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    1. TYRANNIE##


TYRANNIE. LE TYRAN DE GOUVERNEMENT

1974

morale, trad. Belet, Paris, 1880, p. 617, n. 6. Mais’cette attitude de soumission et cette reconnaissance pratique n’implique nullement, de la part de l’Église, une reconnaissance juridique ou l’octroi d’un titre de légitimité. Cf. ci-dessus, col. 1964. Quant aux sujets, tout en observant loyalement l’obéissance, ils doivent s’abstenir d’actes qui impliqueraient la reconnaissance de l’usurpateur comme autorité légitime.

Il ne sera pas sans intérêt de signaler brièvement les consignes données par Pie VII à ses sujets durant l’occupation et l’annexion des États pontificaux par Napoléon I er. « On ne peut regarder comme licite pour les sujets pontificaux, ecclésiastiques ou séculiers, tout acte tendant directement ou indirectement à seconder une usurpation si notoirement injuste et sacrilège et à en raffermir l’exercice. Il s’ensuit… qu’il ne serait pas permis de se conformer aux ordres du gouvernement pour lui prêter serment de fidélité, d’obéissance ou d’attachement, exprimés en des termes illimités et s’étendant à une fidélité et approbation positives. Cf. Taparelli, Essai de droit naturel, t. ii, p. 389. Le seul serment qu’autorise le même document (art. 12) est le suivant, qui ne devra être prêté que si l’on ne peut s’en abstenir sans grand danger ou préjudice : Promitto et juro me cujuslibet generis conjurationi, sive convenlui, sive sedilioni contra actuale gubernium operam nunquam daturum ; itemque eidem me subjectum fore atque oblemperanlem in iis omnibus quæ nec Dei nec Ecclesix legibus adversantur. Par ailleurs, la participation aux fêtes civiles qui ont lieu pour reconnaître les chefs imposés par la force, de même que le port de leurs insignes ou décorations, ne sont que tolérés, dans les cas où l’abstention exposerait à de graves inconvénients et pourvu qu’on ne donne pas de scandale. Le service militaire sous les drapeaux de l’usurpateur est lui aussi simplement toléré, alors qu’il n’est pas possible de se dérober, et pourvu qu’on ne participe à aucun acte d’hostilité contre le souverain légitime ni à aucune injustice. Cf. D r Pruner, Théol. mor., t. i, p. 617, note 1.

Signalons enfin deux décisions de la S. Pénitencerie, 6 octobre 1859 et 10 décembre 1860, déclarant illicites : 1. la célébration d’une fête religieuse à l’occasion de l’établissement d’un gouvernement illégitime ou de son anniversaire ; 2. les prières publiques faites pour un usurpateur sous le titre de souverain légitime, tant que la légitimité ne lui est pas acquise.

Déjà en 1793, durant son exil à Valence, le pape Pie VI permit à ses sujets de France de prêter un serment dans lequel on promettait non seulement de ne participer à aucune conjuration ou sédition, mais encore fidélité et attachement à la république et à la constitution, sauf toujours les droits de la religion catholique. Cf. Taparelli, op. cit., p. 389.

Cette acceptation du gouvernement de fait ne porte donc pas atteinte aux droits que peuvent encore conserver les gouvernements antérieurs, ni à la foi que peuvent légitimement leur garder les sujets. C’est l’enseignement constant des pontifes des x « xe et xxe siècles, échos eux-mêmes d’une tradition beaucoup plus ancienne. C’est ainsi que Grégoire XVI dans sa lettre apostolique Sollicitudo, parue le 7 août 1831, au lendemain de la révolution de Juillet, se référant à une constitution de Clément V, laquelle avait été ratifiée par Jean XXII, Pie II, Sixte IV et Clément XI, rappelait que, dans la pensée de l’Église, « une reconnaissance de ceux qui président d’une façon quelconque à la chose publique » n’implique l’attribution, l’approbation ou l’acquisition d’aucun droit en leur faveur, et « qu’aucun préjudice ne peut ni ne doit être censé porté aux droits, privilèges et patronages des autres. »

Pratiquement, à l’égard des gouvernements de f : iit. un triple devoir incombe aux citoyens :
1. obéissance aux lois justes ;
2. contribution aux charges publiques ;
3. collaboration à toute œuvre ou entreprise honnête intéressant le bien commun.

