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    1. TYRANNIE##


TYRANNIE. PERTE DE LA LEGITIMITE

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tiat, ante tamen populi consensum, si populus in eum nondum consenserit.

Mgr d’Hulst a résumé dans une page remarquable de ses Conférences les conditions du passage d’un gouvernement de fait à la légitimité : « Si la fortune trahit la bonne cause, la défaite qu’elle subit ne saurait laisser le pouvoir en déshérence. Le succès même de l’usurpation transfère à ses auteurs, à défaut du droit, le devoir d’assurer l’ordre public, ce premier besoin de la société. On voit alors s’établir un gouvernement de fait. Les citoyens qui n’ont pu l’empêcher de supplanter l’autorité légitime, ne doivent pas maintenant l’empêcher de pourvoir à la sécurité générale… Et si les événements servent ce nouveau pouvoir, s’il s’acquitte heureusement de sa fonction protectrice, si l’assentiment populaire se prononce en sa faveur, le temps viendra où son existence de fait recevra la consécration du droit, car rien n’est éternel de ce qui est humain et la vacance de l’autorité ne saurait durer toujours. Cette doctrine est celle de la raison ; elle a toujours été celle de l’Église, et, pour la trouver nouvelle, il faut tout ignorer de la tradition théologique. » Carême 1895, 2e Conférence, p. 36.

2. Perle de la légitimité. —

Après avoir exposé comment un pouvoir devient légitime, il nous reste à dire comment il cesse de l’être.

Quand nous parlons de légitimité, nous écartons formellement la signification « historique » et politique qui lui a été donnée au siècle dernier, et qui en a fait un synonyme de restauration de la dynastie nationale des Bourbons dans notre pays. Cf. d’Hulst, Conférences de Notre-Dame, année 1895, 2e conférence, p. 40-42, et note 8, pages 327-330. En revanche, nous admettons la distinction entre légitimité et légalité. Est légitime ce qui est dans l’ordre et crée un droit réel. Un gouvernement peut être légal, conforme à la constitution, et pourtant n’être pas légitime, soit parce qu’il n’est qu’un gouvernement de fait, soit parce qu’il est injuste et tyrannique, seul le gouvernement légitime a un droit véritable et absolu de commander, entraînant pour les citoyens un authentique devoir d’obéir. Cela ne veut pas dire que le gouvernement légal soit dépourvu de tout droit et dégagé de tout devoir ; cela ne signifie pas davantage que les sujets soient exempts de toute soumission et obéissance : la loi supérieure du bien commun obligera gouvernants et gouvernés à faire tout ce qui’est en leur pouvoir pour que la société vive et se développe en paix. Mais l’obligation de ces actes découlera d’une nécessité supérieure et non du pouvoir du souverain. Ce pouvoir demeurera précaire et dépourvu de légitimité, tant qu’il ne sera pas rentré dans le droit.

La perte de la légitimité peut tenir à des causes intrinsèques, qui tiennent à la manière dont le gouvernement remplit sa mission, ou à des causes extrinsèques, venant de l’extérieur : usurpation, révolution, déposition, etc.

a) Causes intrinsèques. —

On peut les ramener à deux : l’abus et l’incapacité.

a. — Le Moyen Age a vu dans l’abus de pouvoir le principal cas de réalisation de la tyrannie : le fait pour le prince de gouverner en sa faveur ou en faveur d’un petit nombre et non au profit du bien commun. Le verdict porté contre le tyran était sévère : « Celui qui se fait l’ennemi du peuple, abdique par le fait même le pouvoir, dit Grotius, De jure belli et pacis, t. I, c. iv, n. 11. Les scolastiqucs, de saint Thomas à Suarcz, n’hésitent pas à dire que la nation a le droit de le « destituer », de le déposer », de le « chasser. C’est donc qu’il a perdu le droit de régner et qu’il est devenu illégitime. Mais pour en venir à cette extrémité, il faut que l’abus soit non seulement grave, mais permanent et universel. Un excès de pouvoir passager, une seule loi ou même quelques-unes qui iraient contre le bien commun dispenseraient seulement les sujets de l’obéissance sur ce point particulier, mais n’ôteraient point au prince sa légitimité. En effet, dans l’ensemble, il continuerait à remplir sa mission : assurer la vie et le salut de la nation. C’est seulement dans le cas où, de façon générale, il n’a cure du bien commun ou travaille à son encontre, que le prince perd ses droits.

