruption. S’il s’agissait d’une connaissance superficielle de la personne de Jésus, les apôtres pourraient bien dire qu’ils connaissent leur maître, puisqu’ils vivent avec lui et sont les compagnons de ses courses, les confidents aussi de ses pensées. Ils savent même, ou ils sauront, qu’il est le Fils. Mais devant la nature intime ils restent dans l’ignorance. Il ne leur est pas possible, pas plus à eux qu’à personne, de la pénétrer. Seul le Père connaît exactement le Fils qu’il a engendré. Réciproquement, le Fils seul connaît le Père. Ici cependant, il y a une nuance, car le Fils est le révélateur du Père. On dirait qu’il est presque plus facile de connaître le Père que le Fils, puisque le Fils n’est manifesté par personne, tandis que le Père est révélé par le Fils tout au moins à certaines âmes de son choix. Il n’y a pas lieu de s’arrêter ici à cette difficulté. Le fait essentiel, celui qu’il faut souligner, c’est le caractère exclusif de la connaissance du Père par le Fils et du Fils par le Père : cette connaissance est naturelle et non pas acquise ; il semblerait même qu’elle suffit à caractériser le Père et le Fils ; en toute hypothèse, elle est complète, totale, sans ombre d’aucune sorte.

Le passage que nous étudions est unique dans les Synoptiques. On a relevé maintes et maintes fois son allure johannique et, de fait, le quatrième évangile fournit bien des parallèles, autant pour le style que pour les idées, à ce texte. Pourtant, il ne saurait être question d’un emprunt, puisque les Synoptiques sont bien antérieurs à saint Jean, ni d’une interpolation, puisque Matthieu et Luc garantissent le caractère primitif de la parole de Jésus. On voit sans peine l’importance de cette remarque qui garantit la valeur des formules en apparence les plus strictement johanniques.

4o  Le Saint-Esprit.

L’Esprit-Saint apparaît à plusieurs reprises dans les Évangiles synoptiques ; mais on peut dire que, le plus souvent, sa personnalité n’est pas mise en relief et que les actions qui lui sont attribuées ne suffisent pas à nous la faire connaître. Dans l’évangile de l’enfance, nous apprenons que la conception virginale est l’œuvre du Saint-Esprit, Matth., i. 18, 20 ; Luc, i, 35. L’ange annonce à Zacharie que l’enfant promis à son épouse Elisabeth sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère, Luc, i, 15, et cette prophétie se réalise en effet lors de la visite de la Vierge Marie. Luc, i, 42. Zacharie lui-même est rempli du Saint-Esprit, sous l’inspiration de qui il entonne le cantique Benedictus, Luc, i, 67. L’Esprit Saint habite l’âme du vieillard Siméon, Luc., ii, 15 ; et il lui fait savoir qu’il ne mourra pas avant d’avoir vu le Christ du Seigneur.

Plus tard, l’action de l’Esprit ne cesse pas de se manifester : Jean-Baptiste déclare qu’il baptise lui-même dans l’eau, mais qu’après lui doit venir un plus grand que lui qui baptisera dans l’Esprit-Saint. Marc, i, 8. Jésus, après avoir été baptisé, est poussé par l’Esprit dans le désert, Marc, i, 12 ; il se dirige vers la Galilée sous l’impulsion de l’Esprit, Luc, iv, 24 ; il tressaille dans l’Esprit-Saint après le retour des soixante-douze disciples, x, 21.

Au cours de son enseignement, le Sauveur mentionne plusieurs fois l’Esprit-Saint. Lorsqu’il envoie les apôtres en mission, il leur annonce tout ce qui leur arrivera plus tard, bien plus tard, après sa mort et son départ. À ce moment, les prédicateurs de la bonne nouvelle seront haïs et persécutés ; ils seront traînés devant les tribunaux : qu’ils ne s’inquiètent pas alors de ce qu’ils auront à répondre, car ce n’est pas eux qui parleront : c’est l’Esprit-Saint qui s’exprimera par leur bouche, Marc, ix, 13-14 ; Matth., x, 20. Impossible de mieux traduire la puissance de l’Esprit et son œuvre. Celui qui autrefois avait inspiré les prophètes inspirera encore les disciples de Jésus, toujours vivant dans le peuple que Dieu s’est choisi, afin de le manifester au milieu des hommes.