Quel genre d’opposition ou de résistance demeure licite ? Tant que le régime déchu n’a pas perdu sa légitimité, il est loisible aux citoyens de s’employer à la restauration du gouvernement de droit, non seulement par les moyens légaux, mais même par un coup de force, si ce procédé a l’approbation du prince légitime et possède des chances sérieuses de succès. Ce qui est interdit, c’est « une opposition stérile et brouillonne, une résistance qui n’entraînerait que des troubles, sans aucun profit pour la cause vaincue ». Cf. d’Hulst, Carême 1895, 2e conférence, p. 38, et note 7, p. 325. La grande règle est de ne pas s’opposer au bien public. Et, parce que l’intérêt commun se trouve lié à un pouvoir constitué, il faut accepter ce dernier tel qu’il est. C’est la conclusion même de Léon XIII, dans sa Lettre au clergé de France, du 16 février 1892 : « Par conséquent, lorsque les nouveaux gouvernements qui représentent cet immuable pouvoir [qui vient de Dieu] sont constitués, les accepter n’est pas seulement permis, mais réclamé, voire même imposé par la nécessité du bien social qui les a faits et les maintient… Et ce grand devoir de respect et de dépendance persévérera, tant que les exigences du bien commun le demanderont, puisque ce bien est, après Dieu, dans la société, la loi première et dernière. » Au milieu, éd. B. Presse, t. iii, p. 118.

III. LE CAS DU TYRAN DE GOUVERNEMENT.

C’est le cas d’un pouvoir, légitime dans ses origines, qui abuse de son autorité, soit en faisant des lois injustes, soit en opprimant une partie des citoyens à son profit ou au profit d’une coterie. Le cas est loin d’être chimérique. Il se réalise même plus fréquemment que la tyrannie d’usurpation. Pour décider de l’attitude que les sujets doivent adopter en face du gouvernement tyrannique, il est nécessaire de distinguer la résistance aux lois injustes et l’opposition au pouvoir lui-même.

Résistance aux lois injustes. —

Une loi peut se révéler injuste de deux façons : tout d’abord si elle prescrit une chose contraire au droit divin, soit naturel soit positif ; en second lieu si elle s’attaque ou s’oppose simplement à l’un de ces droits humains, au sujet desquels il est loisible de faire des concessions, afin d’éviter de plus grands maux. Dans l’un et l’autre cas, de telles prescriptions « n’ont aucune force de loi », dit Léon XIII, parce qu’elles sont en désaccord avec les principes de la droite raison et les intérêts du bien public ». Sapientisc christianse, op. cit., t. ii, p. 268. De ce, chef, elles n’obligent pas en conscience.

Cependant, s’il s’agit de lois qui ne touchent qu’à des droits humains, il peut être permis de ne pas urger ce droit et de subir l’injustice pour le bien de la paix. Dans certains cas, cette attitude de tolérance s’imposera en conscience, pour éviter de plus grands maux : scandale, sédition, incitation à la révolte générale, sévices ou représailles et aggravation de la tyrannie. Si au contraire la loi contredit les droits sacrés de Dieu ou de son Église, alors aucun compromis n’est possible : « obéir serait un crime », dit Léon XIII, ibid. ; il y a obligation de résister. Cf. I » -II ", q. xevi, a. 4.

1. Qui jugera de l’injustice des lois ?

S’il s’agit d’atteinte portée aux préceptes premiers et aux principes évidents de la morale naturelle et chrétienne, toute conscience droite est à même de les discerner. Dans les cas difficiles et pour résoudre des problèmes complexes, la conscience devra s’éclairer du jugement