b. — Les modernes ont fait état, dans le même sens, de l’incapacité du souverain, s’il n’est pas possible d’y porter remède, par exemple par une régence. Le prince peut n’être pas responsable de cette incapacité ; cependant, comme il ne peut remplir les fonctions qui sont la raison d’être même de sa souveraineté, il est juste que celle-ci soit transférée à un autre plus capable que lui de procurer le bien commun. Les droits qu’il a pu posséder dans ce but s’évanouissent ipso facto. Mais, comme pour la tyrannie, l’incapacité devra être dûment constatée, permanente et irrémédiable : tel le cas de folie, de maladie incurable qui rende le monarque impuissant à remplir ses fonctions. Aux yeux de certains, un des cas les plus évidents de cette incapacité serait celui du souverain détrôné : « Incapable de se maintenir au pouvoir, il a fait la preuve de son incapacité, car sa charge de gouvernant impliquait qu’il fût capable de maintenir l’ordre. Maintenir l’ordre, c’eût été réprimer les tentatives de révolution. Il n’en a pas été capable ; il n’a donc pas rempli le mandat qu’il avait reçu, il perd le droit à l’obéissance des citoyens qui en était la contre-partie. » J. Leclercq, Leçons de droit naturel, t. ii, l’État, 2e éd., p. 189. Il peut y avoir cependant des cas où le renversement du prince ne soit pas imputable à une incapacité de ce dernier.. Bien que le gouvernant soit tenu d’assurer la paix intérieure et de ne pas laisser le pouvoir à la merci d’un coup de main, une surprise est toujours possible et ne saurait être considérée dans tous les cas comme une marque d’incapacité du détenteur du pouvoir.

Que devient le pouvoir tombé ainsi en déshérence par abus ou incapacité du souverain ? Notons d’abord que, d’après les légitimistes et les partisans du pouvoir divin des rois, le prince ne perd jamais ses droits, qui persistent indéfiniment, sans prescription ni aliénation possible. Pour les tenants de la théorie du contrat social, le pouvoir ayant toujours été conservé par le peuple dont les gouvernants ne sont que les commissaires, il suffit, de la part du peuple, d’un simple retrait de mandat, qui peut avoir lieu à tout moment et pour n’importe quelle cause. Selon les scolastiqucs, le pouvoir du prince déchu revient au peuple, à la nation qui le lui avait confié, quant à la substance, selon les uns, quant à l’exercice seulement, selon les autres. Cf. Chénon, Le rôle social de l’Église, p. 125 sq. Le pouvoir souverain a été donné au prince par la nation, qui peut le lui retirer, s’il en fait manifestement usage au détriment de la chose publique », dit Sylvius, In //" » -//, q. lxiv, a. 3, concl. 2. Le théologien espagnol Azpilcueta, dit Navarrus, écrit dans le même sens : t Dans le cas où ceux qui, par élection, hérédité ou autrement, ont reçu l’usage de la juridiction, ne pourvoiraient pas au gouvernement des peuples, les peuples eux-mêmes pourraient le revendiquer. » Opéra, Lyon, 1589. t. ii, § 120, p. 130. Et Jean Azor reconnaît que, « si la nation ne peut conserver la paix et la tranquillité qu’en dépouillant du royaume un prince indolent (ob ignaviam) ce prince est légitimement renversé du trône. » Instit. morales t. XI, c. v.

b) Causes extrinsèques.

Elles sont le plus souvent violentes et visent à un changement de gouvernants et parfois de régime. Il va de soi qu’aucune forme