Un autre texte est encore plus significatif. Au cours de ses discussions avec les pharisiens, Jésus est accusé un jour d’être possédé par un esprit impur. Horrible calomnie. Il répond cependant : « Tout péché et tout blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne leur sera pas remis. Les paroles dites contre le Fils de l’homme seront pardonnées ; les paroles dites contre l’Esprit-Saint ne seront pardonnées ni dans ce monde ni dans l’autre. » Matth., xii, 31-32. On a beaucoup discuté le sens de ce passage ; on s’est demandé surtout ce qu’était ce péché contre l’Esprit Saint qui ne pouvait pas être remis, et il n’est pas sûr que les discussions à ce sujet soient définitivement terminées. Voir art. Blasphème contre le Saint-Esprit, t. ii, col. 910 sq. En toute hypothèse, il résulte de l’affirmation de Jésus que l’Esprit-Saint ne doit pas être blasphémé : alors même que la personnalité de cet Esprit ne serait pas assez clairement marquée pour devenir intelligible à des auditeurs mal avertis, on voit au moins la gravité de la faute que l’on commet en le confondant avec des esprits impurs et en attribuant à ces derniers ce qui est ici-bas son œuvre propre dans les âmes saintes.

Il est possible que l’enseignement des Synoptiques sur le Saint-Esprit manque encore de précision, voire qu’il ne dépasse pas sensiblement ce que les livres de l’Ancien Testament avaient déjà fait connaître de l’Esprit. On ne peut cependant pas échapper à l’impression d’une insistance plus grande sur le rôle propre de sanctificateur qui est celui de l’Esprit. Telle est sa fonction spéciale : toutes les fois qu’il s’agit de conduire ou de diriger une âme, fût-ce celle du Sauveur, c’est l’Esprit qui intervient. Il y aura lieu de préciser encore cette doctrine. Ce qui en est dit parles premiers évangiles est déjà digne de remarque.

5o  Les trois personnes divines.

N’y a-t-il pas enfin, dans les Synoptiques, des passages où les trois personnes de la sainte Trinité apparaissent et agissent ensemble ? Nous pouvons relever deux circonstances au moins où il en est ainsi.

La première est le baptême de Jésus. « Il arriva en ces jours, raconte saint Marc, que Jésus vint de Nazareth de Galilée et fut baptisé dans le Jourdain par Jean. Et dès qu’il sortit de l’eau, il vit les cieux s’entrouvrir et l’Esprit comme une colombe descendre sur lui et une voix vint du ciel : « Tu es mon Fils unique ; en

« toi, je me suis complu. » Marc, i, 9-11 ; cf. Matth., iii.

13-17 ; Luc, iii, 21-22. Les exégètes chrétiens n’hésitent pas sur l’interprétation de la scène : ici la Trinité tout entière se manifeste : le Père rend témoignage à son Fils dans la voix qui se fait entendre ; et l’Esprit-Saint prend la forme d’une colombe. Mais il ne semble pas que le fait ait été remarqué par les Juifs qui pouvaient assister au baptême de Jésus ; et même il est probable que seul Jean-Baptiste a vu la colombe mystérieuse et entendu la voix. Le mystère était trop grand pour être dès lors révélé aux hommes.

Il faut ajouter que les Évangiles apocryphes racontent autrement les faits. D’après l'Évangile des Nazaréens, cité par saint Jérôme, In Isai., xi, 2, « Il arriva, lorsque le Seigneur fut remonté de l’eau, que le Saint-Esprit descendit sur lui et reposa sur lui et lui dit :

« Mon fils j’attendais dans tous les prophètes que tu